mercredi 31 janvier 2024

"À Petros, crise grecque", d'Anne Barbusse

 

Publié par "Bruno Guattari Éditeur", "À Petros, crise grecque", d'Anne Barbusse, est un recueil de poèmes qui ressemble à un roman, tout d'abord par ses dimensions importantes (250 pages), mais aussi par sa construction : divisé en quatre actes, plus un prologue et une épilogue, comme autant de parties, dont chaque poème, muni de son titre, serait un chapitre.

Cependant, cet aspect formel n'est pas le seul à caractériser ce qui semble être une épopée moderne, en référence à "Ulysse" d'Homère.
À vrai dire, l'épopée n'en est pas vraiment une. Il s'agit plutôt du récit de l'échec d'une relation amoureuse qui s'est jouée durant quelques jours à la fin des années deux mille en Grèce.
Dans "À Petros, crise grecque", la Grèce sert de toile de fond à une histoire d'intimité. D'ailleurs, ce pays vit sa crise économique, sa crise de valeurs (voleurs, pourrait-on dire, par jeu de mots facile) capitaliste, comme la protagoniste vit sa crise personnelle.

Dans la plupart des poèmes de "À Petros, crise grecque", Anne Barbusse montre comment on peut survivre à une histoire amoureuse. Mais tout est dans le style. En effet, chaque poème déroule ses vers amples au fil des pages et compose une musique entêtante, puissante, riche, voire même sensuelle.

Il y a aussi les images. Ce livre ne ressemble pas qu'à un roman, mais à un véritable film, de ceux peut-être que l'on se fait, mais qui nous prolonge dans son travelling continu. D'ailleurs, un hommage explicite est rendu à plusieurs cinéastes (Costa-Gavras, Kitano, Godard).

Les mots anglais (langue pratiquée en Grèce) disséminés dans ces poèmes constituent autant d'incrustations, telles des bribes d'une bande-son intérieure.

La force de "À Petros, crise grecque" me semble tenir à l'étroite correspondance qui s'établit entre la musique des mots et les images, unis dans la passion.

Extrait de "À Petros, crise grecque", d'Anne Barbusse :

elle a le visage de l'aube homérique

tu te tais - tu sais que l'amoureuse ira jusqu'au bout -
do what you what - tu as peur
tu signes la réversibilité de la peur dans l'hiver
ambivalent
l'après-Noël avait un goût de paradis alors tu te réfugies
dans le déni
c'est facile comme l'inertie de l'attente vierge
ton visage est mangé par l'espace et tu t'appliques à
l'autodestruction - but we have a correction - il faudra 
bien que l'hiver déguerpisse

j'ai déjà suicidé mon amant voudrais-tu que je tue ce
désir clair
quand se rapproche la mort très jeune on a de sursauts
comme la mer d'hiver

l'amour est un goût de voyage qui échange le temps
mordu comme de l'espace et du ciel et de la terre -
l'amoureuse est une femme stérile mais certaine -
est ce voilier qui ne sait voguer - elle se penche sur
l'immobilité pleurée elle a
le visage de l'aube homérique - les doigts de rose - elle
contredit tous les réels

Si vous souhaitez vous procurer "À Petros, crise grecque", d'Anne Barbusse, qui est vendu au prix de 12 €, rendez-vous sur le site de l'éditeur : brunoguattariediteur.fr

"La non-mère", d'Anne Barbusse

 

Publié par les Éditions "Pourquoi viens-tu si tard", "la non-mère", d'Anne Barbusse est une suite de courts poèmes d'une page, en vers libres.

Ici, "la non-mère" n'est pas celle qui n'a pas d'enfants, mais plutôt celle qui n'aurait pas dû en avoir. C'est la mère de celle qui écrit (l'autrice ?). On ne peut pas dire qu'il s'agisse d'un hommage. À l'inverse de la représentation consensuelle des mères qui est plus souvent donnée : aimante, douce, cette mère-là en porte surtout le titre.
Son attitude est dénoncée, mais également ses goûts, certitudes et œillères. 
Même si ce portrait n'est pas idyllique (d'ailleurs, "Le non-père" en prend aussi pour son grade, au passage), je ne suis pas certain qu'il ne fasse pas écho chez plusieurs lecteurs, car plus proche de la réalité que de la représentation désirée.

D'ailleurs, l'autrice ne se contente pas de parler de l'enfance et de l'adolescence… Elle montre combien le comportement d'une mère peut avoir de répercussions sur celui de son enfant, une fois que celui-ci est parvenu à l'âge adulte.

Ainsi, le déséquilibre initial se reproduit de génération en génération.

Si ce livre m'a plu, c'est par son côté réaliste, qui n'essaye jamais de se bercer d'illusions. C'est aussi et surtout parce qu'il s'agit d'un véritable texte de révolte. Une révolte qui ne faiblit pas (après tout, pourquoi ne pas imiter ses géniteurs dans leurs certitudes, les retourner contre eux ?).

Le style de ces poèmes est véhément et tourmenté, en même temps qu'il est riche d'images. À la sécheresse humaine répond la flamboyance du style.

Cela faisait une année au moins que je n'avais pas lu de poèmes qui préfèrent courir le risque d'agacer le lecteur plutôt que celui de ne pas dire la vérité.

Extrait de "Le non-mère", d'Anne Barbusse :

"la non-mère a des mots fixes et matériels
elle englobe les courses et tickets de caisses
elle obture la souffrance et positionne les rêves
sur des places de parking ou des queues à la caisse
elle organise la déliquescence de l'art
qui devient une culture assénée par l'école
l'écriture l'effraie
le journal intime de la petite fille défie le consumérisme
et les publicités de la boite aux lettres
s'y jouent trop d'amours défigurées par la peur
et de romantisme innomés (la no-mère
est un Charles Bovary féminin doublé d'une capacité de
décision
quand la petite fille n'est qu'une Emma de plus, désarticulée
sur la balançoire la mélancolie féminine et subjective
balance ta douleur nue"

La photographie de couverture est d'Éric Dubois.

Si vous souhaitez vous procurer "La non-mère", d'Anne Barbusse, qui est vendu au prix de 10 €, rendez-vous sur le site de l'éditeur : www.association-lac.com