samedi 28 mai 2022

"Kaïros", de Nathanaëlle Quoirez

 


Publié par la revue Décharge dans sa collection Polder, "Kaïros", de Nathaëlle Quoirez est un recueil publié qui sort de l'ordinaire.

En effet, chaque poème de ce recueil, associé à des heure et minute bien précises, celle de son écriture ou de la révélation qui la précède de peu - d'où le titre "Kaïros" - m'a paru être un précipité de poésie, qui décourage l'analyse.

La signification de chaque poème résiste et pourtant, j'y reviens en lecture, car il y a des passages qui me saisissent et aussi parce que les images s'y succèdent avec exubérance.

Ça devient rare, une poésie coup de poing comme celle-là, qui explore le spectre d'une révolte essentielle.
Et pourtant, la poésie devrait être un espace de liberté, dans lequel tout est permis.

Et finalement, je me laisse emporter par le flux de ces poèmes qui, souvent, bousculent les mots dans leur confort, notamment par l'insertion de néologismes.

Extrait de "Kaïros", de Nathanaëlle Quoirez :

"22 h 24

le bien du monde
petit chagrin de paume
d'enfant tout déchiré
que dans le sang qui cogne
que bruit trop fort de cœur
alors j'ai de visage
une couleur pétale
défigurée par la passion
je suis une héliotrope
au cul des prophéties
on m'a versée dans le futur
sans me sevrer de la présence
je demande eau et pain
le sucre à la cuillère
et la main pour bâillon
car je suis un mot de vérité
qui silencie et fait peur au vacarme
je tiens une taverne de pleurs et de tarlouzes
au noce du croissant c'est-à-dire à la nuit
ne me regardez pas par le trou d'équipage
j'appellerai les flics à vos secousses d'intrusion
elles viendront hordes bodybuildées
mes pousseusses de fontes
à caractère verbaliser
pistolet de marquage
sur la cuisse du porc
de vous nous sommes les exclues
et vous avez gardé nos larmes
je prie contre vos cooptations
contre votre servage d'idiotie
je somme la pluie de caillasser
sachez que mon dieu n'a qu'une seule religion
s'entourer près du feu d'un chant traditionnel."

La préface est de Milène Tournier, l'illustration de couverture de Quentin Désidéri.

Si vous souhaitez vous procurer "Kaïros", de Nathanaëlle Quoirez, qui est vendu au prix de 6 €, rendez-vous sur le site de l'éditeur : https://www.dechargelarevue.com/Polder-194.html

"Prolégomènes au huitième manifeste", de Jehan Van Langhenhoven

 


Nostalgie, quand tu nous tiens !

Publié par les Éditions de l'Harmattan, dans sa collection "Poètes des cinq continents", "Prolégomènes au huitième manifeste", de Jehan van Langhenhoven, est un hommage rendu au surréalisme et à ses poètes précurseurs (Rimbaud, Lautréamont par exemple).

Ce livre, divisé en deux parties, respectivement dénommées "Prolégomènes au huitième manifeste", suivi de "Du surréalisme raconté à Mamadou Slang et à sa bande au Rendez-vous des amis", fonctionne à la manière d'une rétrospective cinématographique, ce qui donne à ce livre une légèreté qui aurait pu lui échapper, dans un hommage plus frontal, monolithique.

Dans les fragments en prose (ou en vers) qui composent chacune des deux parties du livre, sont cités des vers d'œuvres surréalistes et/ou des anecdotes de quelques temps forts du mouvement.

La deuxième partie est encore plus originale puisque, comme son titre l'indique, une tentative d'explication du surréalisme a lieu auprès de plus jeunes générations.
Cette tentative n'est pas totalement vaine, car même si les repères culturels sont différents, l'état d'esprit peut toujours se retrouver, avec cet amour de la liberté, irréductible, du moins dans la tête.

À signaler également que dans ce livre, les récupérations du mouvement surréaliste (la bourgeoisie de ses fondateurs, le stalinisme d'Aragon et d'Éluard) ne sont pas escamotées, mais plutôt soulignées avec humour.

Avec ses "Prolégomènes au huitième manifeste", Jehan van Langhenhoven prêche un converti.

Extrait de "Du surréalisme raconté à Mamadou Slang et à sa bande au Rendez-vous des Amis" :

"Le Surréalisme, c'est Aragon désireux de gifler un mort, iconoclastie majeure, et Breton, sublime éclaireur sans relâche à la manœuvre systématiquement ratant ses rendez-vous avec l'Histoire. Le surréalisme c'est Salut les gars de Ménilmontant tout le monde en piste… le juke-box de nouveau faisait rage et pour eux le surréalisme c'était moi… Ptérodactyle attardé encombré de bons mots et de citations au cœur d'un monde où le livre, comme le politique - à l'exception du refus du bourge ! - et L'Histoire ne pouvait que s'avérer interdit de séjour. Aussi comment, mesurant la totale inadéquation et pourquoi impudeur de mes paroles, ne pas ici enfin me souvenir du Capitaine Nemo proférant : Mon électricité n'est pas la vôtre…"

Si vous souhaitez vous procurer "Prolégomènes au huitième manifeste", de Jehan van Langhenhoven, qui est vendu au prix de 9 €, rendez-vous sur le site de l'éditeur : https://www.editions-harmattan.fr/livre-prolegomenes_au_huitieme_manifeste_ente_de_jehan_van_langhenhoven-9782343235059-70717.html

"Joseph Karma", de Denis Hamel

 


Publié dans la collection "Derrière les pages du Semainier", par les Éditions du Petit Pavé, "Joseph karma", est, comme le précise la quatrième de couverture, "un récit autobiographique en partie fictionnel."

Pour une fois, vous me reprocherez peut-être de ne pas trop me fouler, mais je continue de citer cette quatrième de couverture qui dit très bien les choses, et à laquelle je ne pourrai rien ajouter de plus précis : "Le narrateur y conte les déboires, déconvenues, désillusions du personnage éponyme, un anti-héros, double de l'auteur Denis Hamel."

Si je parle donc de ce livre, c'est parce que j'ai aimé le ton employé par l'auteur dans ces pages : écriture sans fard, mais précise, pas d'apitoiement, ni de haine contre une société si peu "compréhensive", ce qui pourrait pourtant se concevoir.

À titre d'exemple, ce passage : "Il y eut d'autres déceptions, d'autres ratages, et les choses allèrent de mal en pis. Non seulement il était de plus en plus solitaire et isolé, mais il renonça bientôt à faire le moindre effort pour sortir de cette situation."

Cependant, si Joseph Karma ne cherche pas des excuses quant à sa vie. de manière en apparence paradoxale, c'est sans doute dans le domaine artistique que ses opinions sont les plus tranchées et sévères. Mais là encore, cela peut se comprendre, d'autant plus qu'il y a effectivement du vrai là-dedans :

"Sa poésie [celle de Joseph Karma], plutôt classique, était en contradiction totale de la plupart des éditeurs et revues subventionnés, qui privilégiaient un formalisme basé sur la primauté du signifiant et dénigraient les notions d'émotion et d'expérience vécue, dans la lignée des objectivistes américains et de la poésie conceptuelle [...]"

En annexe à ce récit, est publié un "Échange avec Denis Hamel, par Loan Diaz, pour la revue Poetisthme (mai 2021)."
L'illustration de couverture est de Marie-Anne Bruch.

Si vous souhaitez vous procurer "Joseph Karma", de Denis Hamel, qui est vendu au prix de 12 €, rendez-vous sur le site de l'éditeur : https://www.petitpave.fr/petit-pave-joseph-karma-890.html

"Un nerf de famille" et "Broutilles", de Tom Saja

 



Il m'a été impossible de "départager" ces deux recueils de Tom Saja, publiés en même temps. C'est pourquoi je parle ici de tous les deux.

"Un nerf de famille" a été publié par les Éditions Balade à la Lune, tandis que "Broutilles" a été publié par Bruno Guattari Éditeur, dans sa collection Cahiers [appareil].

Formellement, ces deux livres n'ont rien à voir.
"Un nerf de famille" est composé de courtes proses, et tient plus du recueil conceptuel, car derrière le nerf, dont il est partout question ici, se cache bien autre chose.
"Broutilles" est, quant à lui, composé de poèmes en vers libres, et comporte cinq parties, qui n'ont pas de rapports apparents entre elles.

Au-delà de ces différences, "Un nerf de famille" et "Broutilles" ont, à mes yeux, un point commun essentiel, puisque le thème sous-jacent de ces deux livres me semble être les origines.

Tom Saja explore ainsi son côté "bandit," rebelle, sauvage, qui m' a rappelé l'exploration de Rimbaud dans "Une saison en enfer".

Cependant, que ce soit dans "Un nerf de famille" ou dans "Broutilles", il n'y a rien de dramatique dans cette recherche, rien de vital. Ou bien alors, ça passe en douce, avec philosophie, avec, tout de même, quelques formules qui claquent bien.

Alors qu'il s'agit seulement des deuxième et troisième recueils publiés par l'auteur, je suis étonné par leur sens de l'équilibre, la précision de l'écriture aussi. Dans ces deux textes, il n'y a rien de trop, mais tout de même ce qu'il faut.

Extrait de "Un nerf de famille", de Tom Saja :

"je me souviens, j'étais dans le paradis et des gens m'en ont sorti. des gens avec des blouses des pinces et des cernes sous les yeux. ils m'ont sorti parce que c'est leur métier que je puisse continuer hors du paradis."

Extrait de "Broutilles", de Tom Saja :

"ma barbe est fine encore
n'est pas né le rasoir qui
pourra la tailler
le coupe-chou qui saurait
reposer sur ma gorge
mon gras de poulet
sans tâter de la carotide
juste une goutte de sang
un filet de nectar rouge
et la terre tremblerait
avec mes ancêtres se retournant
dans leurs tombes
piaillant dans leurs cages thoraciques
s'arrachant les cuticules
à lacérer le bois de leurs cercueils
suppliant
de revenir à la ville
pour juguler mes velléités de
m'arracher à mes racines"

La photo de couverture de "Broutilles" est de Philippe Agostini.

Si vous souhaitez vous procurer "Un nerf de famille", qui est vendu au prix de 13,90 €, rendez-vous sur le site de l'éditeur : https://www.editions-ballade-a-la-lune.com/?pgid=kl9y0ffi-5506e2c4-388b-4bd9-b000-acb676d3037d
ainsi que "Broutilles", qui est vendu au prix de 10 €, rendez-vous sur le site de l'éditeur : http://brunoguattariediteur.fr