jeudi 3 avril 2014

"Nous avons marché", de Yannick Torlini


"Nous avons marché", de Yannick Torlini, est un recueil de poésie de révolte essentielle.
Une révolte mâle et mate, indifférenciée. 
D'ailleurs, dans deux des trois parties qui composent ce livre, l'auteur emploie le nous plutôt que le je. Et quand il parle de Tarik, il s'agit encore d'un archétype de réfugié, dans les yeux de qui chacun d'entre nous devrait être capable de se reconnaître.
Ainsi, ce que j'aime tout particulièrement dans "Nous avons marché", c'est cet appel à l'action continuel et inconditionnel, qui est lancé contre tous les assis. Cela change des vieilles poésies lyriques qui célèbrent plutôt l'immobilisme. C'est la poésie du vivant contre celle des morts, Mais c'est aussi la poésie de la mort, car celui qui veut agir est condamné à tourner en rond, dans sa langue comme dans sa vie. Et peut finir par être tué ou pire, par être de nouveau enfermé.
"Nous avons marché" est également un texte obsessionnel. Le lecteur ne peut que remarquer immédiatement ses itérations. Dans la première partie, "nous avons marché", dans la deuxième, "Tarik a vingt cinq ans", dans la troisième partie, "nous avons fui".

Mais justement, il ne faudrait pas que le lecteur ne voie que ces très nombreuses itérations, qui lui donnent cet aspect hâché, celui du rythme et de l'action. Ce qui est important pour moi, c'est ce qu'il y a entre les itérations. Car l'écriture sans cesse bouculée, se laisse régulièrement aller à dérouler quelques images, quelques jeux de mots. Par exemple, page 98:"Tarik a vingt-cinq ans, il a vu des désastres innombrables des monceaux de chairs, et pourtant la première étoile, celle du berger, ce nom amour qu'on lui a donné, ce nom l'étoile et toujours plus loin vers l'Ouest toujours plus loin, sans frontières. Tarik a vingt-cinq ans et sa tête est une guerre aux angles étranges". C'est la fin de ce fragment qui m'importe le plus.
A la première partie, "Tenir registre", j'avoue avoir préféré la deuxième, intitulée "Tarik (manuel d'exil)", qui esquisse l'histoire d'une tierce personne, ainsi que la dernière : "S'échapper échapper" où plus subtilement, l'écriture, tout autant que par itération, progresse par glissements, inversions , et semble avancer dans une espèce de nappe sonore.
Par exemple : "Nous avons fui nous avons la lumière laissé passer, respiré étouffé la lumière comment, lorsque plus rien ne parle et la lumière et du soir au matin et bien moins que la brèche, refermée. Nous avons couru loin et l'espoir lorsque nous avons fui l'espoir, nous avons couru, oui. Loin si loin comment le corps n'a pas suivi comment, quelle distance quelle limite, lorsque la pensée plus loin que les murs les barreaux ignore, la pensée lorsque la pensée et le simple désir de s'échapper échapper fuir, le corps le trou la grotte s'échapper échapper fuir. Ce monde où le jour jamais le jour la lumière, jamais, la lumière. Ce monde où".
"Nous avons marché" est finalement un recueil de poésie qui ne se laisse pas distraire par la poésie. Et c'est sans doute cette exigence là qui lui donne toute sa valeur.
Pour vous procurer ce livre, vendu au prix de 15 €, rendez-vous sur le site de l'éditeur http://www.al-dante.org/

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