jeudi 28 avril 2022

"Fiefs", de Xavier Frandon

 

Publié par les Éditions du Cygne, dans sa collection "Le chant du cygne", "Fiefs" est le quatrième recueil publié de Xavier Frandon.

À cet égard, le titre de "Fiefs" renvoie à une réalité qui me parle : celle de chaque personne enfermée sans sa forteresse d'individualisme : voilà ce que donne la vie dans les villes, la majorité des personnes y habitant.

"Fiefs" de Xavier Frandon fonctionne donc comme une galerie de portraits réalistes, s'employant à montrer les contradictions de chaque personne, ses aspirations vers le haut, comme ses envies d'aller vers le bas.

Du point du style, "Fiefs" me semble être un retour aux sources (pour l'auteur, et par rapport à "L'adieu au Loing, que j'ai publié en 2016), vers plus de classicisme. Beaucoup de vers sont assonancés, et le rythme est très présent (au milieu du vers, par exemple).
Or, écrire une poésie classique avec un contenu moderne est quelque chose d'assez rare, aujourd'hui, pour être signalé.

Ainsi, le lecteur que je suis ne doute pas d'avoir affaire à de la poésie, même quand les vers ne sont pas rimés.

Extrait de "Fiefs", de Xavier Frandon :

"Même si la vie est complexe, difficile d'agir;
Il bosse de la nuit à la nuit, et le soir,
Il est saoul de fatigue. tout relâche, chez lui,
Ou dans un bar, où il embrasse ses amis.

Il laisse passer : ça passe. Après tout, c'est détente,
Pause connexe, et vide, à parler du boulot,
Mais un voyage ce serait super, et l'amour
Passe au loin : le Temps est si précieux.

Il prend l'air dans la nuit aseptisée de Paris.
Oh ! Voici une autre conversation sérieuse !
Il s'en fout, il se moque, essuie le sujet, passe

Du rire à l'obscurité. Puis, sans plaisir,
Une saine, et vague tristesse ramène le lendemain,
À neuf heures, le vieux petit garçon au bureau."

Si vous souhaitez vous procurer "Fiefs", de Xavier Frandon, qui est vendu au prix de 10 €, rendez-vous sur le site des éditions : http://www.editionsducygne.com/editions-du-cygne-fiefs.html

lundi 25 avril 2022

"Non- lieu", de Clément Bollenot

 

Publié par les Éditions de "L'Ail des ours", dans la collection Grand Ours, "Non-lieu" de Clément Bollenot, est une suite de 51 textes en prose.

D'emblée, ce qui m'a saisi et séduit, dans ce recueil, c'est sa qualité cinématographique, qui consiste à laisser se succéder des textes comme autant de plans, dont il n'est pas toujours facile de reconstituer la causalité. Il y a des blancs, des reprises entre les textes.

Et la poésie de situation qui s'en dégage, plutôt que de se concentrer sur l'unité du texte, repose sur l'ensemble des proses, avec cette impression de rêve éveillé, de regards qui se croisent et se font face, et qui n'émergent pratiquement pas de leur mutisme.

En tout cas, il n'y a pas de dialogues ici. Chacun préfère demeurer dans sa solitude. Individualisme des villes. Le personnage principal de "Non-lieu"' semble être d'ailleurs, non pas un être humain, mais ce train qui va à la rencontre des images.

Extrait de "Non-lieu", de Clément Bollenot :

"31
le train ne repart toujours pas.

là-bas, sur les murs de l'appartement, la femme jeune, solitaire, affiche les enregistrements du sismographe qu'elle a elle-même fabriqué, un stylo, la pointe posée sur le papier. lorsque le train fait vibrer la carcasse de l'immeuble, le stylo tangue de gauche à droite à gauche. les feuilles sont zébrées de gribouillis, on dirait les dessins d'un enfant de trois ans sur l'échelle de richter.

aujourd'hui, la page est blanche, le train doit être arrêté quelque part."

Les illustrations du recueil (dont celle de la couverture) sont de Juliette Choné.

Si vous souhaitez vous procurer "Non-lieu", de Clément Bollenot, qui est vendu au prix de 6 €, rendez-vous sur le site de l'éditeur : https://www.editions-aildesours.com/clement-bollenot-non-lieu/

vendredi 8 avril 2022

"L'usure du chagrin", d'Annie Dana

 




Publié par Vincent Rougier Éditions, dans sa collection des "Plis urgents", "L'usure du chagrin", d'Annie Dana, est un recueil bilan, même si ce n'est pas forcément le dernier de son autrice !

Chaque étape de sa vie, depuis l'enfance jusqu'à la vieillesse (peut-on encore utiliser ce terme, aujourd'hui que tout est atténué ? "Troisième âge" paraît beaucoup plus à la mode) est passée en revue.

Un moment, le lecteur se dit que les plus jeunes devraient lire ces poèmes pour éviter de se planter de la même manière que nous, une fois adultes. Puis finalement, on est obligé de reconnaître que ça ne leur servira pas de leçon.

D'ailleurs, ce petite livre n'est surtout pas une leçon, mais plutôt une interrogation suspendue dans le présent, dans lequel le sens de la vie et la pérennité de l'amour continuent à poser question.

Pourtant, l'illusion d'un recueil définitif a fonctionné. Car les choses y sont dites avec simplicité, mais surtout élégance.

Extrait de "L'usure du chagrin", d'Annie Dana :

"Nous avons perdu le fil de nos vies
En nous refusant de les vivre
Par une volonté opiniâtre
D'entretenir une illusion
Nous rejetions les conseils bienveillants
Au nom d'une lucidité
Que nous imaginions sans limite
Mais sur le chemin escarpé
Où nous nous traînions en aveugle
Aucun lendemain ne nous appartenait plus
Déjà nos visages ignoraient les miroirs
Aucun ne s'en trouvait qui put refléter l'âme
Toute fin suppose un moyen
Pensions-nous
Et nous affrontions la démesure
Sans trembler"

La préface est de Mathias Lair et les illustrations de Vincent Rougier.

Si vous souhaitez vous procurer "L'usure du chagrin", d'Annie Dana, qui est vendu au prix de 16 €, rendez-vous sur le site de l'éditeur : http://www.rougier-atelier.com/?product=pu63-lusure-du-chagrin-annie-dana-livret-1

dimanche 3 avril 2022

"Une femme c'est un indien", de Murièle Camac


Je connais bien l'écriture de Murièle Camac. Après avoir été l'un de ses premiers lecteurs, j'ai édité son quatrième recueil, intitulé "En direction de l'ouest", en 2019.

Cinq recueils en dix ans, tous publiés chez des éditeurs différents : preuve objective d'une qualité d'écriture, et en même temps, pas de publications pléthoriques, mais des apparitions régulières. Tout cela, pour moi, signifie quelque chose.

Il reste que j'ai été bufflé par le contenu de ce cinquième livre : "Une femme c'est un indien", publié par les Éditions Exopotamie, qui "passe la vitesse supérieure" et constitue une nouvelle étape significative dans ce parcours poétique.

Ici, en effet, l'identité du style - aisément reconnaissable - de Murièle Camac, est doublé d'un véritable dessein. De ce point de vue, ce livre est le plus engagé de son autrice.

En faisant de la femme un indien, Murièle Camac en dresse un portrait sociologique, rempli d'ironie, mais aussi de véhémence, à l'égard de ces autres qui sont les hommes. À ces premiers le costume et le pouvoir que ça sur-tend. Aux femmes la différence de "l'indien dans la ville", cette sauvagerie qui n'est pas la liberté.

En même temps, ce portrait de la condition féminine n'est pas figé. Il montre comment la femme se libère au fur et à mesure que la chronologie avance, même si cette libération n'est évidemment pas certaine.

L'écriture de Murièle Camac est plus que précise. Elle est pointilliste. Elle utilise le registre familier et en même temps, parsème ses poèmes de références littéraires. Les textes sont concentrés, les images n'y sont pas distribuées à tout va. Bref, le lecteur est souvent surpris par cette écriture qui sait aller vite et bref.

Au décalage de l'ironie répond le décalage de l'écriture. Avec des mots simples, faire du nouveau.. qui se lit bien !

"Une femme c'est un indien", c'est pour l'instant (après plusieurs mois, tout de même !), ma meilleure lecture poétique de cette année 2022.

Extrait de "Une femme, c'est un indien", de Murièle Camac, son premier poème, à la valeur de programme, extrait de "Tapisserie" (titre de la partie du recueil) :

"Il était une fois un indien, une femme -

une femme c'est différent - différent d'un homme.
Une femme c'est un Indien :
Un indien, donc quelqu'un de complètement différent.

Une femme, avant d'affronter la torture, doit savoir
chanter son chant de mort.
Elle chante :
sa quête,
son départ,
ses vêtements repasses,
sa plongée nue dans la mer,
son île, son gel, son sommeil.
Le mouvement et la reconnaissance d'un rien.

Il était une fois un Indien, et elle chante.
Personne d'autre qu'elle-même n'est là pour entendre
son chant de mort - il ne s'adresse qu'à elle-même.
Personne d'autre qu'elle-même ne la lira.

Quand on a fait cela, on peut affronter le pire.

Une femme enferme son chant de mort dans ses
tiroirs, et puis elle va danser.
Toutes les danses lui sont possibles.

On entend son rire : elle se moque du pire."

La photographie de couverture est de Karine Rougier.

Si vous souhaitez vous procurer "Une femme c'est un indien", de Murièle Camac, qui est vendu au prix de 17 €, rendez-vous surs le site de l'éditeur : https://exopotamie.com/collections/produits/products/une-femme-cest-un-indien