dimanche 28 novembre 2021

"Les usines", de Georges Oucif

 

Publié dans la collection Polder de la revue Décharge, "Les usines", de Georges Oucif, est un recueil qui tient tout entier dans son titre.

En effet, chacun des trente poèmes qui composent ce volume consacre l'apparition renouvelée de ces usines.

En cela, j'ai trouvé ces poèmes plutôt inactuels, qui m'ont fait penser à la démarche d'un Emile Verhaeren. Car les usines semblent exercer une fascination sur l'auteur, qui les compare d'ailleurs fréquemment à des femmes. 

Je comprends cette attirance, j'apprécie moi aussi ces paysages urbains, mais à une époque où beaucoup d'usines ferment, provoquant des charrettes de licenciements, où on s'inquiète de la pollution et de la destruction de la planète, les usines n'apparaissent plus du tout comme des alliées de la poésie (si tant est qu'elles l'ont été un jour !).

Bien sûr, Georges Oucif n'omet pas de signaler qu'elles sont aussi synonymes d'esclavage salarié.

Il n'empêche : l'impression qui domine de tous ces poèmes est celle d'une poésie immédiate qui se lit facilement et ne manque pas de vitesse dans ses images. Cela me change de tant d'espaces naturels décrits dans les poèmes de 2021 !

Extrait de "Les usines", de Georges Oucif :

"les usines ont leur chevelure dans le vent
   déployée
les femmes aussi jouent du charme de leurs
   cheveux défaits
aux traits parfois quelconques d'une façade
   au désordre d'un visage mal bâti
un entrelacs mouvant de volutes vient apporter
   la beauté
à l'insignifiance des formes on trouve soudain
   de la prestance
laissez à vos ciels flotter les attributs de Vénus
et les yeux se tournent plein d'envie d'embrasser
   de factices amours
les usines sur le sol rampent et se font altières
   ainsi parées
les hommes lisent dans ces fumées des désirs
   inespérés
des rêves s'élèvent là qui frisent l'illusion"

La préface est de Daniel Brochard.

L'illustration de la première de couverture est d'Amenech Moayedi.

Si vous souhaitez en avoir plus sur "Les usines", de Georges Oucif, qui est vendu au prix de 6 €, rendez-vous sur le site des éditions : https://www.dechargelarevue.com/Polder-191.html

dimanche 14 novembre 2021

"Entre les gonds", de Robert Roman

 

Publié par les Éditions du Port d'Attache, "Entre les gonds", de Robert Roman porte bien son sous-titre de "Proses électriques".

En effet, quand elles ne sont pas construites sur le principe de l'aggravation (un homme qui perd son pouce, son index, ses yeux, puis ses jambes, etc), ces proses sont prises d'énervement, comme si les protagonistes de l'histoire se débattaient dans un cauchemar ou dans une ambiance de fin de monde. 
C'est la guerre pour le corps autant que le brainstorming (dans la tête).

Textes singuliers, les proses poétiques de Robert Roman, dans leur vocabulaire varié, mettent à distance le lecteur qui, loin du bien ou du mal, se contente du spectacle de l'immédiateté des choses.

Extrait de "Entre les gonds", de Robert Roman :

"Voilà soixante ans que cela dure. Le soir, je disparais. Le matin, je renais. Et je m'étonne de respirer encore, de trouver la force de couper ces poils qui s'exhibent loin de mes pores. Un fatras silencieux m'accompagne. Ce ne sont que papiers blancs, enveloppes kraft, cachets de cire et encre noire. Les mots sont toujours les mêmes : ciel ouvert, chiendent amical, mousse dévastatrice… Je change seulement le sens en cours de route et me retrouve au point de départ : voilà soixante ans que cela dure. Le soir, je disparais. Cent démangeaisons l'obligent à me gratter. Mes ongles miment un générique. Celui que personne ne regarde jamais. Parce que trop intime. Trop personnel. Mon cinéma est exquis. Je perçois les mouvements de caméra. Quelqu'un a dit : "Moteur !" Je répète les mots. Je répète le texte. Pour la réplique, nul n'est admis. Que ce soit un rêve ou la réalité, la psychose est la même. Un univers se déploie… Je parcours la nef en volant et je crie que je suis le mal. Je sais que c'est faux, pourtant les nonnes relèvent leur robe quand je passe devant le banc de bois qui leur sert de prothèse. Quelqu'un a dit : "Coupez !" Mais les projecteurs restent allumés. Il suffit alors d'une expression parfaitement choisie pour rejouer la scène. Voilà soixante ans que cela dure. Le soir, je disparais…"

La préface de "Entre les gonds" est de Jacques Lucchesi, l'illustration de couverture, de Robert Roman.

Si vous souhaitez vous procurer "Entre les gonds", de Robert Roman, qui est vendu au prix de 6 €, rendez-vous sur le site de l'éditeur : http://editionsduportdattache.blogspot.com/

mardi 2 novembre 2021

"Vidée vers la mer pleine", de Florent Toniello

 


Publié par les Éditions Phi, dans la collection Graphiti, "Vidée vers la mer pleine", de Florent Toniello est un recueil de poèmes divisé en trois parties, qui pourraient se résumer par un avant (poèmes en vers), un pendant (poèmes en prose) et un après (poèmes en vers).

Plutôt qu'illustrer une rupture et une possible libération (de la femme qui parle ici), "Vidée vers la mer pleine" évoque plutôt à mes yeux une permanence.
Et plutôt que de m'attacher à cette voix de femme qu'emprunte l'auteur dans ce recueil, je m'intéresserai à ce qu'elle décrit.

Car pour moi, Florent Toniello est l'auteur qui sait le mieux nous emmener en voyage, mais pas dans n'importe quel voyage : celui des guides touristiques, avec son ambiance bien sentie de bonheur marchand et climatisé, qui se joue de toutes les frontières et distances, le bonheur libéral, en résumé.

Bien sûr, il y a dans ce bonheur décrit beaucoup de malice et d'ironie, trait qui affleure toujours de ces poèmes dans lesquels pointe le sens du détail.

À noter également, l'égale réussite entre poèmes longs de plusieurs strophes et poèmes courts de quelques vers, due au fait que les poèmes longs ont aussi leur côté percutant.

Et l'on se dit, en lisant ces textes, que l'autosatisfaction apparente du je cache bien des zones d'ombre. Non, le monde ne doit pas être aussi merveilleux que celui affiché dans des slogans publicitaires…

En témoigne ce poème extrait de "Vidée vers la mer pleine", de Florent Toniello : "Pas à une contradiction près" :

Dans le grand tout des petits riens
je fais mon miel des choses inutiles
l'inattendu côtoie les divines surprises
le coq et l'âne sautent les moutons
l'ordre établi bouscule les extravagances

dans le melting-pot des fournées matinales
je hume l'odeur du Croissant fertile
l'eau tiédit en soleil de minuit
je fourre mes viennoiseries de chocolat
d'un commerce équitablement pervers

il n'est pas de réaction sans contre-réaction
pas de yin sans… vous l'avez deviné ?
je peux le moins je peux le plus
les expressions consacrées virevoltent
ma tête tourne la Terre aussi

Si vous voulez vous procurer "Vidée vers la mer pleine", de Florent Toniello, qui est vendue au prix de 15 €, rendez-vous sur le site de son éditeur : http://www.editionsphi.lu/fr/francais/517-florent-toniello-videe-vers-la-mer-pleine.html