mardi 30 septembre 2025

"La toile de Pénélope", de Lucie Roger

 

Premier recueil de poèmes publié de Lucie Roger, par les Éditions du Petit Rameur, "La toile de Pénélope", de Lucie Roger, se compose de dix poèmes en vers libres, parfois assonancés.

Chaque texte est une déclinaison du premier de leur série, intitulé "Pénélope", cette femme légendaire qui vit dans la séparation d'avec l'autre, nommé par la deuxième personne du singulier.

Cependant, la déclinaison est moderne car ici, c'est Pénélope qui voyage. Nombreux sont les lieux visités : Arquià, Marrakech, Tunis, Avignon, Douvres, Égine et Sienne. Mais unique est la séparation.

Si les vers sont souvent courts et rythmés, quand ils s'allongent, le lyrisme prend son envol. Cependant, subsiste toujours leur douceur mélancolique.

Extrait de "La toile de Pénélope", "Sienne", de Lucie Roger :

"Pas un spectacle
La vie, parfois, tourne
Comme ces chevaux
Sur la place del Campo
Battant les pavés recouverts
De sable tels des souvenirs,
Ceux qui ne s'effacent pas.

Pas un spectacle
À regarder chaque jour
Les chevaux soufflent
Souffrent des attelages
De la chaleur écrasante
D'août, suffocant
Comme, même enseveli,
Ce que l'on n'oublie pas.

Pas un spectacle, 
Mais ton souvenir
Tournant dans ma tête
Battant, chassant le sable
Comme ces chevaux
Qui piaffent, hennissent, ruent
Pour qu'on ne les oublie pas."

L'illustration de couverture est de Catherine Merle.

Si vous souhaitez vous procurer "La toile de Pénélope", de Lucie Roger, qui est vendu au prix de 5 € (+ 3 € de port pour une commande de 5 à 30 €), rendez-vous sur le site de l'éditeur : http://www.petitrameur.com/editions.html

mercredi 24 septembre 2025

"À la marge", de Catherine Andrieu

 

Publié par les Éditions Unicité, "À la marge", de Catherine Andrieu est un recueil de poèmes en vers libres dont la caractéristique principale est la puissance, cette puissance qui transforme la réalité en quelque chose de meilleur.

En dix-sept poèmes, l'autrice narre des parcours de vie, souvent féminins, empruntés à la légende, à l'histoire, même contemporaine, ou à sa vie.

Dans chacun de ces textes, plus précisément, sont montrées des situations d'oppression plaçant les protagonistes en marge des vivants ordinaires. Il ne leur reste plus que leur fierté, ce qui ne les empêche pas de continuer à résister. Il en résulte une envie farouche de vivre, malgré les obstacles, envers et contre tous.

Extrait de "À la marge", de Catherine Andrieu :

"Je suis un corps propulsé, une traînée d'éclats,
le sol tremble sous mes pas mais je n'ai plus de poids.
J'arrache l'espace, je fracasse l'horizon,
trop vive, trop brûlante, trop affamée pour m'arrêter.

J'ai l'urgence tatouée dans les os,
chaque battement cogne comme une détonation,
et je refuse d'attendre.
Chaque seconde est une brèche,
chaque instant un combat
contre l'engloutissement.

Je traverse le monde comme une comète,
une déchirure dans le ciel.
Je veux boire la lumière
jusqu'à l'éclatement,
mordre la chair des jours
avant qu'ils ne s'effacent sous mes dents.

Aucune promesse, aucun répit,
rien à remettre à demain.
Tout est là, maintenant,
dans cette fièvre qui me consume,
dans ce vertige qui m'arrache à moi-même,
dans cette course effrénée
contre l'inévitable.

Mais qu'elle attende encore,
cette ombre tapie derrière mon souffle.
Moi, je dévore l'instant
jusqu'à l'os,
jusqu'à ce qu'il n'y ait plus rien à aimer,
plus rien à perdre."

Tout un programme, toute une philosophie de vie.

L'avant-dire est de Catherine Andrieu, ainsi que l'illustration de couverture.

Si vous souhaitez vous procurer "À la marge", de Catherine Andrieu, qui est vendu au prix de 12 €, rendez-vous sur le site de l'éditeur : https://www.editions-unicite.fr/auteurs/Catherine-Andrieu/a-la-marge/index.php

mardi 23 septembre 2025

"Les nuits m'ont porté conseil", de Candice Pebay

 

J'ai découvert par hasard ce recueil (en lisant mon quotidien) de Candice Pebay, intitulé "Les nuits m'ont porté conseil", et publié par les Éditions L'Harmattan.
Il s'agit d'un premier livre d'une très jeune femme. Ce livre est d'ailleurs typique d'une adolescence, avec ses nombreux points d'interrogation (demandes d'explication, de compréhension) et nombreux tourments.

Les poèmes sont rédigés en vers libres qui tendent, la plupart du temps, à devenir des phrases. Les poèmes comptent, souvent, plusieurs pages. Plus rarement, ils ressemblent à des chansons.
Ils peuvent raconter une histoire, plutôt douloureuse. Les tourments de l'autrice, qui semblent venir de son histoire familiale, engendrent des tentatives d'autodestruction, d'où cette tonalité sombre. Il semble aussi que Candice Pebay prennent d'autres malheureux sorts à sa charge, comme pour dresser le portrait d'une génération.
Ainsi, le lecteur suit la narratrice sur ce fil tendu de la fragilité.

Au-delà du style de Candice Pebay, qui n'est pas encore stabilisé, et comporte certains clichés, j'ai aimé "Les nuits m'ont porté conseil", par sa sincérité d'expression, une sincérité bien oubliée quand on devient un adulte, et plus encore, quand on devient un adulte écrivain !

Extrait de "Les nuits m'ont porté conseil", "Ils sont défait vos lits", de Candice Pebay :

"Où vos âmes se sont enfuies,
enfuies dans vos rêves, les filles.
Ils sont déjà défait vos lits.
Plus de prison tenant sur un mètre de lit,
ils ont défait vos lits.
Prisonniers de vos rêves et souvenirs,
prisonniers de vos règles qui l'obligent sans cesse à tenir,
ils ont défait vos lits et, avec, vous êtes partis, je l'espère,
retrouver vos vies que vos parents vous ont prises.
Avant même que vous ayez pu dire oui,
ils ont défait vos lits."

L'illustration de couverture est de Lola Sion.

Si vous souhaitez vous procurer "Les nuits m'ont porté conseil", de Candice Pebay, qui est vendu au prix de 13 €, rendez-vous sur le site de l'éditeur : https://www.editions-harmattan.fr/catalogue/livre/les-nuits-mont-porte-conseil/79403?srsltid=AfmBOoqhbYW1-Ku-haRCw-bG6mLRw4_8n4TWiBEIiRiyvr3eoYnhjJJD

"D'un côté l'autre", d'Élisabeth Morcellet

 

Publié par Tarmac éditions, "D'un côté l'autre", sous-titré "La porte de Janus", d'Élisabeth Morcellet, m'a tout d'abord plu par sa densité d'écriture.
Ces proses sont celles de l'empêchement, qui est décrit par l'empilement d'expressions qui disent à peu près la même chose, mais qui entraînent peu à peu des déplacements de signification, comme si l'on progressait dans sa lecture par ondes concentriques.

L'empêchement est celui de la masse humaine quand il s'agit de se révolter contre l'ordre établi. Car dans ces pages, l'histoire est résolument collective. Ainsi, à la densité de l'écriture répond celle de la population.
L'autrice semble décrire de l'intérieur la naissance des mouvements sociaux, ainsi que leur reflux, ce repli égoïste, cette paresse trop souvent inhérents à l'homme.

Et à la fin, se fait jour, tout de même, un échec social. Et pourtant, ce n'est pas faute d'avoir ressenti la rupture (peut-être illustrée par les confinements de la période Covid). Une prise de conscience existe réellement, s'agissant par exemple du gaspillage des ressources naturelles. L'idéal se fait jour à l'horizon. Hélas, les lendemains déchantent toujours et il ne reste plus que les regrets.

"D'un côté l'autre" montre le délitement de la révolte, après son empêchement, qui se disperse, en fin de cycle, à travers quelques phrases anodines. Paradoxalement, cette légèreté presque décevante montre que peut-être, rien n'est perdu.

Si "D'un côté l'autre" est un livre engagé, il montre avant tout les allers-retours de la conscience collective, cette "Porte de Janus".

Extrait de "D'un côté l'autre", d'Élisabeth Morcellet :

"Avant, donc que ne survienne une cause incontournable de mortalité, incluant les mémoires et les résurgences des êtres disparus, chez les vivants bien portants, à l'intérieur même, qui constamment remplissaient le puits des souvenirs à gogo, il pourrait alors y avoir, une chose ponctuelle inattendue, impliquant un renversement total de situation, une survenue affectant le mécanisme général voire mondial, dans ses facultés à fonctionner, à produire, à nourrir, à protéger, à soigner, à distraire, à cultiver, à enseigner, et donc à fournir chaque besoin selon l'humain, pour le tenir en vie, dans sa capacité à résoudre une crise globale plongeant l'avant d'une époque sereine dans le chaos et l'inconnu d'un après à reconstruire, et c'est ce qui semblait être arrivé sauf si, selon le sens du regard posé…"

L'illustration de couverture est de Calum Fraser.

Si vous souhaitez vous procurer "D'un côté l'autre", d'Élisabeth Morcellet, qui est vendu au prix de 20 €, rendez-vous sur le site de l'éditeur : https://fepemo0.wixsite.com/tarmacachats/d-un-c%C3%B4te-l-autre-de-elisabeth-morcellet

lundi 22 septembre 2025

"En roue libre", de Tristan Felix


Publié par Tarmac éditions, dans sa collection Ricochets, "En roue libre", de Tristan Felix, est sous-titré "12 lettres à la mer".

On peut affirmer que la lettre est un genre littéraire en soi. Sa caractéristique principale est de s'adresser à quelqu'un. Mais on peut aussi s'adresser aussi à quelqu'un qui ne vous écoutera jamais. Voire à quelque chose. Ici, c'est bien le cas. C'est même plus drôle quand ça se passe comme ça : car on peut crier plus fort sa révolte.

Dans ces "12 lettres à la mer", Tristan Felix s'adresse à des êtres à problèmes : un inspecteur des finances, une directrice d'EHPAD, les métronautes, dieu, voire la force de l'ordre, la mort, voire à des êtres qu'elle aime : sa mère, Buster K, Gove de Crustace.
Bien sûr, s'il n'y a pas d'écoute, il n'y a pas non plus de réponse. C'est tout le portrait craché de ce satané lecteur.
Mais le lecteur constitue aussi l'espoir. 
Alors, pour lui, il faut y aller fort. Du coup, le lecteur peut pardonner certains accès de férocité lancés contre une indifférence crasse. D'autant plus que la tendresse, parfois, prend le dessus.
Les petits caractères de "En roue libre" conviennent parfaitement à cette accumulation de mots, parce qu'ils sont précis, et qu'ils s'articulent bien les uns avec les autres. Tout l'art de toucher le lecteur par les mots.

Extrait d'une lettre extraite de "En roue libre", de Tristan Felix :

"            Chère Estelle

             Je sais bien que tu es très morte mais, sait-on jamais, tes molécules flottent peut-être dans les parages, dans le nid venteux d'une mésange, sur le flanc d'une coque de harenguier, dans la main d'un chien pensif, sous une pierre abritant une congrégation de carabes agités, peut-être même dans les lignes que je trace au hasard maîtrisé des images qui sont mes hiéroglyphes. Tu ne liras pas personnellement cette lettre mais j'en diffuse le pollen que tu m'as transmis car poètes, rêveurs et rebelles forment une famille dilatée par l'effroi qu'ils adoptent et domptent. Il est bien possible que quelques-uns t'aient aperçue dans leur champ de visions et captent ces quelques lignes, même sans savoir leur lignage."

Le dessin de couverture est de l'auteur.

Si vous souhaitez lire "En roue libre", de Tristan Felix, qui est vendu au prix de 10 €, rendez-vous sur le site de l'éditeur : https://www.tarmaceditions.com/en-roue-libre

dimanche 21 septembre 2025

"Les enfants sans mistral", d'Anne Barbusse

 
Avec "Les enfants sans mistral", d'Anne Barbusse, publié par les Éditions Unicité, je retrouve un univers familier. Ce livre se rattache, en effet, à la période Covid. Cette période, bien que douloureuse, semble avoir été très productive pour l'autrice, qui l'évoque, du moins, très souvent dans ses autres textes. Sorte d'heure de vérité pour les contradictions humaines.

J'y retrouve également une forme d'écriture familière, ces vers libres, plus ou moins longs, qui tendent à devenir des versets. Cette respiration naturelle qui convient à merveille à l'expressivité des mots d'Anne Barbusse. Ces phrases parfois brutales dont la lucidité leur donne la force d'oracles.

"Les enfants sans mistral" commence de manière tragique par l'hospitalisation de plusieurs jeunes (et notamment du fils de l'autrice) en hôpital psychiatrique, avant que cela soit le tour de l'autrice elle-même.

Bien que la fin du livre paraisse plus apaisée, avec la sortie du confinement, la révolte n'en est pas exempte. C'est le moins que l'on puisse dire. 
Dans "'Les enfants sans mistral", le lecteur, malgré tout, ressent une progression de l'ombre vers la lumière.
À cet égard, l'omniprésence du soleil semble constituer un baume. En tout cas, cette poésie appartient "corps et âmes" au Sud.

Extrait de "Les enfants sans mistral", d'Anne Barbusse :

"Au soir terni tu fermes la porte à la jouissance des vents. Jour déclinant, baignant la table de bois où s'empilent feuilles de papier

La forêt ne vit pas, elle perdure

Les oiseaux s'acclimatent à toute détresse fuyante

Tous les marcheurs sont redescendus dans toutes les vallées

Les arbres nus ont des bras noirs et des doutes squelettiques

La vieille pompe dysfonctionne, l'eau raréfiée a des silences

L'homme est rappelé depuis un an à sa mortalité, et toute sa technologie lui sert si peu

Il ne niera que les chiffres

Ensuite viendra la coexistence

On marchera sans oubli

Toutes les philosophies seront détrônées par des virus élémentaires

Notre empreinte carbone sera notre aveu et notre doute

Les oiseaux tombent, les insectes aussi rares que les pluies

La terre déforestée s'électrocute d'elle-même

Chaque objet manufacturé peut être converti en une simple démission de CO2

Notre impact terrestre est indélébile et tous les divertissements inventés ne seront que fuites en avant

Les industriels ne misent pas sur l'après-monde

De toute manière tu le savais depuis plus de vingt ans, depuis l'arrivée à l'âge adulte, et tous les maires de village te haïssaient pour tes convictions de Cassandre impardonnée

Ta peine est ton miracle

Traduite en mots elle tâche de lutter à contre-courant, combat rescapée de la psychiatrie

Ta peine bordeline et orpheline

Ta peine en distanciel"

L'illustration de la couverture est de Jacques Cauda.

Si vous souhaitez vous procurer "Les enfants sans mistral", d'Anne Barbusse, qui est vendu au prix de 13 €, rendez-vous sur le site de l'éditeur : https://www.editions-unicite.fr/auteurs/Anne-Barbusse/les-enfants-sans-mistral/index.php

samedi 13 septembre 2025

"Marche lynx", d'Olivier Benoit Gonin

 

Publié par les Éditions Le Clos Jouve, "Marche lynx", d'Olivier Benoit Gonin, est un livre de poèmes dédiés à la vraie nature, celle qui se situe… dans la nature, à l'écart des villes, dans ces endroits préservés, que l'on nomme, par exemple, parcs naturels.

Il faut dire que "Marche lynx" est l'œuvre d'un spécialiste, Olivier Benoit Gonin, ornithologue de profession, mais poète par passion.

Cependant, ses poèmes ne constituent pas des cours déguisés. Ils relatent à la fois sans fioritures et avec précision, les planques d'un homme qui communique ce en quoi il croit.

La beauté de ces apparitions qu'il cherche et trouve. La sensation de bien-être général que cela procure, d'être dans un monde préservé. Et aussi une impression inoubliable de liberté.

Ainsi, dans ces poèmes en vers également libres (!), se fait entendre une véritable parole militante.
En témoigne, par exemple, ce texte :

"La révolte des non-humains
N'est pas assez chaotique
Pour votre luxe

Dans mon souffle
La peine des abeilles
Le miel au goût du sang

J'ai pleuré
Quand j'ai vu cet homme
Remettre à l'eau
Un requin sans nageoire dorsale

Ma révolte n'est pas assez violente

Nous ne plantons que des cactus en plastique
Il n'y a pas de conscience qui bronze sur la plage
Où tout le monde ouvre son parasol

Les méduses les anémones le corail
Finissent de blanchir

Touriste passager tu écris
Dans ton sillon
L'interdiction de vivre"

La préface de "Marche lynx" est signée Luc Jacquet, réalisateur, notamment, de "La Marche de l'empereur".

Si vous souhaitez vous procurer "Marche lynx", d'Olivier Benoit Gonin, qui est vendu au prix de 17 € (+ 5 € de frais de livraison), rendez-vous sur le site de l'éditeur : https://editions-leclosjouve.org/all_page.asp?page=62&article=195

dimanche 7 septembre 2025

"Dystiques", d'Éric Dejaeger

 

Publié par les Éditions Tirtonplan, "Dystiques", d'Éric Dejager propose une poésie régulière, à la forme rigoureusement choisie.
Et pour preuve : chacun des cents très courts poèmes publiés dans ce recueil comprennent deux vers (des dystiques) aux terminaisons identiques, d'où des rimes très riches, en lieu et place de pauvres assonances, et aussi des jeux de mots à perte de vue.

Bon, malgré tous ces efforts fournis par l'auteur, je ne suis pas certain que les tenants de la poésie classique apprécieront cette œuvre, pourtant joliment bien troussée.
Car il y est souvent question de la trivialité des corps, surtout sexuelle d'ailleurs !

C'est peut-être pour cela que le titre est "Dystiques" et non "Distiques", comme un grain de sable (une dystopie) dans la routine des représentations trop sages qui l'emportent hélas toujours.

Quelques exemples :

"Pour tout rapport sexuel dans la vase, Line
Se munissait toujours d'un pot de vaseline."

"Contre une appétence incoercible, Arthur lutte :
Ce type est foutrement obsédé par turlutte."

"Voudrais-tu écouter un air de cornemuse
Pour t'échauffer juste avant que ton corps ne m'use ?"

"Ne fais pas attention quand ce crétin porc tance,
Dont les élucubrations n'ont point d'importance."

"Cherchant en vain l'expo - thème : Protozoaire -
Fatigué, dépité, l'ancien prote au zoo erre."

La couverture, intitulée "Georgette et René (Ceci n'est pas un 69)", est un bricolage de l'auteur.

Si vous souhaitez vous procurer "Dystiques", d'Éric Dejaeger (pas de prix de vente indiqué), pour tout renseignement : ericdejaeger@yahoo.fr

vendredi 18 juillet 2025

"Les mères sont très faciles à tuer", d'Anne Barbusse

 


Publié par les éditions "Pourquoi viens-tu si tard ?", "Les mères sont très faciles à tuer", d'Anne Barbusse, est une sorte de journal de poésie.

Derrière son titre qui pourrait passer pour provocateur ("Les mères sont très faciles à tuer"), se cache une vérité éprouvée au fil des pages.

En effet, ce livre raconte, au jour le jour, la séparation d'une mère avec son fils. Il n'y a pas de véritable évolution, mais plutôt un présent permanent. L'autrice détaille les sentiments et signes d'abandon que cette séparation vitale entraîne.

Sont évoqués la nature alentour, l'extérieur, plus encore que l'intérieur de la maison, ce qui donne à ces textes une tonalité solaire, même si trop de soleil parfois, on dirait…

Bien sûr, il y a de la révolte aussi, donc de la vie.

À noter également la référence à de nombreux films, dont certaines séquences sont rappelées.

C'est d'ailleurs la caractéristique principale de ce livre. Ses images visuelles, continuelles, qui se coulent en continu dans un torrent de mots (se lisant beaucoup mieux que des poèmes en comportant pourtant bien moins).

Il y a, dans ces poèmes en vers très libres, une spontanéité qui n'exclut pas la richesse de la vision de détail. 
Ainsi, la poésie irrigue naturellement les veines du lecteur.

Extrait de "Les mères sont très faciles à tuer", d'Anne Barbusse :

"les propriétaires des maisons souffrent plus que les pierres de leurs
maisons
dans la société ils arborent visages normaux
ils cachent leur maladie chez le boulanger au matin ou dans la queue 
de la poste
ils ne laissent rien voir de leurs abandons et des plaies fraîches des
séparations
ils avancent ils marchent ils parlent les mots de tous les jours ouvrés
les maisons n'ont que faire de leurs propriétaires
elles se dressent face aux vents du ciel et aux orages du ciel
elles sont l'avantage des femmes sans affects
elles se comportent comme des hommes taiseux et violents
et vont plus loin que nous dans l'absolution des péchés
- elles ont pourtant, dans la brûlure de l'été, la fraîcheur douce et
maternelle
comme des mères éplorées et attaquées dans l'expression la plus
cachée de leur affection claire, et le murmure des eaux des rivières
qui descendent la pente du monde tout en riant, elles ont pourtant,
parmi les fruits sucrés et les caresses odorantes des plantes, elles ont
pourtant la réserve des piétas ridiculisées de l'intérieur, qui se couchent
sur le lit des veuves et
cessent de s'alimenter dans la nuit, cessent même d'être piétas, et
belles -
les maisons et les mères sortent alors dans les jardins
et les pêches roses et les pêches blanches sont cueillies sans indifférence
et le duvet dévoile la chair sucrée du jour, à l'ombre des corps"

L'illustration de couverture est de Catherine Andrieu.

Si vous souhaitez vous procurer "Les mères sont très faciles à tuer", d'Anne Barbusse, qui est vendu au prix de 14 €, rendez-vous sur le site de l'éditeur : http://www.association-lac.com/editions/catalogue.html#05

jeudi 17 juillet 2025

"La nuit s'ouvre d'un trait", de Luc Marsal

 



Publié par les éditions Encres Vives, dans la collection "Encres Blanches", "La nuit s'ouvre d'un trait", de Luc Marsal, pourrait être un ensemble beaucoup plus noir.

En effet, il évoque, en ses quatre parties, tout particulièrement la perte (de ses parents), et plus généralement le déclin du temps qui passe, le vieillissement (celui de l'auteur).
Cependant, la couleur blanche, même si elle peut être celle du deuil, sied bien à ces poèmes. 

Leur encre noire ressort très nettement sur la page et ce n'est pas, bien entendu, qu'une apparence typographique.

Les vers courts amènent du rythme, et donc de la vie. Et l'emploi fréquent de la première personne du singulier n'a pas non plus pour effet d'enfler le lyrisme. Ce qui ressort plutôt ici, c'est la relativité de la personne, au milieu de tout ce deuil, comme une façon de s'excuser de vivre…

Extrait de "La nuit s'ouvre d'un trait", de Luc Marsal :

"C'est l'hiver
je sors de terre
face au vent    face au froid
fragile comme une plume
- j'appartiens au monde
des mourants

J'entends flotter dans l'air
des parfums oubliés
des flocons d'innocence
des traces de moi-même
Noël approche encore

Je compte les silences
les faux-semblants
les étoiles en carton
les guirlandes qu'on accroche
au cou des enfants sages

Je tire un trait sur hier
le long des cordes raides
des odeurs de sapin
des illusions perdues
l'horizon en miroir

Je rêve de soleil
de silence et de paix
- les jours s'allongent enfin"

Si vous souhaitez vous procurer "La nuit s'ouvre d'un trait", de Luc Marsal, qui est vendu au prix de 6,60 €, contact de l'éditeur : encres.vives@gmail.com

mercredi 16 juillet 2025

"Moi, Président", de Bernard Deglet

 


Publié par les éditions Grox Textes, "Moi, Président", de Bernard Deglet est un recueil atypique. Je ne sais pas si c'est vraiment de la poésie, mais ce n'est pas très grave.

L'intérêt est ailleurs. On trouve dans ces pages un vrai discours fleuve, constitué de paragraphes courts, presque des versets (la politique est une religion).

Et d'ailleurs, il est difficile d'identifier des parties dans ce livre, parties qui sont pourtant listées en fin de volume. Or, j'aime le fait que la construction d'un livre ne soit pas facilement repérable.

"Moi, Président" détaille donc les différentes facettes de son programme. Ce descriptif fouillé est interrompu, à intervalles réguliers, par une idylle vécue par notre Président. Tout rapport avec des faits existant ou ayant existé ne serait bien entendu que fortuite, n'est-ce pas ?

Mais reprenons le travail. C'est encore le programme politique du Président que je préfère. J'aime ce ton de fine cruauté qui transpire de chacune des étapes de son discours.
Ainsi, la vérité se fait jour ici, malgré toutes les bêtises que l'on essaye de nous faire gober dans la "vraie vie".

Extrait de "Moi, Président", de Bernard Deglet :

"Moi, Président, je ne serai ni de gauche

Moi, Président, vous croirez comme les enfants que le monde a des règles et qu'il suffit de les suivre

Moi, Président, tout le monde aura la place qui lui convient le mieux.

De nombreux prolétaires seront diplômés, de nombreux chômeurs seront radiés, de nombreux professeurs vacataires, de nombreux intermittents à la rue, de nombreux intérimaires à l'agence, retraités cancéreux, immigrés sans papier, agriculteurs chez l'huissier

Une bonne part de la cheffaillerie sera outplacée

Vous aurez à être là comme si vous n'y étiez pas mais puisque vous y serez, vous ne devrez en aucun cas agir / réagir comme si vous n'y étiez pas


Moi, Président, il conviendra toutefois de ne pas se laisser distraire"

Le dessin de couverture est de Clara Mathieu.

Si vous souhaitez vous procurer "Moi, Président", de Bernard Deglet, qui est vendu au prix de 7 €, rendez-vous sur le site de l'éditeur : https://grostextes.fr/publication/moi-president/

dimanche 8 juin 2025

"Une odeur de fiction", de Murièle Camac

 

Sixième recueil de Murièle Camac et deuxième publié par les Éditions Exopotamie, "Une odeur de fiction", malgré son titre (qui pourrait le laisser penser), ne fait pas allusion à un quelconque roman ou récit continu.

Ce livre étonne plutôt par ces constants changements de décors (on passe du cinéma américain à l'opéra, et on connaît même un séjour à l'hôpital, déjà moins drôle) et autres voyages, comme si l'autrice ne voulait pas se fixer trop longtemps au même endroit. Marque de pudeur ? Comme un air de ne pas y toucher, tout en y touchant déjà pas mal. Marque d'humour, à retrouver avec ce style si caractéristique, chez Murièle Camac, qui use de poèmes aux vers souvent courts, mais surtout aux arêtes coupantes, rythmés courts également, avec ces raccourcis qui pincent le cœur, et la dérision en supplément.
Un vrai bonheur de lecture, en tout cas. Sans prises de têtes et avec finesse.

Deux extraits de "Une odeur de fiction", de Murièle Camac. Tout d'abord, le deuxième poème de la série "Hollywoode" :

"C'est plus difficile qu'il n'y paraît
d'éliminer complètement John Wayne
son cadavre va puer de loin

Ça perturbe le scénario
et le décor - genre Mauvais Pays
sans acteur principal

On risque de se retrouver avec quoi
une absence de paysage
un rideau sans tissu synthétique

Rien à voir.

Ou alors des bouts de maison
collés à un vieux mur
comme des chewing-gums sous une table
des trucs qu'on n'aurait pas dû voir
des preuves de culpabilité

Il faudra tout réécrire.

- Évidemment que ce n'est pas si facile
sinon il n'y aurait pas de film

Et j'aurais pu être cow-boy moi aussi
mais je n'avais pas de vaches"

Et "Trottoir" :

"Je me tiens sur le bord, comme si j'allais faire signe.
Faire sens.

Mais je n'ai plus d'argent pour un taxi.
J'ai un gros sac un peu sale.

Torpeur, décalage horaire.
Je me tiens dans le brouillard.

Je cherche les transports.
Il faudra déballer tous les paquets, sortir tous les
    souvenirs.
Une station de métro, si possible.
raconter ce qu'on a mangé, où on a marché.
Ne pas se tromper de direction.
Ou un arrêt d'autobus.

L'idée c'est de rentrer chez moi, oui.
Avec des bagages.
En payant pas trop cher."

Si vous souhaitez vous procurer "Une odeur de fiction", de Murièle Camac, qui est vendu au prix de 17 €, rendez-vous sur le site de l'éditeur : https://exopotamie.com/products/une-odeur-de-fiction

"Poèmes dévalés" suivi de "Ivre de cabanes", de Pierre Gondran dit Remoux

 

Publié par PhB éditions, "Poèmes dévalés", suivi de "Ivre de cabanes", de Pierre Gondran dit Remoux, est un livre composé de deux grandes parties, assez dissemblables.

Les "Poèmes dévalés" sont des textes en prose justifiée qui évoquent surtout la ville (hormis la partie centrale, intitulée "Expansion de la louve"), tandis que "Ivre de cabanes", est constitué de poèmes en vers libres qui évoquent la campagne.

Ici, forme et fond sont au service l'un de l'autre. La forme de la prose justifiée des "Poèmes dévalés", les nombreuses répétitions, cassures, communiquent l'impression de mal respirer. Au contraire, dans "Ivre de cabanes", le lecteur retrouve son souffle. Les mots laissent place à des trouées végétales. C'est parce qu'il y a moins d'humains qu'à la ville, ces fauteurs de troubles bien connus !

Derrière cette apparente opposition, existent également des passerelles entre ces deux manières d'écrire : densité, précision. La nature semble peuplée par la ville. Ses frémissements, halètements sont ceux d'un monde que l'on perd l'habitude d'entendre. En même temps, la sauvagerie de la nature semble se communiquer à la ville. Quand les humains redeviennent des animaux, ce n'est pas beau à voir.

Un extrait de "Poèmes dévalés", de Pierre Gondran dit Remoux (ci-dessous, en image, pour ne pas abîmer la disposition justifiée) :


Et un autre, extrait de "Ivre de cabanes", de Pierre Gondran dit Remoux :

"Selon les principes du bonheur maximal,
C'est à l'âge où un enfant s'intéresse aux hannetons
Que tu avais vécu
La "grande armée des hannetons".

Une odeur douceâtre de viande oubliée
Avait envahi la campagne.
Les torchons volaient dans les cuisines.
Des seaux de lait étaient perdus. Les vieux criaient

À la calamité centennale.
Une masse tomenteuse et grouillante s'abattait
Chaque soir sur les vergers où les gamins
Hannetonnaient en silence - nos hourras

Du premier jour l'avaient cédé à l'effarement."


"Jaillir dans la clairière
Se figer, menton à l'épaule,
Disparaître

Être chevreuil, un instant"

Si vous souhaitez vous procurer "Poèmes dévalés", suivi de "Ivre de cabanes", de Pierre Gondran dit Remoux, qui est vendu au prix de 12 €, rendez-vous sur le site de l'éditeur : https://www.phbeditions.fr/Accueil.html

"Les mille et une maisons de Maman", de Didier Trumeau

 

Publié par les Éditions Enitram Treab, "Les mille et une maisons de Maman", de Didier Trumeau est un livre de proses poétiques constituée de deux parties. La première est celle qui donne son titre à l'ensemble. La seconde s'intitule "MgM", qui peut signifier "Maison de grand-mère" ou "Ma grand-mère".

Ces deux ensembles se complétant, comme leurs titres l'indiquent, ne sont pas de même nature.
Dans "MgM", Didier Trumeau évoque avec précision Saint Laurent, un village du Cher, où vivait sa grand-mère, et surtout la maison dans laquelle elle habitait. C'était quelque chose, les maisons, en ces temps-là, ce n'était pas des endroits que l'on quittait facilement, pour un oui ou pour un non ! 
Dans "Les mille et une maison de Maman", Didier Trumeau semble imaginer toutes les demeures pouvant accueillir sa mère. Il y en a beaucoup de bancales, parfois de roulantes - il faut le reconnaître - mais toutes sont empreintes de vie. D'ailleurs, beaucoup de place est nécessaire pour héberger l'auteur et ses frères et sœurs...
Ce qui ressort avant tout de ces habitats, malgré leur imperfection, c'est leur valeur de protection.
Le lecteur, en lisant "Les mille et une maisons de Maman", ne peut s'empêcher de se dire que la maison idéale doit ressembler au ventre de sa mère...

Le point commun de l'ensemble de ces textes est la sincérité touchante qui s'en dégage (une qualité rare en poésie, et plutôt abhorrée : pas assez de formalisme pour les ci-devant), mais également leur précision (par exemple, dans l'évocation de la vie animale et végétale gorgeant la rivière "Le Barangeon") et surtout l'imagination dont fait preuve l'auteur pour décrire ces lieux de vie.
À noter enfin, quelques belles formules, par exemple : "Une maison doit être comme un ventre de mère, chaud, sûr, tranquille, harmonieux, confortable, paisible, spacieux - mais pas trop, attention à la promiscuité, à l'évacuation forcée et parée pour une longue traversée, un long périple pour l'éternité…", ou "Construire sa maison c'est la solution. La maison des autres ne convient jamais".

Extrait de "Les mille et une maisons de Maman", de Didier Trumeau :

"Maman aimait beaucoup changer l'aménagement de la maison. L'argentier qui passait à l'ouest, le buffet au sud, la télé au nord, et le canapé à l'est. Ce n'était pas tant la disposition des meubles qui posait problème que le côté installation. La table les pieds en l'air posé sur les chaises, le frigo allongé, avec l'ensemble hi-fi le haut en bas, que les chaises les unes sur les autres évoquant une pyramide au destin instable, que les photos et les tableaux au plafond. Tout était sens dessus dessous, et la notion d'espace de hauteur et de longueur ne s'associait pas avec la largeur. Nous aurions pu marcher sur la tête…"

Précisions de l'auteur : "La maison de la première de couverture est celle de mes grands-parents après qu'elle ait été transformée en salle municipale."
De plus, quelques pages sont laissées à la fin du livre afin que celles et ceux qui le désirent puissent décrire leur maison de Maman.

Si vous souhaitez vous procurer "Les mille et une maisons de Maman", de Didier Trumeau, qui est vendu au prix de 15 € (+ le port : 4 timbres), contact : enitram.treab@orange.fr

jeudi 5 juin 2025

"La fenêtre est restée ouverte", d'Élise Feltgen

 

Publiée dans la collection Polder de Décharge, "La fenêtre est restée ouverte", d'Élise Feltgen est une suite de poèmes en vers libres, plus rarement proses.

Avec ce recueil, j'ai vraiment l'impression d'être revenu aux fondamentaux de la poésie, à savoir qu'elle décrit des sensations surgissant à brûle pourpoint.

De ce point de vue, le titre - "La fenêtre est restée ouverte" - me paraît très révélateur de ces échappées du quotidien : "La fenêtre est restée ouverte", pour accueillir la poésie, pourrait-on ajouter.

Le corps qui écrit réagit à la vue, à ce qu'il entend ou ressent avec ses membres (le vent, la chaleur…).

Il y a plusieurs temps dans ce texte : à ces sensations plus élémentaires, répondent des poèmes montrant que la révolte n'est pas absente de ces pages. D'ailleurs, cette dernière est davantage suscitée par les provocations des médias que par la réalité des choses.
La fin du recueil est consacrée au processus d'écriture d'un poème, toujours unique.
Oui, à travers ces textes, et grâce à leur lyrisme, ces poèmes se montrent plus vivants que ceux qu'il m'arrive de lire la plupart du temps. Ils dépassent sans peine le stade du discours et des meilleurs vœux en vers !...

Extrait de "La fenêtre est restée ouverte", "Prière pour les ronces", d'Élise Feltgen :

"Nos maisons sont des maisons de brume
nous les habitons si peu
et nos mots errent dans l'espace
les mains que nous rencontrons
    s'évanouissent
les yeux hésitent
c'est à peine si nous pouvons toucher
notre propre corps
les fils électriques puisent autour une
    beauté intense
tandis que grandit l'immense gouffre
de nos mélancolies
la nuit mesure l'inconsistance du monde
et comme les samares de l'érable
    tourbillonnent au vents
nos âmes s'évident et se fractionnent
l'épine du chardon peut-être
enroulera à l'envers
le fuseau de l'enchantement"

La préface, intitulée "medication time", est d'Aldo Qureshi.
La première de couverture est de Denys Moreau.

Si vous souhaitez vous procurer "La fenêtre est restée ouverte", d'Élise Feltgen, qui est vendu au prix de 7 € (+ 2 € de frais de port), rendez-vous sur le site de l'éditeur : https://www.dechargelarevue.com/Polder-205.html

lundi 26 mai 2025

"L'odeur du graillon", de Rémi Letourneur

 

Publié par Cheyne Éditeur, dans sa "Collection Grise", "L'odeur du graillon" est le premier livre de Rémi Letourneur.
Ce recueil de poèmes en vers libres se divise en sept parties, parcours d'une semaine complète.
À part que là, le narrateur ne se repose pas le septième jour. Il repart plutôt à l'aventure, à la recherche de quelque graille.

"L'odeur du graillon", trait d'union de toutes ces journées, ponctue chaque séquence du livre.
Le narrateur, après avoir plaqué ses parents retournés en enfance (point de départ de la révolte en cette première journée), part en errance, à la rencontre de la "vraie vie".
En vérité, il ne bouge pas tant que ça, passe sa journée à traîner dehors. Oui, mais il y rencontre une communauté qui semble solidaire, la communauté de celles et ceux qui se révoltent contre l'ordre et retrouvent la matérialité - devenue sauvage à cause de tant de confort ordinaire - des choses.

"L'odeur du graillon" est pour moi un texte limpide, qui doit se lire vite, au rythme de ses vers souvent coupés courts, comme quand on agit, texte à la fois narratif et rempli d'images nettes, qui donnent du souffle à l'ensemble. 

Bref, un très bon recueil de poèmes, sans que l'on ait à s'occuper qu'il soit le premier ou pas de son auteur, en fin de compte !

La préface de "L'odeur du graillon" de Rémi Letourneur est de Bruno Berchoud.

Extrait (le début de la cinquième partie) :

"limpide j'étais
sans béquille dos bien droit les cheveux sur le nez
avalé plein de bornes
je jure
mes semelles aussi ont besoin de graille
j'ai ratisssé
aux déserts de la ville
les rues qui ne portent pas de façade
cramponné mes doigts sur des rampes de poussière
nagé dans l'air des zones industrielles
où rien ne se touche avec la peau
où tout flotte
dans les marais d'aluminium

avalé tonnes de bornes j'ai fait
remonté en rappel
le fil jaune des routes départementales
piétiné les quartiers
qui se couchent de jour
et tirent leurs stores à la bougie du soir
fait aussi
pénétré la matière et son silence de pschit
tout ça j'ai fait
j'aimais
le mouvement de mes bras contre les rebords effacés
        du monde

limpide j'étais
je tenais ma solitude par la taille

personne pour m'empêcher de chier par terre
de glisser
dans le flux des jouissances qui s'allongent
        comme un blanc d'œuf
personne
pour me cacher les ciels
les bouts de toits
et les paupières du soir cobalt
aguicheur
rien que pour moi
je me racontais des voyages qui n'arriveraient pas
tapais d'énormes branlettes
sur les seins en terre rouge
du terrain vague (...)"

Si vous souhaitez vous procurer "L'odeur du graillon", de Rémi letourneur, qui est vendu au prix de 18 €, rendez-vous sur le site de l'éditeur : https://www.cheyne-editeur.com/livre/productidn/3073395/lodeur-du-graillonrmi-letourneur

mercredi 21 mai 2025

"Murs / Fragments de chantier", de Charlotte Minaud

 

Publié par "Décharge / Gros Textes", dans sa collection Polder, "Murs / Fragments de chantier", de Charlotte Minaud, m'a fait plaisir à découvrir.

Il y a longtemps que je n'avais pas lu de livre consacré totalement au travail manuel. Rien qu'au travail, c'est déjà rare ! Mais au travail manuel, c'est carrément un exploit.

Mes ascendants étaient des travailleurs manuels. Alors, même si aujourd'hui, je bosse au bureau, je n'oublie pas mes origines. Et les chantiers, ça me rappelle beaucoup de souvenirs. Donc, je peux confirmer qu'il y a là du vécu. La dureté du travail, le caractère répétitif de certaines tâches (rendu à travers le geste de "poncer"), son anonymat face à l'indifférence qu'il suscite alentour, tout y est.

Il faut dire que l'ambiance des chantiers semble être moins à la bonne franquette qu'autrefois. Le recours à l'intérim et à la sous-traitance diminue la solidarité entre les travailleurs, qui perdent leurs collègues une fois le chantier fini avant d'en trouver d'autres etc.

Le style de ces proses traduit bien cette ambiance. Le lecteur y trouve des phrases courtes, hachées, avec un recours très fréquent à la forme infinitive et au pronom indéfini "on".

Malgré tout, une fois ce recueil refermé, bien que le côté négatif des chantiers soit surtout montré, je ne parviens pas à trouver l'ensemble déprimant. Sans doute parce qu'il se situe d'emblée dans l'action.

Extrait de "Murs / Fragments de chantier", de Charlotte Minaud :

"Murmurer aux murs sa peine sa douleur. Sans cesse. Ses mots de trop. Retrouvez chacun d'eux, vous saurez. La peine, la douleur. Physique. Mentale. Il en faut du courage pour enfiler les blancs. Sales et informes. Il en faut du courage. On en manque pas. Non. On en manque pas. Et dans tous les murs des peines et des douleurs. Imprimés. Marqués. Tendez. Tendez oreilles. Ouvrez cœur à la peine. Et vous saurez."

La préface de "Murs / Fragments de chantier" est de Virginie Gautier. La couverture est l'œuvre de l'"Atelier des échelles", dont fait partie l'autrice.

Si vous souhaitez vous procurer "Murs / Fragments de chantier", de Charlotte Minaud, qui est vendu au prix de 7 € (+ 2 € de frais de port), rendez-vous sur le site de l'éditeur : https://www.dechargelarevue.com/Polder-206.html

vendredi 16 mai 2025

"Seuls les œufs durs résisteront", de Thibault Marthouret

 

Sixième livre de poésie publié par Thibault Marthouret, cette fois-ci par Backland éditions, "Seuls les œufs durs résisteront" déconcerte de prime abord par son titre, formule sans appel et qui pourrait sonner comme la seule certitude d'une vie, à vrai dire, assez… inattendue !

Puis, à la lecture de "Seuls les œufs durs résisteront", je reste bluffé par la richesse de son contenu, champ lexical étendu, vocabulaire plus ou moins soutenu au cours d'un même poème, bribes de conversation, changements d'angles de vue permanents. Chaque poème de ce livre tient debout avec cet attelage pourtant impressionnant, voire improbable, ce qui inclut les changements de direction rapides, les raccourcis qui visent en plein cœur ("Vivre revient souvent à trouver une solution / pour finir par s'apercevoir qu'elle est inadéquate / ou abominable"), bref l'imprévu et donc la poésie qui en découle.

Alors, qu'en est-il des œufs au milieu de tout cela ? Pour moi, je l'interprète comme une image du plus petit lieu indivisible de vie possible. Plus resserré encore que cette île où l'auteur situe ici le lieu d'une résidence d'écriture.

À l'intérieur de ce monde dont Thibault Marthouret montre l'éclatement extrême, il n'est pas facile de s'y retrouver. Le poète, dans son intimité, s'y sent quelque peu déboussolé. Mais moi, en tant que lecteur, j'aime m'y perdre.

Il y aurait même de la solitude dans l'air que la multiplicité de genres et d'interlocuteurs (ils, elles, toi surtout), questionnés à travers d'incessantes tentatives de dialogues, tendrait à accroître.

Le résultat de ces explorations pourrait être désespérant : à quel sein se vouer donc ? Mais non, à aucun moment, les poèmes de "Seuls les œufs durs résisteront" ne sombrent dans cette déprime. Ils gardent davantage d'objectivité, s'amusant même de ces problèmes de communication dans le couple ou au-delà.

L'impression de ne pas être toujours à sa place n'est pas si déstabilisante. Car elle relève du quotidien dans lequel nous sommes tous embarqués. Seul un poète peut reconnaître la distance qui le sépare d'une réalité trop brute et l'accepter (cet aveu d'impuissance dérangerait des personnes plus terre à terre).

Extrait de "Seuls les œufs durs résisteront", "C'est ton signet" de Thibault Marthouret : 

"Tu me lis.
Je sens tes cils entre mes lignes.

Mes pensées nocturnes étaient les tiennes.
Tes rêves se dissimulaient dans les miens
pour passer la douane de l'aube.

Quand je m'endors, t'endors-tu encore ?
Glisses-tu ton pouls dans mon pouls ?
Ton arme blanche dans l'obscurité de mon sommeil ?

Dors-tu quand je dors ou bien quoi alors ?
Tu gaines mes nerfs et te retires.
Tu dénudes mes fils, avales mes décharges

nous oblitères

dans le silence électrique où tu palpites
pulsatile dans mon palpitant je te sens
tu me lis je te sens

j'efface deux emails deux messages indésirables
ouvre un melon dans ma tête
pâle orange en plein décembre pour t'échapper

melon mental hivernal
tranché - une demi-lune t'éclipse

mais comment m'endormir
quand j'ignore à quoi tu occupes nos nuits ?
Lesquels de tes rêves mauvais vas-tu me léguer en plein jour ?

Tu me lis et je sens ton souffle
sur le grain de ma vie
sur la peau rougie de mon île en hiver.

Tu me lis et me réveilles
referme l'ouvrage d'un coup sec.

Sur mon visage ton épaisseur de plâtre.
Sous mon visage de plâtre ton épaisseur
ta nuit gonflée de vaisseaux sanguins

ton t-shirt militaire sous mon melon d'hiver
kaki sous le pâle orange
ton marque-page dans ma nuit blanche

je sens tes cils entre mes lignes
ton signet - ma colonne
la même lune dans le caniveau de nos veines."

Si vous souhaitez vous procurer "Seuls les œufs durs résisteront", de Thibault Marthouret, qui est vendu au prix de 17 €, rendez-vous sur le site de l'éditeur : https://www.backlandeditions.fr/produit/seuls-les-oeufs-durs-resisteront-de-thibault-marthouret/

mercredi 2 avril 2025

Polder Quatrième Génération

 

Coédité par Décharge et Gros Textes, "Poler Quatrième Génération" est, comme son titre l'indique, une anthologie, plus précisémment de poèmes parus dans la collection "Polder", supplément à l'ex-revue "Décharge", et qui continue d'exister, depuis la disparition de la revue.

"Quatrième Génération", car il s'agit de textes parus de 2014 à 2023, alors que cette collection Polder, existe depuis 1981, d'où les quatre générations s'y succédant, comme le rappelle Jacques Morin, l'initiateur des Polder.

J'apprécie tout particulièrement la diversité de ces éditions qui contraste avec l'élitisme affiché par maints autres éditeurs. Ce petit livre, par ses dimensions, mais pas par son contenu, rappelle la valeur de tous les styles, même s'ils sont différents les uns des autres, du moment que le résultat est réussi.

Bien entendu, cela rend cette chronique plus difficile à écrire (!), car il n'y a pas de fil conducteur, autre que chronologique, pour présenter l'anthologie.

Plusieurs tendances, malgré tout, se dégagent, dans la sélection de textes effectuée par Georges Cathalo, que je vais tâcher de lister ci-après :

- poètes dont les textes s'inspirent du quotidien, d'inspiration plus ou moins anglo-saxonne, et parfois teintés d'humour : Birnbaum, Radière, Sapin, Valougeorgis, Boutreux, Guimo, Barré, Papin, Desseigne;

- poètes dont les textes sont davantage emprunts de lyrisme : Landriot, Zimmermann, Bruch, van der Pas, Moati, Oucif, Serbourdin, Miguet, Le Berre, Naggar;

- poésies de voyages : Martin-Boche et Moreno;

- poètes dont les textes mettent davantage en valeur la préciosité du style, sa précision d'orfèvre (parfois scientifique) ou sa verticalité d'expression : Godichaud, Nédelec, Bralda, Nalet, Talhouarn, Gaydon, Gondran;

- poètes dont les textes se situent dans le prolongement du surréalisme : Hamel, Gonzales;

- poètes dont les textes cherchent à traduire la vitesse de la pensée, s'inspirent de la spontanéité de l'oralité, ou travaillent sur la langue : Torlini, Le Divenah, Tournier, Rouxeville, Zhiri, Benedetto, Rouzin, Boulle, Quoirez, Cursoux.

Même si je n'aime pas les étiquettes qui se décollent vite, suivant la subjectivité des lecteurs, cette tentative de classement est juste là pour signaler la belle diversité de "Polder Quatrième Génération".

Claude Vercey conclut le livre en ouvrant la collection sur le futur, éclairant la singularité des parcours de chacun des poètes publiés ici.

"Polder Quatrième Génération" est dédié à Patrick Le Divenah et Daniel Birnbaum qui sont décédés depuis la parution de leurs recueils dans la collection.

Les illustrations (dont celle de couverture) sont d'Yves Barré.

Extrait de Kaïros, de Nathaëlle Quoirez :

"20 h 37
depuis
sans le dieu
je n'ai plus de vision

la mort du rêve est immédiate
comme l'eau non mariée
s'attache au précipice

nuit
désordre du vocable
en moi s'est confiée l'ombre
incunable évoqué

en moi
dans mon corps de patience
apprentis de l'horloge
le vice de fermeture

j'ai crainte."

Si vous souhaitez vous procurer "Polder Quatrième Génération", qui est vendu au prix de 12 € (frais d'envoi compris), rendez-vous sur le site de l'éditeur : https://dechargelarevue.com/-La-collection-Polder-.html

mardi 4 mars 2025

"En quittant l'image", d'Hugo Fontaine

 

"En quittant l'image", d'Hugo Fontaine, publié par les Éditions Gros Textes, est un recueil poétique sans formes figées. Tantôt courtes séquences en prose, tantôt courts poèmes en vers libres.
Hugo Fontaine nous emporte dans son écriture, comme dans un chaos intérieur, le sien, apparemment.
Ça parle de déplacements, souvent. "En quittant l'image" pour aller ailleurs, pas forcément très loin, voire même à côté. Sans doute aussi pour mieux retrouver le pouvoir de l'image, pas celle qui fige, mais celle qui surprend. 

Ainsi, ce volume, petit par la taille, fourmille de raccourcis saisissants, à forte teneur poétique.

Extrait de "En quittant l'image", d'Hugo Fontaine :

"Conquérir l'autre côté sans attendre la bénédiction des couleurs.

Il traverse le rouge pour construire de nouvelles températures, quelques lignes pour buter dans le parpaing. La frontière est liquide, bourrée de sulfate et de bulles de gaz.

Le voilà devant les autres bruits de la ville, il dit que la fièvre est une couleur inexistante comme le noir dans la nuit.

Il trace son corps, s'inscrit, grave sur le bitume, le soleil tape à la machine, le soleil tape la route, le soleil frappe le sol, le goudron pleure, la surface du texte est molle, la gravité, riche, la rouille une belle couleur, la chaleur aime voir le mot flasque surgir et creuser une nouvelle voie de circulation pour les gros véhicules.

L'architecture est plate. Quand il marche l'impact sonne comme une faute de frappe dans l'œil de l'autre, une marque noire. Puis le passage d'un camion, trou béant sur l'A13 qu'il a lu dans la gazette. Tout se bouche, même le ciel qu'ils disent aux infos.

Il peint, perce le rythme, le passage des motos une nouvelle perspective. Il persévère, klaxonne pleine bouche, pour dire bonjour à personne. 
Dessine une réalité, quitte les étoiles, imagine parfois faire l'amour à côté la gamelle du chien.

(...)"

Si vous souhaitez vous procurer "En quittant l'image", d'Hugo Fontaine, qui est vendu au prix de 6 €, rendez-vous sur le site des éditions : https://grostextes.fr/publication/en-quittant-limage/