dimanche 8 juin 2025

"Une odeur de fiction", de Murièle Camac

 

Sixième recueil de Murièle Camac et deuxième publié par les Éditions Exopotamie, "Une odeur de fiction", malgré son titre (qui pourrait le laisser penser), ne fait pas allusion à un quelconque roman ou récit continu.

Ce livre étonne plutôt par ces constants changements de décors (on passe du cinéma américain à l'opéra, et on connaît même un séjour à l'hôpital, déjà moins drôle) et autres voyages, comme si l'autrice ne voulait pas se fixer trop longtemps au même endroit. Marque de pudeur ? Comme un air de ne pas y toucher, tout en y touchant déjà pas mal. Marque d'humour, à retrouver avec ce style si caractéristique, chez Murièle Camac, qui use de poèmes aux vers souvent courts, mais surtout aux arêtes coupantes, rythmés courts également, avec ces raccourcis qui pincent le cœur, et la dérision en supplément.
Un vrai bonheur de lecture, en tout cas. Sans prises de têtes et avec finesse.

Deux extraits de "Une odeur de fiction", de Murièle Camac. Tout d'abord, le deuxième poème de la série "Hollywoode" :

"C'est plus difficile qu'il n'y paraît
d'éliminer complètement John Wayne
son cadavre va puer de loin

Ça perturbe le scénario
et le décor - genre Mauvais Pays
sans acteur principal

On risque de se retrouver avec quoi
une absence de paysage
un rideau sans tissu synthétique

Rien à voir.

Ou alors des bouts de maison
collés à un vieux mur
comme des chewing-gums sous une table
des trucs qu'on n'aurait pas dû voir
des preuves de culpabilité

Il faudra tout réécrire.

- Évidemment que ce n'est pas si facile
sinon il n'y aurait pas de film

Et j'aurais pu être cow-boy moi aussi
mais je n'avais pas de vaches"

Et "Trottoir" :

"Je me tiens sur le bord, comme si j'allais faire signe.
Faire sens.

Mais je n'ai plus d'argent pour un taxi.
J'ai un gros sac un peu sale.

Torpeur, décalage horaire.
Je me tiens dans le brouillard.

Je cherche les transports.
Il faudra déballer tous les paquets, sortir tous les
    souvenirs.
Une station de métro, si possible.
raconter ce qu'on a mangé, où on a marché.
Ne pas se tromper de direction.
Ou un arrêt d'autobus.

L'idée c'est de rentrer chez moi, oui.
Avec des bagages.
En payant pas trop cher."

Si vous souhaitez vous procurer "Une odeur de fiction", de Murièle Camac, qui est vendu au prix de 17 €, rendez-vous sur le site de l'éditeur : https://exopotamie.com/products/une-odeur-de-fiction

"Poèmes dévalés" suivi de "Ivre de cabanes", de Pierre Gondran dit Remoux

 

Publié par PhB éditions, "Poèmes dévalés", suivi de "Ivre de cabanes", de Pierre Gondran dit Remoux, est un livre composé de deux grandes parties, assez dissemblables.

Les "Poèmes dévalés" sont des textes en prose justifiée qui évoquent surtout la ville (hormis la partie centrale, intitulée "Expansion de la louve"), tandis que "Ivre de cabanes", est constitué de poèmes en vers libres qui évoquent la campagne.

Ici, forme et fond sont au service l'un de l'autre. La forme de la prose justifiée des "Poèmes dévalés", les nombreuses répétitions, cassures, communiquent l'impression de mal respirer. Au contraire, dans "Ivre de cabanes", le lecteur retrouve son souffle. Les mots laissent place à des trouées végétales. C'est parce qu'il y a moins d'humains qu'à la ville, ces fauteurs de troubles bien connus !

Derrière cette apparente opposition, existent également des passerelles entre ces deux manières d'écrire : densité, précision. La nature semble peuplée par la ville. Ses frémissements, halètements sont ceux d'un monde que l'on perd l'habitude d'entendre. En même temps, la sauvagerie de la nature semble se communiquer à la ville. Quand les humains redeviennent des animaux, ce n'est pas beau à voir.

Un extrait de "Poèmes dévalés", de Pierre Gondran dit Remoux (ci-dessous, en image, pour ne pas abîmer la disposition justifiée) :


Et un autre, extrait de "Ivre de cabanes", de Pierre Gondran dit Remoux :

"Selon les principes du bonheur maximal,
C'est à l'âge où un enfant s'intéresse aux hannetons
Que tu avais vécu
La "grande armée des hannetons".

Une odeur douceâtre de viande oubliée
Avait envahi la campagne.
Les torchons volaient dans les cuisines.
Des seaux de lait étaient perdus. Les vieux criaient

À la calamité centennale.
Une masse tomenteuse et grouillante s'abattait
Chaque soir sur les vergers où les gamins
Hannetonnaient en silence - nos hourras

Du premier jour l'avaient cédé à l'effarement."


"Jaillir dans la clairière
Se figer, menton à l'épaule,
Disparaître

Être chevreuil, un instant"

Si vous souhaitez vous procurer "Poèmes dévalés", suivi de "Ivre de cabanes", de Pierre Gondran dit Remoux, qui est vendu au prix de 12 €, rendez-vous sur le site de l'éditeur : https://www.phbeditions.fr/Accueil.html

"Les mille et une maisons de Maman", de Didier Trumeau

 

Publié par les Éditions Enitram Treab, "Les mille et une maisons de Maman", de Didier Trumeau est un livre de proses poétiques constituée de deux parties. La première est celle qui donne son titre à l'ensemble. La seconde s'intitule "MgM", qui peut signifier "Maison de grand-mère" ou "Ma grand-mère".

Ces deux ensembles se complétant, comme leurs titres l'indiquent, ne sont pas de même nature.
Dans "MgM", Didier Trumeau évoque avec précision Saint Laurent, un village du Cher, où vivait sa grand-mère, et surtout la maison dans laquelle elle habitait. C'était quelque chose, les maisons, en ces temps-là, ce n'était pas des endroits que l'on quittait facilement, pour un oui ou pour un non ! 
Dans "Les mille et une maison de Maman", Didier Trumeau semble imaginer toutes les demeures pouvant accueillir sa mère. Il y en a beaucoup de bancales, parfois de roulantes - il faut le reconnaître - mais toutes sont empreintes de vie. D'ailleurs, beaucoup de place est nécessaire pour héberger l'auteur et ses frères et sœurs...
Ce qui ressort avant tout de ces habitats, malgré leur imperfection, c'est leur valeur de protection.
Le lecteur, en lisant "Les mille et une maisons de Maman", ne peut s'empêcher de se dire que la maison idéale doit ressembler au ventre de sa mère...

Le point commun de l'ensemble de ces textes est la sincérité touchante qui s'en dégage (une qualité rare en poésie, et plutôt abhorrée : pas assez de formalisme pour les ci-devant), mais également leur précision (par exemple, dans l'évocation de la vie animale et végétale gorgeant la rivière "Le Barangeon") et surtout l'imagination dont fait preuve l'auteur pour décrire ces lieux de vie.
À noter enfin, quelques belles formules, par exemple : "Une maison doit être comme un ventre de mère, chaud, sûr, tranquille, harmonieux, confortable, paisible, spacieux - mais pas trop, attention à la promiscuité, à l'évacuation forcée et parée pour une longue traversée, un long périple pour l'éternité…", ou "Construire sa maison c'est la solution. La maison des autres ne convient jamais".

Extrait de "Les mille et une maisons de Maman", de Didier Trumeau :

"Maman aimait beaucoup changer l'aménagement de la maison. L'argentier qui passait à l'ouest, le buffet au sud, la télé au nord, et le canapé à l'est. Ce n'était pas tant la disposition des meubles qui posait problème que le côté installation. La table les pieds en l'air posé sur les chaises, le frigo allongé, avec l'ensemble hi-fi le haut en bas, que les chaises les unes sur les autres évoquant une pyramide au destin instable, que les photos et les tableaux au plafond. Tout était sens dessus dessous, et la notion d'espace de hauteur et de longueur ne s'associait pas avec la largeur. Nous aurions pu marcher sur la tête…"

Précisions de l'auteur : "La maison de la première de couverture est celle de mes grands-parents après qu'elle ait été transformée en salle municipale."
De plus, quelques pages sont laissées à la fin du livre afin que celles et ceux qui le désirent puissent décrire leur maison de Maman.

Si vous souhaitez vous procurer "Les mille et une maisons de Maman", de Didier Trumeau, qui est vendu au prix de 15 € (+ le port : 4 timbres), contact : enitram.treab@orange.fr

jeudi 5 juin 2025

"La fenêtre est restée ouverte", d'Élise Feltgen

 

Publiée dans la collection Polder de Décharge, "La fenêtre est restée ouverte", d'Élise Feltgen est une suite de poèmes en vers libres, plus rarement proses.

Avec ce recueil, j'ai vraiment l'impression d'être revenu aux fondamentaux de la poésie, à savoir qu'elle décrit des sensations surgissant à brûle pourpoint.

De ce point de vue, le titre - "La fenêtre est restée ouverte" - me paraît très révélateur de ces échappées du quotidien : "La fenêtre est restée ouverte", pour accueillir la poésie, pourrait-on ajouter.

Le corps qui écrit réagit à la vue, à ce qu'il entend ou ressent avec ses membres (le vent, la chaleur…).

Il y a plusieurs temps dans ce texte : à ces sensations plus élémentaires, répondent des poèmes montrant que la révolte n'est pas absente de ces pages. D'ailleurs, cette dernière est davantage suscitée par les provocations des médias que par la réalité des choses.
La fin du recueil est consacrée au processus d'écriture d'un poème, toujours unique.
Oui, à travers ces textes, et grâce à leur lyrisme, ces poèmes se montrent plus vivants que ceux qu'il m'arrive de lire la plupart du temps. Ils dépassent sans peine le stade du discours et des meilleurs vœux en vers !...

Extrait de "La fenêtre est restée ouverte", "Prière pour les ronces", d'Élise Feltgen :

"Nos maisons sont des maisons de brume
nous les habitons si peu
et nos mots errent dans l'espace
les mains que nous rencontrons
    s'évanouissent
les yeux hésitent
c'est à peine si nous pouvons toucher
notre propre corps
les fils électriques puisent autour une
    beauté intense
tandis que grandit l'immense gouffre
de nos mélancolies
la nuit mesure l'inconsistance du monde
et comme les samares de l'érable
    tourbillonnent au vents
nos âmes s'évident et se fractionnent
l'épine du chardon peut-être
enroulera à l'envers
le fuseau de l'enchantement"

La préface, intitulée "medication time", est d'Aldo Qureshi.
La première de couverture est de Denys Moreau.

Si vous souhaitez vous procurer "La fenêtre est restée ouverte", d'Élise Feltgen, qui est vendu au prix de 7 € (+ 2 € de frais de port), rendez-vous sur le site de l'éditeur : https://www.dechargelarevue.com/Polder-205.html

lundi 26 mai 2025

"L'odeur du graillon", de Rémi Letourneur

 

Publié par Cheyne Éditeur, dans sa "Collection Grise", "L'odeur du graillon" est le premier livre de Rémi Letourneur.
Ce recueil de poèmes en vers libres se divise en sept parties, parcours d'une semaine complète.
À part que là, le narrateur ne se repose pas le septième jour. Il repart plutôt à l'aventure, à la recherche de quelque graille.

"L'odeur du graillon", trait d'union de toutes ces journées, ponctue chaque séquence du livre.
Le narrateur, après avoir plaqué ses parents retournés en enfance (point de départ de la révolte en cette première journée), part en errance, à la rencontre de la "vraie vie".
En vérité, il ne bouge pas tant que ça, passe sa journée à traîner dehors. Oui, mais il y rencontre une communauté qui semble solidaire, la communauté de celles et ceux qui se révoltent contre l'ordre et retrouvent la matérialité - devenue sauvage à cause de tant de confort ordinaire - des choses.

"L'odeur du graillon" est pour moi un texte limpide, qui doit se lire vite, au rythme de ses vers souvent coupés courts, comme quand on agit, texte à la fois narratif et rempli d'images nettes, qui donnent du souffle à l'ensemble. 

Bref, un très bon recueil de poèmes, sans que l'on ait à s'occuper qu'il soit le premier ou pas de son auteur, en fin de compte !

La préface de "L'odeur du graillon" de Rémi Letourneur est de Bruno Berchoud.

Extrait (le début de la cinquième partie) :

"limpide j'étais
sans béquille dos bien droit les cheveux sur le nez
avalé plein de bornes
je jure
mes semelles aussi ont besoin de graille
j'ai ratisssé
aux déserts de la ville
les rues qui ne portent pas de façade
cramponné mes doigts sur des rampes de poussière
nagé dans l'air des zones industrielles
où rien ne se touche avec la peau
où tout flotte
dans les marais d'aluminium

avalé tonnes de bornes j'ai fait
remonté en rappel
le fil jaune des routes départementales
piétiné les quartiers
qui se couchent de jour
et tirent leurs stores à la bougie du soir
fait aussi
pénétré la matière et son silence de pschit
tout ça j'ai fait
j'aimais
le mouvement de mes bras contre les rebords effacés
        du monde

limpide j'étais
je tenais ma solitude par la taille

personne pour m'empêcher de chier par terre
de glisser
dans le flux des jouissances qui s'allongent
        comme un blanc d'œuf
personne
pour me cacher les ciels
les bouts de toits
et les paupières du soir cobalt
aguicheur
rien que pour moi
je me racontais des voyages qui n'arriveraient pas
tapais d'énormes branlettes
sur les seins en terre rouge
du terrain vague (...)"

Si vous souhaitez vous procurer "L'odeur du graillon", de Rémi letourneur, qui est vendu au prix de 18 €, rendez-vous sur le site de l'éditeur : https://www.cheyne-editeur.com/livre/productidn/3073395/lodeur-du-graillonrmi-letourneur

mercredi 21 mai 2025

"Murs / Fragments de chantier", de Charlotte Minaud

 

Publié par "Décharge / Gros Textes", dans sa collection Polder, "Murs / Fragments de chantier", de Charlotte Minaud, m'a fait plaisir à découvrir.

Il y a longtemps que je n'avais pas lu de livre consacré totalement au travail manuel. Rien qu'au travail, c'est déjà rare ! Mais au travail manuel, c'est carrément un exploit.

Mes ascendants étaient des travailleurs manuels. Alors, même si aujourd'hui, je bosse au bureau, je n'oublie pas mes origines. Et les chantiers, ça me rappelle beaucoup de souvenirs. Donc, je peux confirmer qu'il y a là du vécu. La dureté du travail, le caractère répétitif de certaines tâches (rendu à travers le geste de "poncer"), son anonymat face à l'indifférence qu'il suscite alentour, tout y est.

Il faut dire que l'ambiance des chantiers semble être moins à la bonne franquette qu'autrefois. Le recours à l'intérim et à la sous-traitance diminue la solidarité entre les travailleurs, qui perdent leurs collègues une fois le chantier fini avant d'en trouver d'autres etc.

Le style de ces proses traduit bien cette ambiance. Le lecteur y trouve des phrases courtes, hachées, avec un recours très fréquent à la forme infinitive et au pronom indéfini "on".

Malgré tout, une fois ce recueil refermé, bien que le côté négatif des chantiers soit surtout montré, je ne parviens pas à trouver l'ensemble déprimant. Sans doute parce qu'il se situe d'emblée dans l'action.

Extrait de "Murs / Fragments de chantier", de Charlotte Minaud :

"Murmurer aux murs sa peine sa douleur. Sans cesse. Ses mots de trop. Retrouvez chacun d'eux, vous saurez. La peine, la douleur. Physique. Mentale. Il en faut du courage pour enfiler les blancs. Sales et informes. Il en faut du courage. On en manque pas. Non. On en manque pas. Et dans tous les murs des peines et des douleurs. Imprimés. Marqués. Tendez. Tendez oreilles. Ouvrez cœur à la peine. Et vous saurez."

La préface de "Murs / Fragments de chantier" est de Virginie Gautier. La couverture est l'œuvre de l'"Atelier des échelles", dont fait partie l'autrice.

Si vous souhaitez vous procurer "Murs / Fragments de chantier", de Charlotte Minaud, qui est vendu au prix de 7 € (+ 2 € de frais de port), rendez-vous sur le site de l'éditeur : https://www.dechargelarevue.com/Polder-206.html

vendredi 16 mai 2025

"Seuls les œufs durs résisteront", de Thibault Marthouret

 

Sixième livre de poésie publié par Thibault Marthouret, cette fois-ci par Backland éditions, "Seuls les œufs durs résisteront" déconcerte de prime abord par son titre, formule sans appel et qui pourrait sonner comme la seule certitude d'une vie, à vrai dire, assez… inattendue !

Puis, à la lecture de "Seuls les œufs durs résisteront", je reste bluffé par la richesse de son contenu, champ lexical étendu, vocabulaire plus ou moins soutenu au cours d'un même poème, bribes de conversation, changements d'angles de vue permanents. Chaque poème de ce livre tient debout avec cet attelage pourtant impressionnant, voire improbable, ce qui inclut les changements de direction rapides, les raccourcis qui visent en plein cœur ("Vivre revient souvent à trouver une solution / pour finir par s'apercevoir qu'elle est inadéquate / ou abominable"), bref l'imprévu et donc la poésie qui en découle.

Alors, qu'en est-il des œufs au milieu de tout cela ? Pour moi, je l'interprète comme une image du plus petit lieu indivisible de vie possible. Plus resserré encore que cette île où l'auteur situe ici le lieu d'une résidence d'écriture.

À l'intérieur de ce monde dont Thibault Marthouret montre l'éclatement extrême, il n'est pas facile de s'y retrouver. Le poète, dans son intimité, s'y sent quelque peu déboussolé. Mais moi, en tant que lecteur, j'aime m'y perdre.

Il y aurait même de la solitude dans l'air que la multiplicité de genres et d'interlocuteurs (ils, elles, toi surtout), questionnés à travers d'incessantes tentatives de dialogues, tendrait à accroître.

Le résultat de ces explorations pourrait être désespérant : à quel sein se vouer donc ? Mais non, à aucun moment, les poèmes de "Seuls les œufs durs résisteront" ne sombrent dans cette déprime. Ils gardent davantage d'objectivité, s'amusant même de ces problèmes de communication dans le couple ou au-delà.

L'impression de ne pas être toujours à sa place n'est pas si déstabilisante. Car elle relève du quotidien dans lequel nous sommes tous embarqués. Seul un poète peut reconnaître la distance qui le sépare d'une réalité trop brute et l'accepter (cet aveu d'impuissance dérangerait des personnes plus terre à terre).

Extrait de "Seuls les œufs durs résisteront", "C'est ton signet" de Thibault Marthouret : 

"Tu me lis.
Je sens tes cils entre mes lignes.

Mes pensées nocturnes étaient les tiennes.
Tes rêves se dissimulaient dans les miens
pour passer la douane de l'aube.

Quand je m'endors, t'endors-tu encore ?
Glisses-tu ton pouls dans mon pouls ?
Ton arme blanche dans l'obscurité de mon sommeil ?

Dors-tu quand je dors ou bien quoi alors ?
Tu gaines mes nerfs et te retires.
Tu dénudes mes fils, avales mes décharges

nous oblitères

dans le silence électrique où tu palpites
pulsatile dans mon palpitant je te sens
tu me lis je te sens

j'efface deux emails deux messages indésirables
ouvre un melon dans ma tête
pâle orange en plein décembre pour t'échapper

melon mental hivernal
tranché - une demi-lune t'éclipse

mais comment m'endormir
quand j'ignore à quoi tu occupes nos nuits ?
Lesquels de tes rêves mauvais vas-tu me léguer en plein jour ?

Tu me lis et je sens ton souffle
sur le grain de ma vie
sur la peau rougie de mon île en hiver.

Tu me lis et me réveilles
referme l'ouvrage d'un coup sec.

Sur mon visage ton épaisseur de plâtre.
Sous mon visage de plâtre ton épaisseur
ta nuit gonflée de vaisseaux sanguins

ton t-shirt militaire sous mon melon d'hiver
kaki sous le pâle orange
ton marque-page dans ma nuit blanche

je sens tes cils entre mes lignes
ton signet - ma colonne
la même lune dans le caniveau de nos veines."

Si vous souhaitez vous procurer "Seuls les œufs durs résisteront", de Thibault Marthouret, qui est vendu au prix de 17 €, rendez-vous sur le site de l'éditeur : https://www.backlandeditions.fr/produit/seuls-les-oeufs-durs-resisteront-de-thibault-marthouret/

mercredi 2 avril 2025

Polder Quatrième Génération

 

Coédité par Décharge et Gros Textes, "Poler Quatrième Génération" est, comme son titre l'indique, une anthologie, plus précisémment de poèmes parus dans la collection "Polder", supplément à l'ex-revue "Décharge", et qui continue d'exister, depuis la disparition de la revue.

"Quatrième Génération", car il s'agit de textes parus de 2014 à 2023, alors que cette collection Polder, existe depuis 1981, d'où les quatre générations s'y succédant, comme le rappelle Jacques Morin, l'initiateur des Polder.

J'apprécie tout particulièrement la diversité de ces éditions qui contraste avec l'élitisme affiché par maints autres éditeurs. Ce petit livre, par ses dimensions, mais pas par son contenu, rappelle la valeur de tous les styles, même s'ils sont différents les uns des autres, du moment que le résultat est réussi.

Bien entendu, cela rend cette chronique plus difficile à écrire (!), car il n'y a pas de fil conducteur, autre que chronologique, pour présenter l'anthologie.

Plusieurs tendances, malgré tout, se dégagent, dans la sélection de textes effectuée par Georges Cathalo, que je vais tâcher de lister ci-après :

- poètes dont les textes s'inspirent du quotidien, d'inspiration plus ou moins anglo-saxonne, et parfois teintés d'humour : Birnbaum, Radière, Sapin, Valougeorgis, Boutreux, Guimo, Barré, Papin, Desseigne;

- poètes dont les textes sont davantage emprunts de lyrisme : Landriot, Zimmermann, Bruch, van der Pas, Moati, Oucif, Serbourdin, Miguet, Le Berre, Naggar;

- poésies de voyages : Martin-Boche et Moreno;

- poètes dont les textes mettent davantage en valeur la préciosité du style, sa précision d'orfèvre (parfois scientifique) ou sa verticalité d'expression : Godichaud, Nédelec, Bralda, Nalet, Talhouarn, Gaydon, Gondran;

- poètes dont les textes se situent dans le prolongement du surréalisme : Hamel, Gonzales;

- poètes dont les textes cherchent à traduire la vitesse de la pensée, s'inspirent de la spontanéité de l'oralité, ou travaillent sur la langue : Torlini, Le Divenah, Tournier, Rouxeville, Zhiri, Benedetto, Rouzin, Boulle, Quoirez, Cursoux.

Même si je n'aime pas les étiquettes qui se décollent vite, suivant la subjectivité des lecteurs, cette tentative de classement est juste là pour signaler la belle diversité de "Polder Quatrième Génération".

Claude Vercey conclut le livre en ouvrant la collection sur le futur, éclairant la singularité des parcours de chacun des poètes publiés ici.

"Polder Quatrième Génération" est dédié à Patrick Le Divenah et Daniel Birnbaum qui sont décédés depuis la parution de leurs recueils dans la collection.

Les illustrations (dont celle de couverture) sont d'Yves Barré.

Extrait de Kaïros, de Nathaëlle Quoirez :

"20 h 37
depuis
sans le dieu
je n'ai plus de vision

la mort du rêve est immédiate
comme l'eau non mariée
s'attache au précipice

nuit
désordre du vocable
en moi s'est confiée l'ombre
incunable évoqué

en moi
dans mon corps de patience
apprentis de l'horloge
le vice de fermeture

j'ai crainte."

Si vous souhaitez vous procurer "Polder Quatrième Génération", qui est vendu au prix de 12 € (frais d'envoi compris), rendez-vous sur le site de l'éditeur : https://dechargelarevue.com/-La-collection-Polder-.html

mardi 4 mars 2025

"En quittant l'image", d'Hugo Fontaine

 

"En quittant l'image", d'Hugo Fontaine, publié par les Éditions Gros Textes, est un recueil poétique sans formes figées. Tantôt courtes séquences en prose, tantôt courts poèmes en vers libres.
Hugo Fontaine nous emporte dans son écriture, comme dans un chaos intérieur, le sien, apparemment.
Ça parle de déplacements, souvent. "En quittant l'image" pour aller ailleurs, pas forcément très loin, voire même à côté. Sans doute aussi pour mieux retrouver le pouvoir de l'image, pas celle qui fige, mais celle qui surprend. 

Ainsi, ce volume, petit par la taille, fourmille de raccourcis saisissants, à forte teneur poétique.

Extrait de "En quittant l'image", d'Hugo Fontaine :

"Conquérir l'autre côté sans attendre la bénédiction des couleurs.

Il traverse le rouge pour construire de nouvelles températures, quelques lignes pour buter dans le parpaing. La frontière est liquide, bourrée de sulfate et de bulles de gaz.

Le voilà devant les autres bruits de la ville, il dit que la fièvre est une couleur inexistante comme le noir dans la nuit.

Il trace son corps, s'inscrit, grave sur le bitume, le soleil tape à la machine, le soleil tape la route, le soleil frappe le sol, le goudron pleure, la surface du texte est molle, la gravité, riche, la rouille une belle couleur, la chaleur aime voir le mot flasque surgir et creuser une nouvelle voie de circulation pour les gros véhicules.

L'architecture est plate. Quand il marche l'impact sonne comme une faute de frappe dans l'œil de l'autre, une marque noire. Puis le passage d'un camion, trou béant sur l'A13 qu'il a lu dans la gazette. Tout se bouche, même le ciel qu'ils disent aux infos.

Il peint, perce le rythme, le passage des motos une nouvelle perspective. Il persévère, klaxonne pleine bouche, pour dire bonjour à personne. 
Dessine une réalité, quitte les étoiles, imagine parfois faire l'amour à côté la gamelle du chien.

(...)"

Si vous souhaitez vous procurer "En quittant l'image", d'Hugo Fontaine, qui est vendu au prix de 6 €, rendez-vous sur le site des éditions : https://grostextes.fr/publication/en-quittant-limage/

"Plutôt la conscience de la damnation", de Pascal Ulrich et Gérard Lemaire

 


Sous-titré "Correspondance, poésie et art postal 1996-2000", "Plutôt la conscience de la damnation" de Pascal Ulrich (1964-2009) et Gérard Lemaire (1942-2016), vient d'être publié par les Éditions Le Contentieux.

Derrière son titre énigmatique (emprunté à une lettre de Pascal Ulrich), ce volume de 200 pages constitue pour moi des retrouvailles avec l'univers de deux anciens collègues d'écriture que j'ai bien connu, mais qui hélas, semble s'éloigner de nous. Qui s'envoie des lettres par la Poste, aujourd'hui, même pour le luxe du geste ?
Raison de plus pour faire revivre cet univers l'espace d'un livre (j'aimerais que cela nous mène plus loin). C'est la moindre des choses.

Cette correspondance entre Pascal Ulrich et Gérard Lemaire démarre de leur intérêt commun pour la poésie, mais va bien au-delà.
Car la poésie, ça devrait être la vie, et la vie, ça devrait être la liberté. D'où ce "rejet des institutions", qui caractérise ces échanges. Rejet viscéral et dont on s'aperçoit qu'il peut être violent : une ambiance qui pourrait surprendre de plus en plus nos contemporains.
Au fur et à mesure des lettres publiées ici, il est donc question d'engagement pour plus de justice sociale et de liberté. Gérard Lemaire, comme à son habitude, y pousse Pascal Ulrich, qui le tente puis s'en détache. Piquets de grève, occupations de sites se terminent par des récupérations ne changeant rien. Reste alors l'art. Même pauvre, il permet de continuer à vivre, au moins pour un temps.

Les caractères de Gérard Lemaire et de Pascal Ulrich sont dissemblables et bien trempés. Le premier et l'ainé voudrait toujours plus d'ambition dans les projets littéraires de son destinataire. Quant à ce dernier, il suit son bonhomme de chemin, sans trop penser au lendemain, là où personne ne vient le déranger (en théorie).

Robert Roman, l'éditeur de ce livre et par ailleurs exécuteur testamentaire de Pascal Ulrich, a eu l'excellente idée d'accompagner les lettres des poèmes de Gérard Lemaire et du mail art très coloré (ou art postal) ornant chacune des enveloppes de Pascal Ulrich.
Par delà la disparition de ces deux personnes, leurs œuvres résistent dans mes pensées comme quelque chose de toujours très fort.

En témoigne, par exemple, ce poème de Gérard Lemaire, extrait d'une lettre du 7 novembre 1996 :

"Je leur retourne leur regard intransigeant
et froid
de maîtres
Ils officient
Retirés des traces du Jardin d'Éden
Les pieds fondus dans l'acier
À eux-mêmes leur statue ne les ignore pas
Incapables de s'étonner
et de croire qu'il reste sur cette terre
une motte de silence qu'ils ne connaîtraient pas
Un homme ou une rue dans un sillage
une marche de fleurs
des enfants en quête
Ces rois-esclaves creusent des tombes
sous la terre creusent des pyramides
sous la terre
s'en vont
Les nuages de sauterelles laissent-ils derrière eux
un sol plus aride
plus rouge sous les flambeaux"

L'avant-propos est de Didier Trumeau.

L'illustration de couverture est, bien entendu, de Pascal Ulrich.

Si vous souhaitez vous procurer "Plutôt la conscience de la damnation", de Pascal Ulrich et Gérard Lemaire, qui est vendu au prix de 20 €, rendez-vous sur le blog des éditions : https://lecontentieux.blogspot.com/p/prochaine-parution.html

mercredi 19 février 2025

"Toutes les nuits sont pleines de lunes", de Brigitte Giraud

 

Publié par les Éditions Al Manar, "Toutes les nuits sont pleines de lunes", de Brigitte Giraud est un recueil de poèmes en vers libres.

Même si ce livre s'intitule "Toutes les nuits sont pleines de lunes", il concerne aussi les jours : toutes les heures du jour et de la nuit. En réalité, ces jours-là ne sont pas forcément réels, sauf qu'ils sont bien plus réels que dans la réalité. Ils sont "pleins de lunes", puisqu'il s'agit de visions d'insomnies.

Le lecteur que je suis reste impressionné par la précision de ces visions, leur complétude.
D'ailleurs, je sous-titrerais volontiers ce livre "Les sens en éveil", car en plus de voir, on se tient ici à l'affût de chaque son.

Ainsi, je n'ai pas l'impression que ces insomnies soient mal vécues. C'est plutôt un livre d'apaisement, si ce n'est d'émerveillement.
Le corps où il se trouve se connecte très loin. Les mouvements de ce corps semblent même se produire. Plus qu'un tableau peint, l'ensemble des visions (une par poème) appartient à une même fresque cinématographique de l'intime, à tel point qu'à la fin du livre, je crois avoir effectué tout un voyage, alors que seule une nuit a passé.

Il convient de souligner l'exacte correspondance établie par les textes publiés ici avec les photographies en noir et blanc de Véronique Lanycia, qui, grâce à leur flou, nous placent dans le bougé du dehors.

Extraits de "Toutes les nuits sont pleines de lunes", de Brigitte Giraud :

"C'est presque facile de tenir à rien, à ce qui tient à si peu,
ou juste à ce qui est juste.
Un néon allume un drôle de jour noir, et regarde !
On marche dans les rues en balançant les hanches.
Un sac en plastique tourbillonne dans la légèreté du vent,
on ferme les yeux sur cette beauté qui bouge."

Et encore :

"On avance contre le jour et le café brûle sur la langue.
On prend dans nos gestes le temps de la lenteur.
Comme on arpente une colline en faisant des pauses.
Comme on cherche ses mots dans un terrain vague.

Tenir et garder.
Regarder et retenir.
On construit sans cesse
des feux sous la pluie."

Si vous souhaitez vous procurer "Toutes les nuits sont pleines de lunes", de Brigitte Giraud, qui est vendu au prix de 19 €, rendez-vous sur le site de l'éditeur : https://editmanar.com/editions/livres/toutes-les-nuits-sont-pleines-de-lunes/

mercredi 29 janvier 2025

"Le tour de l'hexagone en 36 poèmes", de Frédérick Houdaer

 



Sous-titré "Manuel de dépaysement rapide & facile", "Le tour de l'hexagone en 36 poèmes", de Frédérick Houdaer, publié par les Éditions Les Vagues Satellites, n'a d'autre sujet que sa diversité. Le titre du recueil l'exprime bien, puisqu'à chaque poème, on change d'endroit, de décor. 

Il ne s'agit donc pas vraiment de poèmes de voyage, mais plutôt de stationnement. C'est déjà moins classique. Le principal ici ne réside pas dans des paysages inanimés, mais dans les êtres qui les peuplent et provoquent l'anecdote. Personnes et histoires pourraient à la limite se trouver ailleurs.
Alors, sont-ce des poèmes réalistes ? Pas totalement pour moi. 
Frédérick Houdaer, en accompagnant le délire de ses protagonistes, quitte la réalité ou y demeure.
Le lecteur n'est plus certain de savoir dans quoi il est tombé. Et c'est bien justement pour moi tout l'intérêt de ces poèmes.

Extrait de "Le tour de l'hexagone en 36 poèmes", le poème #21 :

"dans la salle des profs
deux enseignants parlent de digestion difficile
à un moment
l'un d'eux évoque Mishima
raconte sa fin spectaculaire puis
s'ouvre le ventre à l'aidez d'un compas
le fait vraiment
cris du collègue
hé ça va pas
c'est fasciste ton truc
le hara-kiri
c'est fasciste comme truc
le malheureux
penaud
n'a plus qu'à remballer ses intestins
il va jusqu'à nettoyer lui-même
le lino de la salle
pour ne pas occasionner un surcroît de travail
à la femme de ménage
mais ne sait comment sauver
le panneau de liège déjà couvert de tracts
  administratifs
et de cartes postales kitchissimes
à présent tout éclaboussé de sang
les règlements
les appels à concours et les souvenirs de vacances
peuvent être jetés à la corbeille
et vite remplacés
mais le panneau de liège ?"

La quatrième de couverture est de Patrick Dubost.

Si vous souhaitez vous procurer "Le tour de l'hexagone en 36 poèmes", de Frédérick Houdaer, qui est vendu au prix de 11 €, contact : lesvaguessatellites@gmail.com

lundi 27 janvier 2025

"On aura", de Georges Cathalo

 

Publié par "Encres Vives", "On aura" de Georges Cathalo est un unique poème d'une dizaine de pages. 

En fin de plaquette, il est précisé à son égard : "Ceci est la 2° version revue et corrigée d'un ensemble intitulé "On aura". Épuisé depuis 1992, cet ouvrage était paru en 1987 aux éditions de La Bartavelle."

J'ai surtout aimé le ton employé dans ce poème, simple résumé d'une vie, dans laquelle aucun des buts fixés n'a été rempli, et dans laquelle tous les échecs se sont révélés finalement être des réussites.

Une belle claque donnée avec le sourire donnée aux certitudes des commencements. 

En même temps, ce poème montre la vie dans toute sa variété.

Ainsi, chacune des courtes strophes, dont les premiers mots sont "On aura", poursuit tranquillement sa tranquille énumération.

Extrait de "On aura", de Georges Cathalo : 

"on aura baissé la tête
rasé les murs
avec les fantômes du doute

on aura pris
des nouvelles de la mort
celles des proches
ou celles des amis
qui sont toujours vivants

on aura cru résoudre
énigmes et problèmes
avec des solutions passagères
et des réponses illusoires

on aura trouvé
ce qui se tramait
derrière le rideau de scène
avant que la pièce ne commence

on aura perdu 
tout espoir d'espérance
dans une troublante confusion..."

La photographie de couverture est de l'auteur.

Si vous souhaitez vous procurer "On aura", de Georges Cathalo, qui est vendu au prix de 6,60 €, contact de l'éditeur : encresvives34@gmail.com

jeudi 16 janvier 2025

"Hraun", de Florent Toniello

 

Publié par Michikusa Publishing Luxembourg, "Hraun", de Florent Toniello est un livre de proses poétiques, accompagnées de photographies (sur certaines pages de droite) de Thomas Fleckenstein (dont celle de la couverture), qui évoquent l'Islande.

Drôle de pays que celui-là, peu densément peuplé, du fait de ses conditions géographiques particulières. Évoquer l'Islande revient donc à parler de ses paysages "originaux". Ce à quoi s'attelle Florent Toniello ici.

À chaque prose correspond son élément naturel (géologique, animal), chaque titre de prose étant rédigé en Islandais, avec la traduction de ce même titre en français en fin de texte. Le petit jeu consiste évidemment à deviner ce qui est évoqué !

Ainsi, les textes de "Hraun" constituent à la fois une mise en situation renouvelée, ainsi qu'une prouesse de langage. En effet, l'auteur rentre véritablement dans la peau de la chose évoquée, à la première personne du singulier, comme s'il s'agissait de son propre corps. Il détaille les sensations possibles entraînées par le contact avec l'environnement. Or, les paysages d'Islande, tourmentés, se prêtent à merveille à ce genre de turbulences.
Bien sûr, on ne saura pas, à moins d'un progrès scientifiques certain, si ces sensations sont vraies. Du moins, elles semblent tout à fait réelles, dans leur personnification. 

Au final, la qualité de ces proses étonne, le langage se collant à la réalité, cherchant à la rattraper. Il en résulte une langue riche écrite au présent de l'instant saisi. C'est bien, me semble-t-il, le but le plus sérieux d'une écriture. Ces descriptions intérieures ont lieu dans un même souffle, d'où des textes sans majuscules, dans lesquels les mots sont tout juste séparés par des points et des virgules.

Extrait de "Hraun", de Florent Toniello, le texte qui donne son titre au livre :

"d'abord le jaune cru, l'orange vif, le rouge qui chante. sente ponctuée de nuances, lents contours d'obstacles vains, ravines encombrées de viscosité. me grille à la simple odeur, fumet décapant à l'ascension placide. hauts survols quiets, seule ici-bas pour affronter le coulis suis, collée à la terre. les fuites sont épuisées, racines et mycéliums en avant-poste de désolation. frôle les boursouflures, projections paresseuses d'inexorable avancée. goûte les flammèches, titille les rives. silence aigu dans le rift, glougloutements en goguette, embrasements épars dans un champ d'étincelles. hésite encore. la fonte déboule sans me prêter attention, trempée soudain suis. effort d'adaptation, du mucus à foison, m'arrache à la torpeur contemplatiente. sonde la profondeur. évalue au jugé. tohu-bohu brûlant de fusion fruste. noyade écartée, flottement réussi, plongée franche. dans un cocon de l'infini, telle une hibernation ardente, exploratrice en route pour des parsecs. remue calmement, libérée du poids des parasites grillés. à fond guidée par le courant intraitable, me replie sur mon appendice, gouvernail opportun. transport lent mais précieux, communion vulcanienne qui défie les distances, à la dérive suis, continent impur dans un carcan impétueux. me cogne contre les écueils, absorbe la chlorophylle imprudente, lape le bouillon mixte de corps brûlés. émerge un instant. delta aux branches multiples, embranchements labyrinthiques, jetée dans la bouche d'un torrent qui atteint les mille bras suis. nul répit, bords à peine solidifiés, sourds, dégouline, suinte mon guide ardent, braises mouvantes qui vaporisent les bains liquides étourdis, m'interroge sans retenue. souffre adoré, ardeur prenante, fumerolles, crépitements, labile chemin emprunté en confiance. me tords de la chaleur reçue, me craquelle sans jamais m'ouvrir. pulsions de l'écarlate à l'incarnat, explosions diffuses. geysers qui pétaradent à qui ira le plus haut. à l'assaut de la rive en contrebas, franche dans le coulage incarné suis.

LAVE"

Si vous souhaitez vous procurer "Hraun", de Florent Toniello, qui est vendu au prix de 15 €, rendez-vous sur le site de son éditeur : https://michikusapublishing.com/book-shop/