mardi 25 avril 2023

"J'attends la foudre et autres textes", de Samaële Steiner

 

Cinquième livre publié par Samaële Steiner et deuxième aux Éditions Théâtrales, "J'attends la foudre et autres textes" est un triptyque de pièces de théâtre.

Le texte central "K-libre" est entouré de deux textes plus courts, respectivement intitulés "J'attends la foudre" et "Ronce".

Tour à tour quasi-monologue, comme "J'attends la foudre", ou dialoguées comme "K-libre" et "Ronce", ces pièces de théâtre, bien que découpées en plusieurs parties, plutôt séquences qu'actes, appartiennent résolument à notre époque. En effet, elles constituent plutôt trois continuités, où le passé comme le futur se jettent dans le présent et y demeurent.

Ici, poésie et théâtre sont parfaitement intégrés. À cet égard, "J'attends la foudre" apparaît comme un poème en vers libres d'une vingtaine de pages. Mais plus que par leur forme, c'est par leur expression que ces textes sont poétiques. Sauf que la poésie ne découle pas de mots recherchés ou rares. On est plutôt dans l'économie de moyens.

La poésie agit donc avec plus de subtilité. Paradoxalement, elle contamine l'ensemble des textes, sans que l'on sache où elle commence et où elle finit  (bien sûr, elle commence avec le premier mot et finit avec le dernier !) 
Elle se situe dans les relations concrètes tissées par les personnages avec leur environnement : par exemple, dans "J'attends la foudre", avec ces os de loup, ou dans "Ronce", avec la vache qui porte ce nom. 

Quand je lis ces trois moments, je vois les personnages se déplacer toujours dans le même sens, dans un long et lent travelling, comme s'ils traversaient un rêve.

Alors que "J'attends la foudre" et "Ronce" sont en contact direct avec l'extérieur, "K-libre" affirme sa différence (apparente), car il appartient davantage au monde intérieur et urbain de la science-fiction, plus vitré que végétal.

La poésie réside également dans les rapports qui se tissent entre les personnages, dont une partie semble échapper au lecteur.
Enfin, elle prend place dans cette architecture intérieure des rêves que bâtissent les protagonistes des trois pièces de théâtre, qui parviennent à nous convaincre qu'ils ont le pouvoir de façonner des mondes meilleurs.

Ici se situe la dimension contestataire de ces textes, qui apparaît le plus clairement dans la résistance à l'enfouissement du fleuve de "K-libre".

Extrait de "J'attends la foudre", de Samaële Steiner :

"J'attends la foudre
qui me changera en arbre
ça viendra d'en haut.
Corps de bois souple je crois que je vais aimer.
Je me prépare.
Être plongée dans le monde.
Vent.
Pluie.
Chants.

Tout.

On m'a raconté des histoires
mais je veux pas de quelqu'un qui vienne
qui me délivre de quoi que ce soit
pas de cheval
pas de moto
je veux la foudre
j'attends la foudre
le feu.
Devenir un arbre."

La photographie de couverture est de Mahaut Bouticourt et la préface de Mariette Navarro.

Si vous souhaitez vous procurer "J'attends la foudre et autres textes", de Samaële Steiner, qui est vendu au prix de 15 €, rendez-vous sur le site de l'éditeur : https://www.editionstheatrales.fr/livres/jattends-la-foudre-et-autres-textes-1691.html

samedi 15 avril 2023

"Sans monument" de Chloé Landriot

 

Publié par les Éditions "Le Merle Moqueur", "Sans monument" de Chloé Landriot est son quatrième recueil édité, après "Vingt-sept degrés d'amour", que j'ai édité en 2017 à l'enseigne du Citron Gare, puis "Un récit" (collection Polder de la revue Décharge) et "Les premiers pas" (Cahiers des Passerelles).

"Sans monument" est un livre de dimensions imposantes (150 pages environ) qui se divise en plusieurs parties, respectivement intitulées "Prologue", "Nomades", "Monuments", "Souvenirs de la vie", "la mort", "Rêve" et "Réalité".

Avec cette volonté de l'autrice d'articuler le propos dans une architecture vaste, on peut dire que "Sans monument" est construit comme un "monument", dont l'épopée que raconte le livre est son équivalent horizontal.

En fait, s'il s'agit d'une épopée, il s'agit plutôt d'une épopée à l'envers. En effet, il est question dans "Sans monument" de la destruction de l'environnement. 

Aux vestiges du passé (peintures rupestres, cathédrales évoquées dans les premières parties) répondent le présent et "La mort", malgré le "Rêve" des dernières parties, dévoilant un héritage actuel qui semble se dissoudre dans le néant.

Le ton de "Sans monument" de Chloé Landriot est résolument lyrique. Les vers ou certains mots aux sonorités pleines et dures (comme "Tout") sont fréquemment répétés, voire scandés pour mieux convaincre un auditoire (qui tient les manettes du pouvoir, ainsi que nous, lecteurs pris à témoin) dont la principale caractéristique actuelle est qu'il reste beaucoup sourd.

Ainsi, chaque poème de ce recueil est érigé comme un monument, de façon verticale, par empilements de strophes qui enfoncent le propos dans nos têtes. Ces textes me semblent donc aussi destinés à être partagés à voix haute, dans un espace ouvert.

Si cette scansion se mue parfois en prière implorante, au-delà de la destruction de l'environnement qui est déplorée, un appel à l'amour de la liberté et de l'évanescence des " Sans monuments" naturels est lancé.

Ici, le lyrisme et la nostalgie d'un paradis semblant disparu donnent à ces poèmes leur légèreté, qui les fait survoler notre sombre présent.

Extrait de "Sans monument", de Chloé Landriot :

"L'éternité est morte avec le dernier bruit
d'insecte
Le dernier flocon fondu sur ta lèvre
                - Salé comme une larme -
Le dernier pollen vain
L'éternité s'est arrêtée après la dernière
Chance

L'éternité c'était
L'infini paradis du doux regard des mères
L'inlassable comptine aux refrains fatigués
Et l'enfance
Recommencée

L'éternité 'était
La première couleur appelant ton regard
La première amitié
Et le premier départ

L'éternité c'était que l'amour continue
Toujours
Quelque part
Quand il a existé un instant

Même un amour brin de paille
Une noisette d'amour
Demeure à tout jamais dans ces régions du temps
qui vous happent le cœur

L'éternité c'était
Toute la gratitude sans raison pour le seul fait de 
                                                              vivre
Et tout vivant vivait sa propre éternité
En habitant le monde

L'éternité est morte avec le dernier œil qui voyait
                                                                la beauté
Avec le dernier bruit d'insecte
Et le dernier flacon."

Le dessin de la couverture est de Frédéric Khodja.

Si vous souhaitez vous procurer "Sans monument", de Chloé Landriot, qui est vendu au prix de 12 €, rendez-vous sur le site de l'éditeur : https://www.lemerlemoqueur.fr/livre/20760452-sans-monument-poemes-chloe-landriot-le-merle-moqueu

"Réa", de Pierre Gondran dit Remoux

 

Publié par les Éditions de l'Éclat, "Réa", de Pierre Gondran dit Remoux, est un court recueil de 50 poèmes, dont 49 sont composés de 12 vers justifiés.

L'explication de cet ensemble de textes tient dans leur titre : "Réa", si court qu'il est facile de passer à côté de sa signification.
À cet égard, comme il est précisé très clairement en début de recueil : "le format contraint rectangulaire représente le lit dont on ne sort pas."

Effectivement, pour tenir dans ce format très empêché, les mots sont souvent coupés, ce qui influence le balayage des yeux du lecteur, et lui suggère l'écartèlement d'un séjour hospitalier difficile.
Par exception, seul le dernier poème de "Réa" échappe à la contrainte impitoyable de la justification, pour exprimer la nouvelle station debout, incertaine d'ailleurs.

Mais il y a encore au moins une chose à signaler à propos de ces poèmes : c'est leur précision, résultant de l'évocation d'instants particuliers et de l'emploi de termes médicaux ou scientifiques, porteurs intrinsèquement de poésie, du fait de leur rareté.

Extrait de "Réa", de Pierre Gondran dit Remoux :
Si vous souhaitez vous procurer "Réa", de Pierre Gondran dit Remoux, qui est vendu au prix de 5 €, rendez-vous sur le site de son éditeur : http://www.lyber-eclat.net/livres/rea/

dimanche 2 avril 2023

"Matin clone", de Laurent Bouisset

 


Publié par les Éditions "Parole d'Auteur", "Matin clone", de Laurent Bouisset est son troisième recueil de poèmes édité, après "Soleil plouc", en 2018 et "Dévore l'attente" (premier recueil de 2015, que j'ai publié à l'enseigne du Citron Gare), sans compter également trois livres de traductions.

Si "Matin clone" se situe dans le prolongement de "Soleil plouc" et "Dévore l'attente", cette poésie n'en demeure pas moins rare aujourd'hui, à mes yeux, par sa volonté très forte de coller à la vie, qui est - me semble-t-il du moins, la préoccupation permanente de Laurent Bouisset.

Par attention à la vie, il convient d'entendre attention aux autres, aux plus pauvres d'entre eux surtout, pressés qu'ils sont comme des citrons par ces mégapoles de cauchemar.
Les termes employés sont précis, concrets, les poèmes constituant des moments de rencontres, des instants suspendus au milieu du stress quotidien.

Mais cela va plus loin. Cette attention à la vie prend des dimensions plus vastes, que l'on pourrait qualifier de cosmiques, quand elle se fixe pour ambition haute de saisir les pulsations du monde, comme si le lecteur se retrouvait embarqué dans une improvisation musicale qui contiendrait ce monde.

Au niveau formel aussi, les poèmes de "Matin clone" s'inscrivent dans deux dimensions qui ne recoupent pas forcément les deux précédentes (attention aux autres, pulsation du monde). Soit ils sont assez brefs, et surtout, comme tassés sur eux-mêmes dans leur densité, soit ils se répandent sur plusieurs pages en vers parfois décalés.

Le résultat de ces textes est - chose assez rare également pour être signalé, par rapport à la production courante de poésies actuelles - un message toujours porteur d'espoir.

Ces poèmes montrent que l'humain n'a pas besoin de tant de choses (inutiles pour la plupart) pour continuer à porter toute vie en lui, quand bien même il ne s'agit pas de se satisfaire de son état de misère.

De manière plus secondaire, mais là aussi régulière, Laurent Bouisset s'interroge sur le pourquoi de l'écriture : à quoi ça sert tout ça ? On ne pourra lui reprocher cette interrogation légitime que pas mal d'auteurs préfèrent passer sous silence, comme s'ils ne doutaient de rien.

Je signale enfin les peintures photographiques (dont celle de la couverture) de Nicolas Guyot, superbes illustrations qui introduisent de véritables pauses entre les mots.

Extrait de "Matin clone", de Laurent Bouisset :

EXPERIMENTACIÓN

 

Toda poesía es experimental. La vida es experimental.


Toute poésie est expérimentale. La vie est expérimentale.


Alan Mills


me suis rendu au cœur au sein
au Centre exact
de la Poétique Mondiale à Marseille
bu l’apéro pacifiquement
on m’a dit ça :


« en Amérique latine
le contexte de violence est récurrent
dans les poèmes que tu traduis, mais
j’aimerais savoir si
tu as rencontré aussi des poètes attentifs
à la forme à la langue
quelque auteur un peu plus déconnecté
explorant (comme ici)
un versant
expérimental »


euh... voyons voir...
ben... monter dans un bus... ou faire un tour la nuit
c’est expérimental au Guatemala par exemple
avoir des problèmes de santé au Mexique également
et quand on va aller dormir (m’a dit ma femme)

faudra vérifier dans le lit qu’il n’y ait pas
de scorpion embusqué
de narco pire
ou scolopendre
dormir aussi
est
une
chose
ex pé ri men tal e …


Si vous souhaitez vous procurer "Matin clone", de Laurent Bouisset, qui est vendu au prix de 14 €, contact de l'éditeur : contactparoledauteur@laposte.net