lundi 15 avril 2024

"Ma douleur planétaire", d'Anne Barbusse

 

Publié par les Éditions Tarmac, "Ma douleur planétaire", d'Anne Barbusse est un recueil de textes écrits pendant la période des confinements. Ces suites de poèmes en vers libres, dont le mètre ample s'apparente à celui des versets, sont polarisées sur deux axes essentiels : la vie dans les jardins ou sur les axes de communication et dans les zones commerciales.

Bien entendu, l'opposition entre la nature et ce qui semble rester de la ville est totale.
D'un côté, autosuffisance et écologie. De l'autre, soumission et pollution.

J'ai apprécié de lire ce livre. Car, comme c'est rarement le cas, la nature est décrite par quelqu'un qui essaie de se l'approprier par l'action, à savoir la culture d'un potager. Pas tout à fait pareil pour moi. Fini les p'tites fleurs, ici !

En tout cas, transparaît la volonté positive de constituer un autre monde, même s'il est incomplet. Un propos militant, donc. À la fin du livre, d'ailleurs, l'opposition entre les deux nature et le commerce est de plus en plus brutale : peut-être le signe d'un retour à la normale, c'est à dire, à l'activité consumériste.

Le style de "Ma douleur planétaire"' est riche de mots. C'est du tout feu tout flamme ! Ça change de la plupart du temps !

Un fragment extrait de "Ma douleur planétaire", d'Anne Barbusse :

" les éoliennes sont femmes foudroyantes, arrimées
à la terre évidée, démises

sur le monde éparpillé parmi les fruits non cueillis et
les vergers abandonnés du capitalisme stérile qui
s'arroge la part des rois,

                                demain je craindrai
les leaders instinctifs, , la pluie ouvrira les roses et
l'automne sera un cri,

                                d'une femme vomissant
douleurs et rêves sur le soir, l'envers de la colère
à la couleur éparpillée et bordeline
des oiseaux finissants, sous le ciel la rage est celle
des bêtes intempestives et le réel éclate
sur le dos des oiseaux,

                                   c'est ainsi que les révoltes
ondoient, mûres et fleuries, comme des reines
multiples que les hommes craignent à reculons,

c'est là que crucialement les femmes se lèvent et osent,
après des soumissions excellentes et sournoises
habillées dès le matin avec les mots des
petits pouvoirs et des chefs,

                                        pourtant au jardin
l'humidité d'octobre dessine la branche
des silences et je sème à l'appel de la terre
noire, lourde, grouillante (…)"

L'illustration de couverture est de Jacques Cauda.

Si vous souhaitez vous procurer "Ma douleur planétaire", d'Anne Barbusse, qui est vendu au prix de 20 €, rendez-vous sur le site de l'éditeur : https://www.tarmaceditions.com/ma-douleur-planetaire

dimanche 24 mars 2024

"Supplique pour la fin des nuits sans lune", de Laurence Fritsch

 

Publié par les Pierre Turcotte Éditeur, dans sa collection Magma Poésie, "Supplique pour la fin des nuits sans lune", de Laurence Fritsch, comme l'indique le texte d'ouverture, " se décompose en deux révolutions de 27 poèmes (comme les 27 jours de la révolution sidérale de la lune)".

L'argument de départ de ces courts poèmes en vers libres est donc scientifique et fait appel à tous ces rêveurs de poètes qui ont la tête dans les étoiles et sont pas mal dans la lune.
Mais pas de clichés ici. Il est question de la véritable impression profonde que produit un ciel nocturne sur nous. Sauf que cela va encore un peu plus loin. Le titre du livre "Supplique pour la fin des nuits sans lune" résume sa préoccupation.

En effet, la présence de la lune, même si étrange, rassure aussi. Il s'agit d'un phare, comme d'ailleurs écrit à un endroit, d'une sorte de bouée toute blanche à laquelle se raccrocher dans ce vide au-dessus de nos têtes.

Ici, au contraire, il sera question de la nuit, de cette lune à l'envers, des visions qu'elles nous inspirent. Signes d'angoisses, voire de déséquilibres, de cauchemars, d'hallucinations, de fantasmes…
Le symbole d'une nuit noire est inépuisable pour l'imagination de l'être humain. Un ciel nocturne peut provoquer des troubles dans le cerveau. Car la nuit ne fait que révéler l'incertitude qui nous accompagne, telle une ombre.

Laurence Fritsch, dans ses poèmes, démultiplie ces effets troubles. Elle fait feu de tout bois, ou plutôt de tout mot. L'écriture est intrigante car justement, le lecteur ne sait pas toujours très clairement de quoi il est question. Et c'est justement cette part de confusion qui ressort avant tout. Et le champ lexical, dans sa variété, mais avec sobriété, montre le grand écart des âmes ici chahutées.

Extrait de "Supplique pour la fin des nuits sans lune", de Laurence Fristch :

"clair de lune
à travers les volets entrouverts
projetant sur le parquet
son échelle enchanteresse

illusions de l'enfance

confuse trame
fuseau sans quenouille
dormir pour l'éternité
dans un cercueil de verre
sans tendresse

quelle part d'ombre
dans la nuit ?"

L'illustration de la couverture est une photographie de l'autrice.

Si vous souhaitez vous procurer "Supplique pour la fin des nuits sans lune", de Laurence Fristch, qui est vendu au prix de 14 €, rendez-vous sur le site de l'éditeur : https://www.pierreturcotte.com/product-page/fritsch-supplique-pour-la-fin-des-nuits-sans-lune

"La brèche par le mur", de Marie Alcance

 

Deuxième publication de Marie Alcance après "Devant l'ailleurs", que j'ai eu le plaisir d'éditer en 2021, à l'enseigne du Citron Gare, "La brèche par le mur" est un ensemble de plusieurs poèmes publiés par les Editions du Petit Rameur.

Marie Alcance, pour décrire cette brèche, part du registre de l'intime. 

Dans un sens ordinaire, le terme de brèche aurait plutôt une connotation négative, celle de fissure dans un mur, par exemple. Mauvais signe quand quelque chose s'en échappe, comme quelque chose qui se perdrait.

Mais dans ces poèmes, la brèche me paraît avoir une toute autre signification. La brèche, c'est ce qui permet de s'échapper, de passer à travers une épaisseur. C'est un appel à la légèreté, à la liberté sans doute aussi. Voilà ce qu'exprime Marie Alcance, avec la lutte que cela suppose, à travers une succession d'images naturelles.

Extrait de "La brèche par le mur", de Marie Alcance :

"loin des routes sans cesse
il faut beaucoup de souffle
je m'entraîne
à écarter un monde
qui se resserre

quand bien même
cette dignité d'aller
la chevelure emmêlée à la treille
l'épaule à la brique
la jambe au mortier

en rêvant une danse
sur la brise souple
d'un violon reverdi"

Les illustrations  sont d'Aloïs (pour la couverture) et d'Anicet (pour l'illustration de "Conte", en page intérieure) Fouquet.

Si vous souhaitez vous procurer "la brèche par le mur", de Marie Alcance, qui est vendu au prix de 5 €, rendez-vous sur le site des éditions : http://www.petitrameur.com/la-breche-par-le-mur.html

mardi 19 mars 2024

"On n'en taire pas les fantômes", de Marine Leconte

 

S'il y a bien un texte énigmatique, c'est "On n'en taire pas les fantômes", de Marine Leconte, publié par L'Ire de l'Ours Éditions, dans sa collection "La Lyre de l'Ours". 

Quatrième recueil de l'autrice, ce livre introduit une rupture par rapport aux précédents. Même si l'ambiance rappelle un univers déjà connu, ce texte est plus systématique, chaque poème constituant lui-même une rupture avec le poème d'avant.
Autant dire : ce texte frappe par sa discontinuité. Je pense à des miettes de discours oralisé, à un puzzle qu'il n'est pas utile de reconstituer. D'ailleurs, les illustrations géométriques et abstraites (dessins d'Agathe Lievens, dont celui de couverture) renforcent cette impression  : elles accompagnent véritablement les mots. 

À ce sujet, certains de ces mots reviennent tout au long du livre : "fleur, fantôme, utérus, paraffine, cadavre, soucoupe". Il n'empêche ! Ce quelque chose à dire, si difficile à dire qu'il est souvent déformé dans son expression par des jeux de mots, demeure captivant  : comme si le secret allait enfin tomber dans sa nudité ! On y croit, on y croit !

Extrait de "On n'en taire pas les fantômes", de Marine Leconte :

"Si tu ne peux pas m'entendre
Au moins mâche la marge
Trois m qui s'enchainent articule
Moins mâche marge
Répète
Tu fermes pas l'image
Et ces putains de soucoupes tu les gardes
Grandes
Ouvertes
Répète"

Si vous souhaitez vous procurer "On n'en taire pas les fantômes", de Marine Leconte, qui est vendu au prix de de 10 €, rendez-vous sur le site de l'éditeur : https://www.coollibri.com/bibliotheque-en-ligne/leconte-marine/on-nen-taire-pas-les-fantomes_639760

jeudi 14 mars 2024

"Incarner", anthologie poétique

 

Publié par les Éditions de "La Chouette imprévue", dans sa collection de p(r)oche, "Incarner" est sous-titré "30 poèmes pour dire le corps".

Il s'agit d'une anthologie poétique qui rassemble les textes de poètes souvent connus dans le microcosme de la poésie actuelle en France, respectivement Selima Atallah, Rim Battal, Zoé Besmond de Senneville, Lucien Brelok, Ananda Brizzi, Julien Bucci, Camille Bloomfiled, Emanuel Campo, Cécile Coulon, Christophe Dekerpel, Émilie Gévart, Johan Grzelczyk, Kiyémis, Sébastien Kwiek, Mélanie Leblanc, Perrine Le Querrec, Lisette Lombé, Victor Malzac, Coline Marescaux, Cartographie Messyl, Theo J. Mayer, Murièle Modély, Julia Nobbio, Ramiro Oviedo, Orianne Papin, Charles Pennequin, Florentine Rey, Anna Serra, Jérémie Tholomé, Laurence Vielle.

Je précise que Lisette Lombé est la marraine de cette cinquième édition du Serveur vocal poétique.

Belle occasion de pouvoir lire, dans un volume restreint, un petit panorama de ce qui se publie aujourd'hui, au-delà du thème abordé.

Les poèmes publiés ici, non seulement, sont faits pour être lus, mais également pour être écoutés. En effet, ils figurent sur ce "Serveur vocal poétique", dont j'ai parlé plus haut. Il suffit de composer les numéros de téléphone suivants : 03/74/09/03/00 (depuis la France) ou 02 315 44 44 (depuis la Belgique).

Extrait d'"Incarner", "Triathlon" de Florentine Rey :

"JE COURS
pour dérégler les nerfs et calmer la colère.
Encore combien de tours jusqu'à l'épuisement, jusqu'à ce que la gangue autour du cœur s'arrache et libère l'amour géant ?
Tiens bon et tu seras soutenue.

JE NAGE
je frôle le fond de la piscine, la tête au fond de l'océan, j'ai des vagues dans les cuisses et de l'air sous la peau. Combien de longueurs jusqu'au retournement ?
Combien pour réveiller toutes les forces inactives ?
Tiens bon et tu seras soutenue.

JE PLONGE
Le souffle coupé fait surgir des pensées puis des mots.
Dans ma bouche le muscle libre organise sa propre matière.
Allers-retours il brûle des résidus de chair et me hisse, à ma place, soutenue."

La photographie de couverture est de Benjamin Teissèdre.

Si vous souhaitez vous procurer "Incarner", qui est vendu au prix de 5 € (+ 1,50 € de frais de port), rendez-vous sur le site des éditions : https://www.lachouetteimprevue.com/product-page/incarner

"Climatorride", de Yve Bressande

 

Publié par les Éditions Milagro, "Climatorride", de Yve Bressande, est un recueil de poèmes en vers libres, consacré, comme son titre l'indique, au dérèglement climatique sous toutes ses formes, et plus généralement à toutes les préoccupations écologiques relatives à l'avenir de notre chère planète Terre.

Ce qui frappe à l'évidence le lecteur que je suis, c'est le contraste entre ce qui est dit et la manière dont cela est dit. Résolument, Yve Bressande adopte un ton ludique, qui tire volontiers vers l'ironie, pour décrire ce qui se passe à l'heure actuelle. 
Bien entendu, il en profite pour dénoncer les absurdités humaines : fausses pistes toujours plus libérales, et surtout l'inaction de notre espèce. Le propos est donc grave. À ce petit jeu là d'ailleurs, les jeunes générations ne se sentent pas forcément les moins concernées, mais cela suffira-t-il à sauver l'humain ? Ne pas trop compter sur les autres pour faire bouger les lignes, car c'est l'affaire de tous, et ça devrait être surtout la nôtre, personnelle.

Je note d'ailleurs l'avertissement de l'auteur figurant en quatrième de couverture ainsi qu'à l'intérieur du livre : "Pour votre moral et votre santé mentale, il peut être déconseillé de lire ce recueil du début à la fin d'une seule traite". Oui, mais l'indifférence est très forte…

Le style des textes de Yve Bressande est axé sur l'oralité : simples à lire, les poèmes ici rassemblés sont aussi destinés, à l'évidence, à être dits : nombreuses reprises de vers et répétitions, recours à des termes familiers, à des slogans qui accentuent l'engagement du propos.

Il n'y a pas pour autant de méchanceté dans ce livre. L'espoir d'une prise de conscience domine les pages de "Climatorride" qui semblent être tout sourire.

Extrait de "Climatorride", de Yve Bressande :

"Calottes polaires

Plus blanche que blanche
c'était avant    avant la pollution grise
le miroir du climat se liquéfie    s'évapore
le soleil bientôt ne se mirera plus sur les pôles
sombres perspectives
l'eau des océans se réchauffe
deux fois plus vite que l'équateur
c'est peut-être là qu'il faudra se réfugier
sur l'équateur
où finalement il ne fera pas plus chaud que ça
lointain écho du poème de Paul Fort
"Si tous les gars du monde"
illustré par une farandole humaine
dansant sur l'équateur"

L'illustration de couverture est un dessin de Florian Gadenne.

Si vous souhaitez vous procurer "Climatorride", de Yve Bressande, qui est vendu au prix de 16 €, rendez-vous sur le site de l'éditeur : https://milagro-editions.com/livres/1552-2/

lundi 4 mars 2024

"Tangram", de Jérôme Nalet

 


Publié par Cheyne Éditeur, dans sa collection Grands fonds, "Tangram", de Jérôme Nalet, est un livre de proses poétiques composé de quatre parties.

Voici un texte pas tout à fait banal qui commence par un rêve (le père de l'auteur semble en être le sujet ?) pour s'enfuir vers l'imaginaire (toujours une sorte d'enfermement, mais qui me plait), celui des deuxième, troisième et quatrième parties.

Dans la deuxième, le lecteur rencontrera un personnage qui s'appelle "Costa" et ne va pas très bien. Peut-être disparait-il à la fin du dernier texte, d'ailleurs…

La troisième partie, ensuite, intitulée "Tangram", est effectivement composée de sept séquences, même nombre (totalité ?) que celui composant les sept pièces de ce puzzle chinois qui donne son nom à la partie et au tout.

Pour dire la permanence de ce titre, "Tangram", le rêve liminaire n'est-il pas non plus un puzzle à reconstituer, comme toujours avec les puzzles ?

Et bien que je retrouve dans "Tangram" ce qui m'avait attiré dans l'écriture de Jérôme Nalet - absurde et formules choc - du premier recueil intitulé "Te léguant un œil mort", il y a autre chose ici, plus de sérieux peut-être. C'est qu'il s'agit également d'un poème d'amour, d'une histoire d'âme sœur succédant au rêve du père. Là encore, un puzzle à reconstituer.

La dernière séquence de ce livre, elle non plus, n'échappe pas au constat de l'écriture puzzle. Par exemple, le troisième monologue "attribué à la barbe-bleue" contient de nombreuses citations d'un poème de Georg Trakl. Au delà de cette caractéristique, c'est l'ensemble des trois monologues dont l'écriture est émiettée. mots en désordre. Points au bout des phrases qui arrivent trop tôt ou trop tard. Le lecteur est souvent piégé ! Enfin, ces monologues, dans leur désordre thématique, ressemblent au parcours que ferait un animal de type sanglier fouinant avec son groin un peu partout et se déplaçant par cercles concentriques.

Par dessus tout, j'aime quand l'absurde finit par dire quelque chose de vrai ou glisse vers le grave. Cela se sent tout particulièrement dans les proses courtes de "Costa" et "Tangram". Par exemple :

"Sur ce modèle, une pilule intéressante est en cours d'élaboration. Grâce à elle et pour quelques heures, une année tout au plus, vous deviendrez la chèvre, et la corde, et le pieu. Vous deviendrez le chou. Il apparaîtra que le loup a le visage de votre père, celui de votre mère. Il apparaîtra que le loup est constitué de vos amours manquées, vécues, prochaines. Le loup va vous ingurgiter puis vous régurgiter. Vous en ressortirez lavé de la moindre réminiscence, donc de tout regret."

Si vous souhaitez vous procurer "Tangram", de Jérôme Nalet, qui est vendu au prix de 20 €, rendez-vous sur le site de l'éditeur : https://www.cheyne-editeur.com/livre/productidn/2570057/tangramjrme-nalet

jeudi 8 février 2024

"Les neiges éternelles", de Luc Marsal

 

Premier véritable recueil de Luc Marsal, comme le dit ce dernier, "Les neiges éternelles" vient d'être édité par "L'échappée belle", dans sa collection "Ouvre-Boîtes".

J'y retrouve ici les constantes de la poésie de son auteur, déjà publié dans "Traction-brabant" : d'un point de vue formel, apparent, tout d'abord : des poèmes courts, aux vers eux-mêmes assez courts, comme coupés à ras, en général.

J'y retrouve aussi les mêmes thèmes, surtout dans la première partie du livre, durant laquelle Luc Marsal retrouve son enfance, ce pays de "neiges éternelles".
Ce qui est remarquable, c'est qu'il semble vraiment s'y revoir en tout petit, en dimensions réduites si je puis dire, dans un monde trop grand par opposition, qu'il décrit avec simplicité.

La deuxième partie de "Les neiges éternelles" délaisse le "je" pour aller vers le "elle", évocation d'une présence féminine imprécise, qui appartient autant au présent qu'au passé, semble-t-il.

À signaler aussi la présence de quelques poèmes contemplatifs des alentours, là encore, comme si l'auteur prenait le regard d'un enfant.

"Les neiges éternelles" s'achèvent par un texte au titre révélateur - "je veux vivre" (tout simplement, ce dernier texte ayant été publié auparavant par les Éditions "Donner à voir", mais dans une autre forme), semblant rassurer le lecteur sur son amour du présent.

Extrait de "Les neiges éternelles", de Luc Marsal :

Il neige

Il neige à qui veut l'entendre
l'enfant sage se tait
mais son ventre lui fait mal

une mèche blonde coule
sur son front
lisse comme un galet

il croit qu'il doit réussir
pour ne pas être pendu
et cherche dans les regards
un sourire oublié

la pâleur de la neige
pour amortir les coups
le soleil de l'hiver
pour adoucir les plaies

La préface de "Les neiges éternelles" est de Victor Malzac.

Si vous souhaitez vous procurer "Les neiges éternelles", de Luc Marsal, qui est vendu au prix de 10 €, rendez-vous sur le site de son éditeur : https://www.lechappeebelleedition.com/lucmarsal_lesneigeseternelles.html

mercredi 7 février 2024

"Atma heurt", de Christophe Lévis

 

Publié par "L'Âne qui Butine", "Atma heurt", de Christophe Lévis est un texte plus énigmatique qu'il n'y paraît. 

À première vue, il s'agit de l'évocation d'un souci d'adolescence et/ou du moins de jeunesse, de quelques années en arrière.

Et pourtant, au milieu de tout ce passé, il semble bien y avoir un peu de présent. Comme si des instants de vie différents étaient superposés dans ce même texte. Par exemple : "La nuit suivante fut longue, j'étais rentré chez moi. Accoudé à ma table, la tête entre les mains, l'irréel du monde me semble loin." puis "J'ai quinze ans et demi, moi, l'exalté du moment." et enfin : "Mes lèvres sur les siennes, je suis adolescent."

Comme si la douceur avait du mal à laisser de la place à la douceur.

Avec cette confession finale, extrait de "Atma heurt" (un titre bien énigmatique aussi, pour lequel je n'ai pas forcément envie d'avoir une explication) :

"Oh... les mensonges iniques des satyres, nous ne les voulons plus ! Seulement le rire franc et clair de nos cœurs mêlés."

La photographie contenue dans le fascicule est également de Christophe Lévis.

Si vous souhaitez vous procurer "Atma heurt", de Christophe Lévis, qui est vendu au prix de 11 €, rendez-vous sur le site des éditions : https://www.anequibutine.com/catalogue/book/201-atma-heurt

vendredi 2 février 2024

"Strophes d'équinoxe", d'Éric Bouchéty

 

Publié par les Éditions "À L'Index", dans sa collection "Les Plaquettes", "Strophes d'équinoxe" est le deuxième recueil publié par Éric Bouchéty, après "Dix-huit poèmes" (Encres vives).

Il s'agit d'une suite de seize séquences, dont chacune regroupe plusieurs courts poèmes en vers libres, qui sont parfois constitués d'une simple… phrase.

Ce recueil décrit un compagnonnage étroit de l'humain avec l'environnement naturel. Je préfère utiliser le terme d'environnement naturel que de nature, car plutôt que des végétaux identifiés, affleurent en majorité ici ses reliefs et l'ambiance qui s'en dégage.

Ce compagnonnage est si étroit que parfois le lecteur se demande si l'humain ne s'est pas figé dans les choses alentour. 
En tout cas, l'environnement naturel semble gouverner tous les affects et mouvements des protagonistes de ce paysage. Pour moi, il s'agit d'une sorte de miroir dépourvu de transparence, mais qui remue, et dont les mouvements inspirent la qualité des personnes le traversant.
Une sorte de voyage qui prendrait le visage d'une randonnée étirée dans le temps (plusieurs années ?), mais sans initiation, sans progrès véritable, comme une errance à peu près heureuse.

Si séparation il y a, elle intervient en fin de recueil, lorsqu'enfin, la nature commence à être contemplée.

Un extrait de la sixième partie de "Strophes d'équinoxe", d'Éric Bouchéty :

"Nous, des symboles itinérants
Avec des têtes de sentiments,
De nuages incompréhensibles,
            Enfoncions nos pas dans le panorama

Visages dehors, figurés par le paysage,
Traces éblouies de nos abandons.

Blessés dans des rôles concis,
Mangés par un calendrier,
On avait demandé à l'exil
De fournir une étendue.

Aliénés, au phrasé du monde,
Au coq hardi, au métayage,
            Des gens perdus se renfrognaient,
Perdaient le lieu et le refrain.

            À ne plus se reconnaître sur les vitrines,
On s'enfonça vers l'arrière-pays,
Cherchant un suc, Fleurs indigènes, irréfléchies."

Comme dit sur la première de couverture, ces "Strophes d'équinoxe" sont "accompagnées de deux photos de l'auteur".

Si vous souhaitez vous procurer "Strophes d'équinoxe", d'Éric Bouchéty, qui est vendu au prix de 13 €, rendez-vous sur le blog de la revue "À L'Index" : revue.alindex@free.fr

mercredi 31 janvier 2024

"À Petros, crise grecque", d'Anne Barbusse

 

Publié par "Bruno Guattari Éditeur", "À Petros, crise grecque", d'Anne Barbusse, est un recueil de poèmes qui ressemble à un roman, tout d'abord par ses dimensions importantes (250 pages), mais aussi par sa construction : divisé en quatre actes, plus un prologue et une épilogue, comme autant de parties, dont chaque poème, muni de son titre, serait un chapitre.

Cependant, cet aspect formel n'est pas le seul à caractériser ce qui semble être une épopée moderne, en référence à "Ulysse" d'Homère.
À vrai dire, l'épopée n'en est pas vraiment une. Il s'agit plutôt du récit de l'échec d'une relation amoureuse qui s'est jouée durant quelques jours à la fin des années deux mille en Grèce.
Dans "À Petros, crise grecque", la Grèce sert de toile de fond à une histoire d'intimité. D'ailleurs, ce pays vit sa crise économique, sa crise de valeurs (voleurs, pourrait-on dire, par jeu de mots facile) capitaliste, comme la protagoniste vit sa crise personnelle.

Dans la plupart des poèmes de "À Petros, crise grecque", Anne Barbusse montre comment on peut survivre à une histoire amoureuse. Mais tout est dans le style. En effet, chaque poème déroule ses vers amples au fil des pages et compose une musique entêtante, puissante, riche, voire même sensuelle.

Il y a aussi les images. Ce livre ne ressemble pas qu'à un roman, mais à un véritable film, de ceux peut-être que l'on se fait, mais qui nous prolonge dans son travelling continu. D'ailleurs, un hommage explicite est rendu à plusieurs cinéastes (Costa-Gavras, Kitano, Godard).

Les mots anglais (langue pratiquée en Grèce) disséminés dans ces poèmes constituent autant d'incrustations, telles des bribes d'une bande-son intérieure.

La force de "À Petros, crise grecque" me semble tenir à l'étroite correspondance qui s'établit entre la musique des mots et les images, unis dans la passion.

Extrait de "À Petros, crise grecque", d'Anne Barbusse :

elle a le visage de l'aube homérique

tu te tais - tu sais que l'amoureuse ira jusqu'au bout -
do what you what - tu as peur
tu signes la réversibilité de la peur dans l'hiver
ambivalent
l'après-Noël avait un goût de paradis alors tu te réfugies
dans le déni
c'est facile comme l'inertie de l'attente vierge
ton visage est mangé par l'espace et tu t'appliques à
l'autodestruction - but we have a correction - il faudra 
bien que l'hiver déguerpisse

j'ai déjà suicidé mon amant voudrais-tu que je tue ce
désir clair
quand se rapproche la mort très jeune on a de sursauts
comme la mer d'hiver

l'amour est un goût de voyage qui échange le temps
mordu comme de l'espace et du ciel et de la terre -
l'amoureuse est une femme stérile mais certaine -
est ce voilier qui ne sait voguer - elle se penche sur
l'immobilité pleurée elle a
le visage de l'aube homérique - les doigts de rose - elle
contredit tous les réels

Si vous souhaitez vous procurer "À Petros, crise grecque", d'Anne Barbusse, qui est vendu au prix de 12 €, rendez-vous sur le site de l'éditeur : brunoguattariediteur.fr

"La non-mère", d'Anne Barbusse

 

Publié par les Éditions "Pourquoi viens-tu si tard", "la non-mère", d'Anne Barbusse est une suite de courts poèmes d'une page, en vers libres.

Ici, "la non-mère" n'est pas celle qui n'a pas d'enfants, mais plutôt celle qui n'aurait pas dû en avoir. C'est la mère de celle qui écrit (l'autrice ?). On ne peut pas dire qu'il s'agisse d'un hommage. À l'inverse de la représentation consensuelle des mères qui est plus souvent donnée : aimante, douce, cette mère-là en porte surtout le titre.
Son attitude est dénoncée, mais également ses goûts, certitudes et œillères. 
Même si ce portrait n'est pas idyllique (d'ailleurs, "Le non-père" en prend aussi pour son grade, au passage), je ne suis pas certain qu'il ne fasse pas écho chez plusieurs lecteurs, car plus proche de la réalité que de la représentation désirée.

D'ailleurs, l'autrice ne se contente pas de parler de l'enfance et de l'adolescence… Elle montre combien le comportement d'une mère peut avoir de répercussions sur celui de son enfant, une fois que celui-ci est parvenu à l'âge adulte.

Ainsi, le déséquilibre initial se reproduit de génération en génération.

Si ce livre m'a plu, c'est par son côté réaliste, qui n'essaye jamais de se bercer d'illusions. C'est aussi et surtout parce qu'il s'agit d'un véritable texte de révolte. Une révolte qui ne faiblit pas (après tout, pourquoi ne pas imiter ses géniteurs dans leurs certitudes, les retourner contre eux ?).

Le style de ces poèmes est véhément et tourmenté, en même temps qu'il est riche d'images. À la sécheresse humaine répond la flamboyance du style.

Cela faisait une année au moins que je n'avais pas lu de poèmes qui préfèrent courir le risque d'agacer le lecteur plutôt que celui de ne pas dire la vérité.

Extrait de "Le non-mère", d'Anne Barbusse :

"la non-mère a des mots fixes et matériels
elle englobe les courses et tickets de caisses
elle obture la souffrance et positionne les rêves
sur des places de parking ou des queues à la caisse
elle organise la déliquescence de l'art
qui devient une culture assénée par l'école
l'écriture l'effraie
le journal intime de la petite fille défie le consumérisme
et les publicités de la boite aux lettres
s'y jouent trop d'amours défigurées par la peur
et de romantisme innomés (la no-mère
est un Charles Bovary féminin doublé d'une capacité de
décision
quand la petite fille n'est qu'une Emma de plus, désarticulée
sur la balançoire la mélancolie féminine et subjective
balance ta douleur nue"

La photographie de couverture est d'Éric Dubois.

Si vous souhaitez vous procurer "La non-mère", d'Anne Barbusse, qui est vendu au prix de 10 €, rendez-vous sur le site de l'éditeur : www.association-lac.com