Publié par les Éditions "Parole d'Auteur", "Matin clone", de Laurent Bouisset est son troisième recueil de poèmes édité, après "Soleil plouc", en 2018 et "Dévore l'attente" (premier recueil de 2015, que j'ai publié à l'enseigne du Citron Gare), sans compter également trois livres de traductions.
Si "Matin clone" se situe dans le prolongement de "Soleil plouc" et "Dévore l'attente", cette poésie n'en demeure pas moins rare aujourd'hui, à mes yeux, par sa volonté très forte de coller à la vie, qui est - me semble-t-il du moins, la préoccupation permanente de Laurent Bouisset.
Par attention à la vie, il convient d'entendre attention aux autres, aux plus pauvres d'entre eux surtout, pressés qu'ils sont comme des citrons par ces mégapoles de cauchemar.
Les termes employés sont précis, concrets, les poèmes constituant des moments de rencontres, des instants suspendus au milieu du stress quotidien.
Mais cela va plus loin. Cette attention à la vie prend des dimensions plus vastes, que l'on pourrait qualifier de cosmiques, quand elle se fixe pour ambition haute de saisir les pulsations du monde, comme si le lecteur se retrouvait embarqué dans une improvisation musicale qui contiendrait ce monde.
Au niveau formel aussi, les poèmes de "Matin clone" s'inscrivent dans deux dimensions qui ne recoupent pas forcément les deux précédentes (attention aux autres, pulsation du monde). Soit ils sont assez brefs, et surtout, comme tassés sur eux-mêmes dans leur densité, soit ils se répandent sur plusieurs pages en vers parfois décalés.
Le résultat de ces textes est - chose assez rare également pour être signalé, par rapport à la production courante de poésies actuelles - un message toujours porteur d'espoir.
Ces poèmes montrent que l'humain n'a pas besoin de tant de choses (inutiles pour la plupart) pour continuer à porter toute vie en lui, quand bien même il ne s'agit pas de se satisfaire de son état de misère.
De manière plus secondaire, mais là aussi régulière, Laurent Bouisset s'interroge sur le pourquoi de l'écriture : à quoi ça sert tout ça ? On ne pourra lui reprocher cette interrogation légitime que pas mal d'auteurs préfèrent passer sous silence, comme s'ils ne doutaient de rien.
Je signale enfin les peintures photographiques (dont celle de la couverture) de Nicolas Guyot, superbes illustrations qui introduisent de véritables pauses entre les mots.
Extrait de "Matin clone", de Laurent Bouisset :
EXPERIMENTACIÓN
Toda
poesía es experimental. La vida es experimental.
Toute poésie est expérimentale. La vie est expérimentale.
Alan Mills
me suis rendu au cœur au sein
au Centre exact
de la Poétique Mondiale à Marseille
bu l’apéro pacifiquement
on m’a dit ça :
« en Amérique latine
le contexte de violence est récurrent
dans les poèmes que tu traduis, mais
j’aimerais savoir si
tu as rencontré aussi des poètes attentifs
à la forme à la langue
quelque auteur un peu plus déconnecté
explorant (comme ici)
un versant
expérimental »
euh... voyons voir...
ben... monter dans un bus... ou faire un tour la nuit
c’est expérimental au Guatemala par exemple
avoir des problèmes de santé au Mexique également
et quand on va aller dormir (m’a dit ma femme)
faudra vérifier dans le lit qu’il n’y ait pas
de scorpion embusqué
de narco pire
ou scolopendre
dormir aussi
est
une
chose
ex pé ri men tal e …
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