mercredi 14 juin 2023

"Nature morte avec page blanche, ombre et corbeaux", de Christian Viguié

 

Avec "Nature morte avec page blanche, ombre et corbeaux", publié par "L'Ail des ours", dans sa collection "Grand ours", Christian Viguié dit clairement les choses à son lecteur : le monde naturel qu'il décrit naît directement de sa plume.

Comme s'il s'agissait d'une peinture, il compose sa nature morte (pas si morte que ça, d'ailleurs), au fur et à mesure qu'il écrit ses poèmes. Car c'est vrai, surtout en poésie, le poète souvent pense qu'il décrit une réalité, alors que dès le départ, il décrit sa réalité.

Alors, autant le dire d'emblée : cette réalité là démarre du "je" très présent dans ces pages. D'ailleurs, même les corbeaux et les hirondelles écrivent leur poème dans le ciel. Il n'y a plus qu'à l'assembler sur la page.

Dans les différents poèmes qui composent ce même tableau, celui d'une "nature morte avec page blanche, ombre et corbeaux", un style puissant, clair et concret s'exprime.

Extrait de "Nature morte avec page blanche, ombre et corbeaux", de Christian Viguié :

"Il y a quelque chose
qui tourne dans l'écriture
comme un corbeau

Je sais que l'encre
n'est pas le vol du corbeau
mais une couleur provisoire
pareille que la nuit
lorsqu'elle touche la nuit

Je sais que cette couleur
n'a pas d'ailes
pas de cris suffisants
pour fracturer la forme même de la nuit

Pourtant je sais qu'un corbeau écrit
et que son croassement
est le premier quartier d'une lune."

Les illustrations (dont celle de la couverture) sont de Cécile A. Holdban.

Si vous souhaitez vous procurer "Nature morte avec page blanche, ombre et corbeaux", de Christian Viguié, qui est vendu au prix de 8 € (+2,50 € de frais de port), rendez-vous sur le site de l'éditeur : https://www.editions-aildesours.com/nos-livres/

"Fugue", de Marie Rouzin

 

Publié dans la collection Polder de la revue Décharge, "Fugue", de Marie Rouzin est un premier recueil qui coule de source, si je puis dire, et afin de le résumer.

L'autrice fait ici une fugue, ou plus exactement, elle passe d'un endroit à un autre, car elle cherche sa place dans le monde qui l'entoure. Chercher sa place, ce n'est pas uniquement "avoir une situation", à l'instar des gens ordinaires.

Ce qui intéresse le personnage de "Fugue", c'est trouver un endroit où il puisse faire corps avec les choses, réellement : chemin le plus court pour trouver le bonheur.

L'autrice qui tutoie au passage, décline dans chacun des poèmes toutes les étapes de ce parcours : d'abord, l'élément liquide, puis la plage, puis les airs, puis la ville.

Dans la dernière partie du recueil, le "tu" cherche même à se fixer, quelque part, mais plutôt dans la nature. Car en ville, il se heurte aux priorités du pouvoir qui enserre les personnes et ne donne pas la liberté à celles et ceux qui le reçoivent.

Si les poèmes de "Fugue", de Marie Rouzin sont assez longs (plusieurs pages chacun), c'est qu'ils habitent leur souffle. Ce qui m'a surpris le plus, lors de cette lecture, est leur absence d'aspérité, leur naturel, comme si les textes qui composent "Fugue" avaient été écrits sans interruption.

Extrait de "Fugue", de Marie Rouzin (le début de la deuxième partie) :

"Tu te tiens dans un coin.
Tu cherches à te situer
Depuis que l'espace en toi a changé
Depuis que tu as goûté la fugue.
Ton oiseau toujours perché sur ton épaule,
Tu épluches d'autres images, d'autres feuillets,
Des recueils dont tu jettes les peaux sur les talus.
Tu craches les noyaux à tes pieds,
Pour le cas où tu devrais retrouver ton chemin.

Tu es seule,
Il n'y a pas de messager pour t'indiquer la voie,
Pas de signe,
Et rien sur les talons qu'un peu de terre humide.

Tu prends le caillou du doute
Qui voyage dans ta chaussure depuis si longtemps,
Tu le soupèses, il n'a aucune densité,
Tu le gardes dans ta main,
Tu glisses ton pied dans la chaussure,
Tu peux bouger à nouveau, il n'y a plus rien pour briser ta cheville. (...)"

La préface est de François de Cornière et l'illustration de couverture de Samiha Driss.

Si vous souhaitez vous procurer "Fugue", de Marie Rouzin, qui est vendu au prix de 7 €, rendez-vous sur le site de l'éditeur : https://www.dechargelarevue.com/Polder-198.html

mardi 6 juin 2023

"Les enfants masqués", de Thibault Marthouret

 

Publié par les Éditions Abordo, dans sa collection "Quan Garona Monta", "Les enfants masqués" , quatrième recueil édité de Thibault Marthouret, est en partie un retour aux sources d'"En perte impure", que j'ai édité à l'enseigne du Citron Gare en 2013.

Cette similitude tient à la fois à la forme employée - mélange de proses poétiques et de poèmes en vers libres - mais aussi à l'ambiance qui traverse ces nouvelles pages.

Cependant, il y a dans "Les enfants masqués" quelque chose de plus systématique, de plus affirmé. Le passage du temps ? Paradoxalement, dans ce livre, il est beaucoup question d'enfants.

Mais ces enfants, qui, à peu près toujours, font corps ensemble, appartiennent plus - me semble t-il - à l'adolescence qu'aux toutes premières de leurs années les plus tendres. Ils ont cette soif d'absolu qui les relie directement au dehors. Ils sont comme aimantés par le monde extérieur, flirtent avec les aventures qui tournent parfois en faits divers.

À mes yeux, dans chacune des quatre parties qui composent "Les enfants masqués", il n'y a pas de thème aisément identifiable. Au contraire, la même ambiance décrite ci-dessus semble se communiquer à toutes ces parties.

Thibault Marthouret excelle à décrire les choses, mais pas forcément telles qu'elles sont. La poésie s'immisce donc derrière cette apparente objectivité qui découle d'un sens de l'observation aiguisé. Cependant, les rapports entre les choses décrites ne coulent pas toujours de source. Il y a de l'incongru dans cette vision du monde.
Et surtout, la révolte des enfants affleure en permanence. Ils ont bien raison, de vouloir faire mentir les apparences, tout en restant purs. Car finalement, ce sont peut-être des anges.

La photographie de couverture est de Lisa Gervassi.


Extrait de "Les enfants masqués", de Thibault Marthouret :


"Les ailes

Les ailes cassent toujours en premier.

Elles sont notre point faible, même repliées.

Chipé dans la boutique du parc d'attractions médiéval, le pégase mutilé est à moitié cheval.

La poche de l'enfant a froissé son envol, le voilà bête de trait, de boucherie ou de somme.

Sans elles, nous galopons, ignorant où nous sommes. Nous perdons la vue de l'esprit.

Les ailes cassent toujours en premier.

Éprise de bonté et d'amour sans bornes, la vie étreint parfois trop fort ceux qu'elle envie.

Ainsi tombent les anges interdits.

L'air ralentit la chute.

Je soufflerai toujours des mots à ton oreille."

Si vous souhaitez vous procurer "Les enfants masqués", de Thibault Marthouret, qui est vendu au prix de 15 €, rendez-vous sur le site de son éditeur : https://www.abordo.fr/livres/enfants.html

dimanche 4 juin 2023

"Poème loin de San Francisco", de Fabrice Marzuolo

 


Sous-titré "Poèmes même pour ceux qui n'aiment pas la poésie", "Poème loin de San Francisco", de Fabrice Marzuolo, se situe effectivement assez loin de San Francisco.

Au moins le lecteur est prévenu. San Francisco, ici, c'est un fantasme de réussite, le nouveau monde contre l'ancien qui l'emporte toujours, même quand on vit aux États-Unis. Le monde de la mort, de l'ennui, du temps qui passe, mais aussi de l'inégalité (en richesses, notamment) qui existe entre les hommes. Bref, ce monde de l'injustice. La réalité, donc, à la place du rêve.

Autant vous dire : dans ces poèmes, l'auteur ne vous berce pas d'illusions. Certains lecteurs n'aiment pas ce genre-là. Moi si. D'ailleurs, parfois, il y a des successions de négations qui finissent par faire une affirmation. 

Les poèmes de Fabrice Marzuolo sont aisément reconnaissables au fait que dans les premiers vers, ils donnent quelque chose qu'ils retirent dans les vers suivants. Toujours cette addition suivie de soustraction faisant qu'à l'arrivée on arrive à un résultat nul. De ce fait, le poème semble toujours se tenir dans un fragile équilibre, celui du malaise générateur de poésie.

Extrait de "Poème loin de San Francisco", de Fabrice Marzuolo :

"Sous l'éternité la mort...

La mort elle doit penser
Que je me crois éternel
Alors elle se rappelle à moi
Des douleurs par ci par là
Des pincements inquiétants
Diverses courbatures
Elle s'imagine quoi
Pour se donner tant de mal
Que je vais l'oublier
Sa tête de mort
Je l'ai vue
Avant que mes yeux
La vissent
J'ai poussé autour
De son squelette
Comme la mousse
Sur les vieilles pierres

Vivre c'est s'enrouler 
Autour d'elle"

Si vous souhaitez vous procurer "Poème loin de San Francisco", de Fabrice Marzuolo, qui est vendu au prix de 5 €, contact : fabrice.marzuolo@wanadoo.fr