jeudi 28 décembre 2023

"Éveils", de Philippe Jaffeux

 

Publié par les Éditions Jannink, "Éveils", de Philippe Jaffeux, est un livre qui se démarque des précédents du même auteur, tout en en constituant la suite logique.

En effet, "Éveils" donne autant à voir des mots, pour le plaisir des yeux, qu'à les lire. Et c'est la confirmation pour le lecteur, que la phrase, dans les textes de Philippe Jaffeux, constitue à la fois un tout indépendant (elle se libère ainsi de toute suite narrative) et une unité atomique.

Car ici, par la magie de l'infographie, la manipulation des polices de caractères (couleurs, tailles, casses, soulignées, gras, exposants, indices etc.), la phrase peut montrer à nouveau davantage ce qu'elle signifie.
Elle devient, en quelque sorte, le sismographe apparent des mots qui la composent.

À noter également une caractéristique qui n'apparaît pas, à ma connaissance, dans les autres livres de Philippe Jaffeux.

Très souvent, il est fait référence, à la fin de ces phrases, à un peintre qui est nommé explicitement. C'est sans doute là rendre hommage à toutes sortes d'artistes, c'est sans doute confirmer le fait que les mots se placent sous le patronage de la peinture. Comme s'ils s'accrochaient à un tableau, qu'ils en constituaient la signature, l'imitant, l'expliquant. Sauf que ce tableau serait constitué de ces mots, même…

Extrait de "Éveils", de Philippe Jaffeux :


Si vous souhaitez vous procurer "Éveils", de Philippe Jaffeux, qui est vendu au prix de 18 €, vous pouvez suivre ce lien : https://www.lespressesdureel.com/ouvrage.php?id=11102&menu=0

lundi 25 décembre 2023

"Et je marche", de Chantal Godé-Victor



Joli petit livre que "Et je marche", de Chantal Godé-Victor, publié par les Éditions Donner à Voir, dans la collection "Tango".

En effet, textes et images s'y déploient en accordéon, soit sur six faces de papier blanc imprimées en recto-verso (dont l'une collée sur l'intérieur de couverture).

Dans ces courts poèmes composés de quelques vers libres, l'autrice dialogue avec la nature, comme ses dessins dialoguent avec ses textes.
Elle l'interroge même. Car derrière l'apparence d'un bois ou d'un chemin, c'est l'histoire des hommes qui s'imprime en filigrane.

Chantal Godé-Victor ne perd pas de vue cette histoire, quand elle prend son bâton de pèlerin et se met en marche, rendant hommage à ses ancêtres qui ont façonné la terre.

Extrait de "Et je marche", de Chantal Godé-Victor :

"Imagine les bois
l'histoire
contée par mille ans de mémoire
et de fil déroulé
entre les pans du grand miroir
et les tables des maisonnées."

Si vous souhaitez vous procurer "Et je marche", de Chantal Godé-Victor, qui est vendu au prix de 6 €, rendez-vous sur le site de l'éditeur : https://www.donner-a-voir.net/catalogue/catalogue501.html

jeudi 23 novembre 2023

"Un corps qu'on dépeuple", de Matthieu Lorin

 



Publié par Exopotamie Éditions, dans sa Collection Échos, "Un corps qu'on dépeuple", de Matthieu Lorin, est un recueil de poèmes en prose, qui filent leur métaphore de bout en bout : celle de l'homme des cavernes en prise avec les éléments et un environnement hostiles.

Derrière la barbarie apparente du propos, je distingue personnellement surtout beaucoup de dérision.
Matthieu écrit ici un recueil de poésie d'apprentissage (de la vie), dans lequel il décrit l'histoire de son évolution, au cours de laquelle rien n'est jamais gagné, ni perdu. D'où l'ironie de la situation.
À chaque période de cette évolution (enfance, adolescence, premiers émois, premier emploi, rencontre de l'être aimé), est adressée une missive très imagée, reproduite en italique, écrite à la fois à quelqu'un en particulier et à tout le monde, comme une revendication de vivre.

Hé oui ! Il faut reconnaître que Matthieu Lorin n'a pas tort. Son histoire, racontée à la première personne du singulier, est souvent aussi la nôtre.
La jungle des villes vaut bien celle de la préhistoire.
Quant au style, il s'adapte au propos de l'auteur : rempli de la puissance des images, pour combattre les intrusions ternes du quotidien.

Extrait de "Ce corps qu'on dépeuple", de Matthieu Lorin :

"Nouvel été. Je laisse les mots suspendus dans le vestiaire, au fond de la ferraille. Reproduire le geste suffit.

La nuit, mes mains acceptent encore le camphre et l'élégance du dialogue. Mais si des lèvres vrillent et que rentabilité en sort - comme un rongeur ou une folie peuvent sortir de bûches entreposées - alors elles se rétractent et cherchent des couvertures pour se terrer.

Les souris agissent ainsi, nous apprenant par là où le piège doit être posé."

L'illustration de couverture est une acrylique sur toile de Sébastien Montag.

Si vous souhaitez vous procurer "Ce corps qu'on dépeuple", de Matthieu Lorin, qui est vendu au prix de 15 €, rendez-vous sur le site de l'éditeur : https://exopotamie.com/

lundi 20 novembre 2023

"Avant-guerre", d'Arnaud Talhouarn

 


Publié dans la collection Polder de la revue Décharge, "Avant-guerre", d'Arnaud Talhouarn, fait preuve de qualités singulières, qui en font toute la valeur.
Je m'explique.
On ne peut pas dire que la vie soit vraiment chantée dans ce recueil, s'agissant plus particulièrement de l'existence du poète. Exit donc, la poésie des bonnes intentions et des valeurs humaines !
L'auteur se concentre sur autre chose. Ce qui fait la valeur de son existence, ce sont les visions des choses qu'il a autour de lui, qui ont à la fois la dureté des statues et l'éphémère des cendres ou de la lumière.

La progression du recueil le montre bien d'ailleurs : La première partie est intitulée "Fragments autobiographiques", puis viennent "Ascèse et autres exercices de rumination", et enfin "Reliefs". Ces titres montrent déjà que le lecteur partira de l'homme pour aller vers les choses, fera connaissance avec cette dépersonnalisation caractéristique du texte.
Espérons juste que le titre de ce Polder : "Avant-guerre" ne soit pas trop prémonitoire !...

Le style de l'écriture d'Arnaud Talhouarn recèle de nombreuses surprises : pratiquant les inversions de mots, volontiers scandé, par grappes de vers constituant des sortes de versets ou mélangeant proses et vers, il sonne comme inactuel, ne cherche pas à imiter le langage parlé - ce qui me paraît rare dans la poésie contemporaine - mais est plutôt axé sur la minutie.

Extrait de "Avant-guerre", d'Arnaud Talhouarn :

"Heures perdues

Accoudé à tes genoux, sous le couvert des mille jeunes feuilles d'une ramure qui surplombe ton crâne. Dans la transparence d'une feuille apparaît le réseau ordonnée des nervures, guillochis régulier et orienté.
L'avant-bras dont l'intérieur est tourné vers le ciel montre, incrustée dans la peau transparente, la cartographie des veines. Le sang circule en pulsations incessantes, parcourant les mêmes canaux, depuis une durée comportant une quantité vertigineuse de cycles, véhiculant une énergie dont l'origine est aussi inexistante que la fin.

Ardent caractère, de monastique nature,
ne te détourne pas de toi-même, pas tant du moins
que la formule de ce détournement ne soit ajustée au mieux à
l'énigmatique figure."

La préface de "Avant-guerre" d'Arnaud Talhouarn est signée Guillaume Decourt et l'illustration de la couverture est de Nolwenn Camenen.

Si vous souhaitez vous procurer "Avant-guerre", d'Arnaud Talhouarn, qui est vendu au prix de 7 €, rendez-vous sur le site de l'éditeur : https://www.dechargelarevue.com/Polder-200.html

dimanche 12 novembre 2023

"Un bouquet de sourires", d'Ayman Lahbabi

 


Sous-titré "Petit traité poétique", "Un bouquet de sourires" est un livre d'Ayman Lahbabi, publié par Z4éditions.

Tout d'abord, je me suis interrogé sur ce terme de "Petit traité poétique", qui me paraît contradictoire . Si c'est un traité, ce n'est pas de la poésie. Si c'est de la poésie, ce n'est pas un traité.

Je plaisante bien sûr, empruntant le mode de pensée rationnelle de la plupart d'entre nous. Sauf qu'avec la poésie, tout est possible. C'est bien pour cela qu'on l'aime !

Ainsi, ce "Petit traité poétique" est une sorte de sagesse. Le lecteur s'en rend compte immédiatement, alternant poèmes en vers libres et chapitres en prose. Le sourire sert de trait d'union entre ces deux ensembles de textes.

Il y a les bons sourires, et puis il y a les mauvais, ou plutôt les sourires faux. C'est surtout dans les proses d'Ayman Lahbabi que la sagesse opère, et la critique aussi ! Et puis, il y a les poèmes, qui saisissent l'instant du sourire.

Ainsi, ces textes témoignent d'un bonheur de vivre, avec beaucoup de naturel. D'où cette chronique d'un recueil rempli de fraîcheur.

Extrait de "Un bouquet de sourires", "Elle m'a souri", d'Ayman Lahbabi :

"En partant
Le pied dans la porte

Je sais pas trop ce que cela voulait dire
Quelque chose comme
Merci d'exister
Quelque chose comme
Continuez à le faire
L'Univers en est grandi
Et moi je vous soutiens de loin
Si avez, un jour, besoin
D'un bouquet de sourires pour garder la foi

Je sais pas trop ce que cela voulait dire
Ou pas dire
Cela voulait juste chanter
Siffloter
Un morceau de joie partagé ensemble
Même si l'on ne se reverra jamais
Le graver au fer rouge sur nos visages
Au moins pour quelque temps

Pris de court, je lui ai souri en retour
Je sais pas trop ce que cela voulait dire
Certainement la même chose
En moins bien
Le sourire de l'autre est toujours plus éloquent
Plus brûlant qu'une étreinte
Au fond, il en suffirait de quelques-uns
Pour vivre courageusement d'un bout à l'autre."

Si vous souhaitez vous procurer "Un bouquet de sourires", d'Ayman Lahbabi, qui est vendu au prix de 12 €, rendez-vous sur le site de l'éditeur : https://z4editions.fr/product/un-bouquet-de-sourires/

mercredi 8 novembre 2023

"Main tenant", de Germain Roesz et Claude Ber

 

Publié par Les Lieux-Dits éditions, dans la collection 2Rives, "Main tenant" de Claude Ber, illustré par Germain Roesz, est un livre qui ne ressemble pas à la plupart des autres livres.

En effet, la première partie de l'ouvrage donne à voir les illustrations non figuratives et fortement colorées (j'aime ce jaune dominant) de Germain Roesz, précédées d'un papier calque sur lequel est inscrit un fragment du texte publié. Ce dernier en sort comme éclairé.

La deuxième partie du livre se présente plus classiquement, avec la publication intégrale du texte précédemment illustré.

"Main tenant" de Claude Ber est un hymne continuel. Son titre le confirme d'ailleurs. "Main tenant" sonne comme un appel à la solidarité. ce que j'ai aimé dans ce poème en vers libres découpé en plusieurs séquences, c'est son côté œcuménique, qui ne cherche pas à distinguer le bon grain de l'ivraie, la vision négative de la positive, pour mieux brasser l'ensemble du monde tel qu'il est : cette approche me semble assez rare pour être signalée, ce qui rend, à mes yeux, le texte plutôt original.

Extrait de "Main tenant", de Claude Ber :

"que le compact des immeubles
se dilue dans le délié gracile de l'air tremblé
leurs blocs d'emprise et la nôtre dissouts
dans l'effervescence de la lumière

que le mixeur des écrans
malaxe pêle-mêle virus guerres migrants
et lamelle de lune dans un pli de nuage
faillites et supernovas likes et attentats
caddies de mangeaille
famine et fonte des glaces
rafales d'étourneaux opérations boursières
et dégueulis d'insultes internautiques
dans l'addition illimitée
d'un total soustrait de lui-même
en bannière de pagaille mondiale

que des fleurs d'hibiscus ondoient
en corolles capricieuses
dans une suspension sereine de l''esprit

qu'une clique de bruits
et son trousseau de clés inutiles
cliquètent à nulle serrure
dans le sans porte
que comprendre se connaît comme un bras
plongé dans le brasier et la boue

qu'un éclat de verre dans l'allée
fait miroiter la pluie
et le feuillage parme du prunus
avec une élégance subtile et laquée

qu'un brin de fins cheveux frissonne
sur tes tempes
avec une légèreté dansée
et émouvante
comme au revers de l'un
son pluriel éparpillé

c'est maintenant
mains nouées à d'autres mains".

Si vous souhaitez vous procurer "Main tenant", de Germain Roesz et Claude Ber, qui est vendu au prix de 20 €, adresse des éditions : Les Lieux-Dits éditions, Zone d'art, 2 rue du Rhin Napoléon, 67000 STRASBOURG.

dimanche 5 novembre 2023

"Poèmes pour enfants seuls", d'Étienne Paulin

 

Deuxième recueil publié par Étienne Paulin aux Éditions Gallimard, dans la collection Blanche, après "Là" en 2019, "Poèmes pour enfants seuls", me semble être différent, je veux dire par là, moins elliptique que "Là".

De format inhabituel (18,5 cm X 23,5 cm), plus grand qu'à l'accoutumée, "Poèmes pour enfants seuls" ouvre de nombreuses fenêtres sur le monde, toujours précises. Comme si le grand format du livre était la traduction d'un regard d'enfant qui, quand il s'ennuie, voit de grandes choses à travers les petites (et il n'a pas tort). ce dont témoigne cet enchaînement de poèmes plus ou moins courts, mais jamais très longs.

Avec son regard d'enfant pour les enfants, Etienne Paulin, qui troque la ville contre la campagne, propose des poèmes d'amour libre, axés autour d'animaux (âne, loriot) ou d'objets familiers, plutôt issus du passé : atelier, cellier…

Tant de natures mortes que je n'ai pas trouvées si mortes que cela, car vivifiées par l'élégance de l'image.

La dernière partie de "Poèmes pour enfants seuls" se détache assez nettement du livre, car spécialement dédiée à l'aimée : "Ariel".

Extrait de "Poèmes pour enfants seuls", "Orage", d'Étienne Paulin :

"nuit par volutes
par éclairs
par les endroits qui tremblent du jardin
entre les gouttes un garnement
passe le portillon
s'enfuit par l'escalier qui n'est pas encore là"

Si vous souhaitez vous procurer "Poèmes pour enfants seuls", d'Étienne Paulin, qui est vendu au prix de 17,50 €, rendez-vous sur le site de l'éditeur : https://www.gallimard.fr/Contributeurs/Etienne-Paulin

mardi 10 octobre 2023

"C.O.M.M.E.N.T. L.'I.D.É.E. D.'U.N. T.I.T.R.E. S.U.F.F.I.T. À. D.É.C.R.I.R.E. L.E. S.O.R.T. D.'U.N. L.I.V.R.E. C.R.E.U.X.", de Philippe Jaffeux


Avec "C.O.M.M.E.N.T. L.'I.D.É.E. D.'U.N. T.I.T.R.E. S.U.F.F.I.T. À. D.É.C.R.I.R.E. L.E. S.O.R.T. D.'U.N. L.I.V.R.E. C.R.E.U.X.", Philippe Jaffeux créé l'accident dans les 53 pages de son livre, publié par les Éditions Milagro.

Mais repartons du commencement. Déjà, c'est à partir des 53 lettres du titre qu'est construit le texte.
Construit ? Pas vraiment en apparence. Ou alors construit à l'envers. Car c'est plutôt l'absence d'une seule lettre du titre qui perturbe chaque page du livre. À chacune des 53 pages sa lettre du titre disparue.

Pour rompre la monotonie de la lecture de toutes ces phrases qui se succèdent les unes aux autres comme sur l'écran d'un ordinateur, il n'y a rien de tel que d'insérer ces accidents "par déduction", accidents créés par l'absence d'une lettre.

Du coup, l'attention du lecteur redouble pour identifier les mots incomplets. Afin de nous accompagner dans ce jeu, l'auteur et l'éditeur ont identifié en rouge les fragments des mots manquants.

D'ailleurs, chaque page de "C.O.M.M.E.N.T. L.'I.D.É.E. D.'U.N. T.I.T.R.E. S.U.F.F.I.T. À. D.É.C.R.I.R.E. L.E. S.O.R.T. D.'U.N. L.I.V.R.E. C.R.E.U.X." forme un tout. Elle peut être lue indépendamment, même si une phrase peut se retrouver sur deux pages à la fois. Cette indépendance de la page est la plus signifiante, puisque seules les pages de droite sont écrites et non celles de gauche, introduisant une rupture par rapport à un livre "classique", facilité de lecture là aussi.

Quant au sujet du livre, il s'agit uniquement et tout simplement de variations sur la perturbation causée dans la routine de la lecture par ces lettres manquantes.

Et c'est comme si les accidents d'un livre (en tout petit) devenaient les accidents d'un monde (en tout grand).

Extrait de "C.O.M.M.E.N.T. L.'I.D.É.E. D.'U.N. T.I.T.R.E. S.U.F.F.I.T. À. D.É.C.R.I.R.E. L.E. S.O.R.T. D.'U.N. L.I.V.R.E. C.R.E.U.X.", de Philippe Jaffeux :


Si vous souhaitez vous procurer "C.O.M.M.E.N.T. L.'I.D.É.E. D.'U.N. T.I.T.R.E. S.U.F.F.I.T. À. D.É.C.R.I.R.E. L.E. S.O.R.T. D.'U.N. L.I.V.R.E. C.R.E.U.X.", qui est vendu au prix de 22 €, rendez-vous sur le site de l'éditeur : https://milagro-editions.com/livres/1426-2/

samedi 7 octobre 2023

"Les autres au tamis du regard", de Dorothée Coll

 

Publié par les Éditions Jacques Flament, dans la collection "Paroles de poètes", "Les autres au tamis du regard" de Dorothée Coll, est un recueil de poèmes en vers libres, dont j'ai eu l'occasion de publier récemment trois extraits dans le numéro 105 de "Traction-brabant".

À première vue, chaque poème de cet ensemble constitue un tout étanche. Il s'agit de portraits de femmes réalistes. Je dis "à première vue", car cette approche doit être affinée.
Tout d'abord, il n'y a pas que des portraits de femmes, mais parfois aussi d'hommes. Il y a aussi fréquemment des moments de songe et d'introspection écrits à la première personne du singulier. C'est plus de féminité dont il s'agit ici.

De plus, au réalisme se mélange le conte. D'ailleurs, les deux vont bien ensemble.
Cette écriture précise, qui parfois, pique le lecteur de ses fines pointes, aboutit presque à des chansons, dont ne manquerait que le refrain complet.

En définitive, si portraits il y a, ils constituent des séquences remplies d'adolescence.

Extrait de "Les autres au tamis du regard", de Dorothée Coll :

"Les révoltés

On avait mis le feu aux fleurs
et fait pousser sur le brasier
des graines d'éclaboussures de rire

On avait des vers dans les veines
de ceux qui se mouchent en chansons
sur des airs révolutionnaires

Nos fusils
c'étaient nos crayons
nos bombes qui taguaient sur les murs
les espoirs d'une génération

On étaient des petits cons
c'est sûr
mais on faisait vibrer nos vies
à coups de textes et de chansons

On passait le temps à rêver
et à regarder les étoiles
que l'on pointait de nos canons

Un jour
on éteindrait le ciel
puis arracherait ses habits
Sous le crêpe noir et la dentelle
on mettrait à nu le soleil"

L'illustration de couverture est de l'autrice.

Si vous souhaitez vous procurer "Les autres au tamis du regard", de Dorothée Coll, qui est vendu au prix de 10 €, rendez-vous sur le site de son éditeur : https://www.jacquesflamenteditions.com/561-les-autres-au-tamis-du-regard/

"Ici l'horizon", de Clément Bollenot

 

Troisième recueil de Clément Bollenot, cette fois-ci publié par les Éditions "Le chat polaire", "Ici l'horizon" décrit le paysage et surtout l'ambiance d'une île, nommée "Ouessant".

Cependant, cette description, venant d'un poète, ne peut-être une description "juste" réelle. Elle devient un symbole de notre existence. 

D'ailleurs, il y a une contradiction apparente dans le titre "Ici l'horizon". En général, "ici" n'est jamais l'horizon et ne le sera jamais. C'est une illusion d'optique, l'horizon. Mais justement, sur cette île, on le voit toujours. 

Bien entendu, l'"ici" est un havre de paix, du moins, de nature retrouvée. 
J'aurais moins apprécié ce livre si cet endroit n'avait été qu'un aboutissement, entraînant une satisfaction pleine et entière.
Mais grâce à l'autre terme de l'équation - "L'horizon" - rien de tel. L'insatisfaction, au contraire, demeure. Il faut toujours aller plus loin, même si "l'horizon s'est égaré / et tourne en boucle / sur trois cent soixante degrés".

Extrait de "Ici l'horizon", de Clément Bollenot :

"l'horizon c'est le plateau de la table
dissimulé sous une nappe à carreaux
la poussière incrustée
dans chacun des sillons du bois
et l'évidence
jalousement gardée à l'abri des murs
les jours où
les branches s'indignent
jusqu'à griffer les fenêtres."

Les illustrations (dont celle de couverture) de "ici l'horizon", de Clément Bollenot, sont des aquarelles de Dominique Brisson.

Si vous souhaitez vous procurer "Ici l'horizon", de Clément Bollenot, qui est vendu au prix de 15 €, rendez-vous sur le site de son éditeur : https://www.lechatpolaire.com/2023/08/ici-lhorizon-clement-bollenot.html

mercredi 20 septembre 2023

"Une dent contre le ciel", de Tom Saja

 

Publié par les Éditions "Pourquoi viens-tu si tard ?", "Une dent contre le ciel", de Tom Saja, raconte une histoire à la fois attachante et amusante, celle de l'arrière grand-père qui, arrivé à l'âge de 100 ans, en a marre de ne pas mourir.

J'ignore si cette histoire est autobiographique, en tout cas, elle a un côté merveilleux qui m'a rappelé l'ambiance des livres de Bohumil Hrabal. 

Mais si l'histoire peut paraître merveilleuse, les poèmes qui la composent sont réalistes, voire très directs. Si l'individu attendrit, le monde qui l'entoure révolte plutôt. Et l'on comprend le désir de mort de l'arrière-grand père qui se sent bien seul.

Et mine de rien, les images poétiques surgissent à l'improviste de la parole pour filer leur métaphore tout au long du poème.

Extrait de "Une dent contre le ciel", de Tom Saja :

"beaucoup ne sont que miasmes
& plasma
un cadavre froid recrache parfois le cathéter
trop tard
juste un bouton à presser
l'au revoir déjà loin
l'au-delà peut-être à porter
elle nous raconte ses journées le soir
ça me laisse coi
mon grand-grand-papi il a des yeux écarquillés
quand le patient ne s'en sort pas
il en salive
comme s'il assistait à sa propre fin
tu vois Brett
qu'il me dit
toute vie n'est que liquide
flotte à soixante-dix pour cent
je vais dans ma chambre
je prends le petit carnet noir que grand-grand papi
m'a offert et je note
un jour toutes les pierres redeviendront des torrents
et les volcans pleureront des rivières de cendres"

Les illustrations du livre sont d'Avrile (dont l'image de couverture).

Si vous souhaitez vous procurer "Une dent contre le ciel", de Tom Saja, qui est vendu au prix de 12 €, rendez-vous sur le site de l'éditeur : http://www.association-lac.com/

lundi 11 septembre 2023

"De l'abeille au zèbre", de Philippe Jaffeux

 

Publié par les Éditions "Atelier de l'agneau", "De l'abeille au zèbre", de Philippe Jaffeux est une sorte d'alphabet (tout comme l'était le projet liminaire d'écriture de son auteur), qui tient en 26 pages (autant que le nombre de lettres de l'alphabet), à part que cette fois-ci, cet alphabet est axé sur le règne animal.

Comme dans les autres livres de Philippe Jaffeux, l'unité de compréhension est constituée de la phrase. À chaque phrase (ou à peu près), on efface tout et on recommence. Cette manière de construire est d'ailleurs facilitée par la pratique de l'informatique.

Cette caractéristique constante mise à part, le trait saillant "De l'abeille au zèbre" est sa fantaisie. Ainsi, ce bestiaire alphabétique n'est pas animé en premier par la vérité scientifique. C'est avant tout de la poésie ! 
Ici, les animaux dont il est question n'ont rien à voir les uns avec les autres, sauf leur rang alphabétique. Ils sont de toutes tailles, et le lecteur en rencontre même de légendaires !...
De plus, ces animaux sont parfois atteints d'anthropomorphisme. Les pauvres ! Il arrive même que, derrière la paisible bête, la nature humaine soit dénoncée.

Bref, "De l'abeille au zèbre" sonne parfois comme un précipité des Fables de La Fontaine. Derrière la poésie y pointe de temps à autre une espèce de moralité.

Extrait de "De l'abeille au zèbre", de Philippe Jaffeux (le début) :

"Le langage des abeilles communique avec la parole d'un silence bourdonnant     Des coraux s'emparent de l'espace pour l'offrir à une acanthaster qui les dévorera     La douceur d'un agneau blesse un rédempteur sacrifié à une religion sanguinaire     Un lac gelé recouvre une larve d'agrion qui s'envolera au printemps    Des nations saisies par des drapeaux servent de proies à la liberté d'un aigle    Le Akh s'incarne dans une aigrette qui traduit l'envol d'un esprit transfiguré    Les piaillements aveuglants d'un albatros reflètent le murmure d'un océan    Le sang-froid d'un alligator croque un milieu situé entre la terre et un fleuve"   

Si vous souhaitez vous procurer "De l'abeille au zèbre", de Philippe Jaffeux, qui est vendu au prix de 14 €, rendez-vous sur le site de l'éditeur : https://atelierdelagneau.com/fr/accueil/270-de-l-abeille-au-zebre-par-philippe-jaffeux-9782374280639.html?search_query=philippe+jaffeux&results=6

mercredi 6 septembre 2023

"Terre d'accueil", de Dorothée Coll

 


Publié par les Éditions Fabulla, dans sa collection PoéZi, "Terre d'accueil", de Dorothée Coll, est un recueil de poèmes en vers libres consacré à la Corse, pays d'adoption de l'autrice.

L'ensemble de ces poèmes forme une sorte de guide touristique de cette "Terre d'accueil", étant précisé que sa découverte se fait à pied, au plus proche de la terre, et sans passer sous silence les traces indésirables (ordures) laissées par la faute d'humains négligents.

Le rôle des éléments et des saisons est primordial : vent, soleil, pluie, sable, hiver, blizzard : là encore, les éléments hostiles sont eux aussi décrits.

En résumé, tous ces poèmes constituent autant de paysages enrichis grâce à la flore, avec bien sûr, la présence primordiale de la mer.

Extrait de "Terre d'accueil", de Dorothée Coll : 

"Embouchure

Un chemin escarpé
mène à la corniche
En contrebas
les vagues
et leurs crêtes albinos
les rochers adoucis
les galets qui attendent
poliment sur la plage

La sente serpente
entre les fleurs sauvages
Les cris des mouettes
et l'ombre de leurs corps
découpée de soleil
frôle les herbes folles

Parfum d'iode

Les pas se taisent dans la poussière
quand le sable doux les accueille

À l'embouchure de la rivière
phragmites et joncs
trempent les pieds dans l'eau saumâtre
Les gerris dessinent des ronds
à la surface
Là où le fleuve rejoint la mer"

La composition de la couverture est de Timothée Comte.

Si vous souhaitez vous procurer "Terre d'accueil", de Dorothée Coll, qui est vendu au prix de 11 €, rendez-vous sur le site de l'éditeur : https://www.editionsfabulla.com/product-page/terre-d-accueil

mardi 25 juillet 2023

"Le vieux qui mâchonnait des religieuses", de Jean Pézennec

 

Publié par "Cactus Inébranlable éditions", dans sa collection des Microcactus, "Le vieux qui mâchonnait des religieuses", de Jean Pézennec, est une suite de textes courts en prose, dotés chacun d'un titre.

Si ces textes empruntent leur forme aux poèmes en prose, leur humour lapidaire vient tout droit des aphorismes.

Jeux de mots, chutes réussies, absurdité des situations : il y a beaucoup à dire et il y a encore plus de quoi rire (jaune), car notre époque perfectionnée n'en a, malgré tout, pas fini avec ses contradictions à débusquer.

Par exemple, grâce à Internet, tout est très simple aujourd'hui ! On peut même choisir les modalités de son enterrement, ce qui est montré ici dans la série des "Happy death".
Plus traditionnel, mais toujours efficace, l'écrivain qui est là comme un cheveu sur la soupe, jamais à la mode. Avec lui, on est sûr de ne jamais se tromper. Et pour dire l'écrivain, il faut justement l'écrire !

Extraits de "Le vieux qui mâchonnait des religieuses", de Jean Pézennec :

"Happy death ! (2)

Obsédé par le problème de l'insécurité, cet homme se fit enterrer avec, déniché sur le site happydeath.com, le système anti-intrusion Quiet eternity. Garanti inviolable, équipé d'une serrure haute résistance avec code d'ouverture connu du seul propriétaire et, last but not least,; alarme reliée au commissariat le plus proche, ce système donnait à son acquéreur un contrôle absolu de l'accès à son petit chez lui, lui permettant de dormir sur ses deux oreilles - ou ce qu'il en restait."

"Un drame de la route.

S'étant aventuré sur un terrain glissant, l'humoriste dérapa sur un jeu de mots et alla se fracasser contre le mur des interdits du politiquement correct. Très vite arrivée sur les lieux, la police de la pensée interpella immédiatement le chauffard, qui se vit illico rentrer son permis de plaisanter."

"Un poète

Il disait "Je vis en Poésie "comme d'autres "Je vis en France". Il ne disait pas "mon épouse", il disait "ma muse". Il ne disait pas "Nantes, la ville où j'ai passé ma jeunesse" mais "Nantes, le lieu qui a vu naître ma vocation poétique". Son apparence aussi, avec sa barbe à la Victor Hugo et ses cheveux flottant au vent, criait sa qualité de poète. Hélas ! Quand on ouvrait un de ses recueils, que ce soit Aubade aubadante ou Égérie égérienne, on se rendait vite à l'évidence : si, selon ses propres termes, il avait le virus de la poésie dans le sang, il était asymptomatique."

Si vous souhaitez vous procurer "Le vieux qui mâchonnait des religieuses", de Jean Pézennec, qui est vendu au prix de 10 €, rendez-vous sur le site de l'éditeur : https://cactusinebranlableeditions.com/produit/le-vieux-qui-machonnait-des-religieuses/

dimanche 16 juillet 2023

"Juste vivre", de Luc Marsal

 
Publié par les Éditions "Donner à Voir", dans la collection Tango, "Juste vivre", de Luc Marsal est, à ma connaissance, le premier recueil (mais sûrement pas le dernier) de cet auteur.

Il s'agit là d'un ensemble de courts poèmes de cinq vers, dont le premier vers est un "Je veux", qui sont disposés deux par deux par page et accompagnés par les encres de Nour Cadour, .

L'objet du propos de "Juste vivre" est résumé dans ce titre. Plutôt que de prendre comme modèles des artistes maudits (Hemingway, Rimbaud, Van Gogh), Luc Marsal ramène la poésie à hauteur d'homme. C'est peut-être moins héroïque, mais les cimetières étant peuplés d'autant de héros que de personnes indispensables, mieux vaut savoir raison garder. 

Et puis, "juste vivre", c'est déjà pas mal comme programme, surtout quand il s'agit de communier avec les éléments du monde entier et avec les êtres chers.

Extraits de "Juste vivre", de Luc Marsal :

"JE NE FINIRAI PAS
comme Hemingway,
la cervelle
sur le plancher.

(...)

Je veux
des vols de nuit
à remonter le temps
et des soleils levants
qui balaient l'horizon.

(...)

Je veux
des cris d'enfants
dévalés de la dune
et plus tard dans les vagues
m'enivrer d'océan."

La quatrième de couverture est de Marylise Leroux. À noter enfin le "design" agréable de ce livre de petit format à la couverture solide qui se déplie en accordéon à partir d'une page collée et dont les rectos comme les versos sont remplis de mots et de signes.

Si vous souhaitez vous procurer "Juste vivre", de Luc Marsal, qui est vendu au prix de 6 €, rendez-vous sur le site de l'éditeur : http://www.donner-a-voir.net/

mercredi 12 juillet 2023

"Traverser" (Anthologie poétique)

 

Cette anthologie de 31 poèmes, intitulée "Traverser" et publiée par les Éditions La Chouette Imprévue, présente plusieurs caractéristiques originales.

Sous-titrée "Anthologie poétique sans frontière", ce petit volume, par la taille, regroupe des poèmes qui sont faits pour être lus, mais également entendus au téléphone, en composant le numéro du Serveur Vocal Poétique (SVP) : 03/74/09/94/24 (depuis la France).

Soit l'autrice ou l'auteur lit son poème, soit c'est une tierce personne.

De plus, ces poèmes comportent tous au moins chacun un vers dans une autre langue que le français. 

Le verbe "Traverser", puisqu'il s'agit du thème de cette anthologie, autorise toutes sortes d'interprétations. Par exemple, c'est aller d'un endroit à l'autre. Cela peut vouloir dire également passer d'un état à un autre, "traverser des épreuves", comme on dit, mais pas uniquement.

Au-delà de la diversité de styles des poètes participants, l'impression générale laissée par ce recueil est celle procurée par un regard introspectif d'apaisement.

Extrait de "Traverser", "Les ancolies", de Laura Dans l'Air (Laura Schlichter) :

"J'ai traversé l'hiver
Cousue de fil blanc
Un manteau bien trop large
Et une bouche minuscule
J'attendais de de la neige
Qu'elle efface
L'amnésie
On croit que c'est l'immense
Qui sait nous renverser
Alors que c'est
L'infime
L'intime
Le cil
Le détail
Du flocon
Ses arêtes
Délicates
Acérées.

The fluff of a dendelion
Softly
Fiercely
Flowing away (1)

Je suis 
À la lisière
De l'hiver que j'enterre
Dans le vase de ma gorge
Un bouquet d'ancolies
Espère revoir le jour.

J'écarte
Un bout de l'horizon
Et laisse le givre
Lécher
Mes papilles endormies
Sur ma
Langue
Trouée."

(1) L'aigrette d'un pissenlit / Doucement / Sans peur / Dans la coulée du vent

La photographie de couverture est de Benjamin Teissèdre.

Si vous souhaitez vous procurer "Traverser", qui est vendu au prix de 4 € (+ 2 € de frais de port), rendez-vous sur le site de l'éditeur : https://www.lachouetteimprevue.com/product-page/traverser

mercredi 14 juin 2023

"Nature morte avec page blanche, ombre et corbeaux", de Christian Viguié

 

Avec "Nature morte avec page blanche, ombre et corbeaux", publié par "L'Ail des ours", dans sa collection "Grand ours", Christian Viguié dit clairement les choses à son lecteur : le monde naturel qu'il décrit naît directement de sa plume.

Comme s'il s'agissait d'une peinture, il compose sa nature morte (pas si morte que ça, d'ailleurs), au fur et à mesure qu'il écrit ses poèmes. Car c'est vrai, surtout en poésie, le poète souvent pense qu'il décrit une réalité, alors que dès le départ, il décrit sa réalité.

Alors, autant le dire d'emblée : cette réalité là démarre du "je" très présent dans ces pages. D'ailleurs, même les corbeaux et les hirondelles écrivent leur poème dans le ciel. Il n'y a plus qu'à l'assembler sur la page.

Dans les différents poèmes qui composent ce même tableau, celui d'une "nature morte avec page blanche, ombre et corbeaux", un style puissant, clair et concret s'exprime.

Extrait de "Nature morte avec page blanche, ombre et corbeaux", de Christian Viguié :

"Il y a quelque chose
qui tourne dans l'écriture
comme un corbeau

Je sais que l'encre
n'est pas le vol du corbeau
mais une couleur provisoire
pareille que la nuit
lorsqu'elle touche la nuit

Je sais que cette couleur
n'a pas d'ailes
pas de cris suffisants
pour fracturer la forme même de la nuit

Pourtant je sais qu'un corbeau écrit
et que son croassement
est le premier quartier d'une lune."

Les illustrations (dont celle de la couverture) sont de Cécile A. Holdban.

Si vous souhaitez vous procurer "Nature morte avec page blanche, ombre et corbeaux", de Christian Viguié, qui est vendu au prix de 8 € (+2,50 € de frais de port), rendez-vous sur le site de l'éditeur : https://www.editions-aildesours.com/nos-livres/

"Fugue", de Marie Rouzin

 

Publié dans la collection Polder de la revue Décharge, "Fugue", de Marie Rouzin est un premier recueil qui coule de source, si je puis dire, et afin de le résumer.

L'autrice fait ici une fugue, ou plus exactement, elle passe d'un endroit à un autre, car elle cherche sa place dans le monde qui l'entoure. Chercher sa place, ce n'est pas uniquement "avoir une situation", à l'instar des gens ordinaires.

Ce qui intéresse le personnage de "Fugue", c'est trouver un endroit où il puisse faire corps avec les choses, réellement : chemin le plus court pour trouver le bonheur.

L'autrice qui tutoie au passage, décline dans chacun des poèmes toutes les étapes de ce parcours : d'abord, l'élément liquide, puis la plage, puis les airs, puis la ville.

Dans la dernière partie du recueil, le "tu" cherche même à se fixer, quelque part, mais plutôt dans la nature. Car en ville, il se heurte aux priorités du pouvoir qui enserre les personnes et ne donne pas la liberté à celles et ceux qui le reçoivent.

Si les poèmes de "Fugue", de Marie Rouzin sont assez longs (plusieurs pages chacun), c'est qu'ils habitent leur souffle. Ce qui m'a surpris le plus, lors de cette lecture, est leur absence d'aspérité, leur naturel, comme si les textes qui composent "Fugue" avaient été écrits sans interruption.

Extrait de "Fugue", de Marie Rouzin (le début de la deuxième partie) :

"Tu te tiens dans un coin.
Tu cherches à te situer
Depuis que l'espace en toi a changé
Depuis que tu as goûté la fugue.
Ton oiseau toujours perché sur ton épaule,
Tu épluches d'autres images, d'autres feuillets,
Des recueils dont tu jettes les peaux sur les talus.
Tu craches les noyaux à tes pieds,
Pour le cas où tu devrais retrouver ton chemin.

Tu es seule,
Il n'y a pas de messager pour t'indiquer la voie,
Pas de signe,
Et rien sur les talons qu'un peu de terre humide.

Tu prends le caillou du doute
Qui voyage dans ta chaussure depuis si longtemps,
Tu le soupèses, il n'a aucune densité,
Tu le gardes dans ta main,
Tu glisses ton pied dans la chaussure,
Tu peux bouger à nouveau, il n'y a plus rien pour briser ta cheville. (...)"

La préface est de François de Cornière et l'illustration de couverture de Samiha Driss.

Si vous souhaitez vous procurer "Fugue", de Marie Rouzin, qui est vendu au prix de 7 €, rendez-vous sur le site de l'éditeur : https://www.dechargelarevue.com/Polder-198.html

mardi 6 juin 2023

"Les enfants masqués", de Thibault Marthouret

 

Publié par les Éditions Abordo, dans sa collection "Quan Garona Monta", "Les enfants masqués" , quatrième recueil édité de Thibault Marthouret, est en partie un retour aux sources d'"En perte impure", que j'ai édité à l'enseigne du Citron Gare en 2013.

Cette similitude tient à la fois à la forme employée - mélange de proses poétiques et de poèmes en vers libres - mais aussi à l'ambiance qui traverse ces nouvelles pages.

Cependant, il y a dans "Les enfants masqués" quelque chose de plus systématique, de plus affirmé. Le passage du temps ? Paradoxalement, dans ce livre, il est beaucoup question d'enfants.

Mais ces enfants, qui, à peu près toujours, font corps ensemble, appartiennent plus - me semble t-il - à l'adolescence qu'aux toutes premières de leurs années les plus tendres. Ils ont cette soif d'absolu qui les relie directement au dehors. Ils sont comme aimantés par le monde extérieur, flirtent avec les aventures qui tournent parfois en faits divers.

À mes yeux, dans chacune des quatre parties qui composent "Les enfants masqués", il n'y a pas de thème aisément identifiable. Au contraire, la même ambiance décrite ci-dessus semble se communiquer à toutes ces parties.

Thibault Marthouret excelle à décrire les choses, mais pas forcément telles qu'elles sont. La poésie s'immisce donc derrière cette apparente objectivité qui découle d'un sens de l'observation aiguisé. Cependant, les rapports entre les choses décrites ne coulent pas toujours de source. Il y a de l'incongru dans cette vision du monde.
Et surtout, la révolte des enfants affleure en permanence. Ils ont bien raison, de vouloir faire mentir les apparences, tout en restant purs. Car finalement, ce sont peut-être des anges.

La photographie de couverture est de Lisa Gervassi.


Extrait de "Les enfants masqués", de Thibault Marthouret :


"Les ailes

Les ailes cassent toujours en premier.

Elles sont notre point faible, même repliées.

Chipé dans la boutique du parc d'attractions médiéval, le pégase mutilé est à moitié cheval.

La poche de l'enfant a froissé son envol, le voilà bête de trait, de boucherie ou de somme.

Sans elles, nous galopons, ignorant où nous sommes. Nous perdons la vue de l'esprit.

Les ailes cassent toujours en premier.

Éprise de bonté et d'amour sans bornes, la vie étreint parfois trop fort ceux qu'elle envie.

Ainsi tombent les anges interdits.

L'air ralentit la chute.

Je soufflerai toujours des mots à ton oreille."

Si vous souhaitez vous procurer "Les enfants masqués", de Thibault Marthouret, qui est vendu au prix de 15 €, rendez-vous sur le site de son éditeur : https://www.abordo.fr/livres/enfants.html

dimanche 4 juin 2023

"Poème loin de San Francisco", de Fabrice Marzuolo

 


Sous-titré "Poèmes même pour ceux qui n'aiment pas la poésie", "Poème loin de San Francisco", de Fabrice Marzuolo, se situe effectivement assez loin de San Francisco.

Au moins le lecteur est prévenu. San Francisco, ici, c'est un fantasme de réussite, le nouveau monde contre l'ancien qui l'emporte toujours, même quand on vit aux États-Unis. Le monde de la mort, de l'ennui, du temps qui passe, mais aussi de l'inégalité (en richesses, notamment) qui existe entre les hommes. Bref, ce monde de l'injustice. La réalité, donc, à la place du rêve.

Autant vous dire : dans ces poèmes, l'auteur ne vous berce pas d'illusions. Certains lecteurs n'aiment pas ce genre-là. Moi si. D'ailleurs, parfois, il y a des successions de négations qui finissent par faire une affirmation. 

Les poèmes de Fabrice Marzuolo sont aisément reconnaissables au fait que dans les premiers vers, ils donnent quelque chose qu'ils retirent dans les vers suivants. Toujours cette addition suivie de soustraction faisant qu'à l'arrivée on arrive à un résultat nul. De ce fait, le poème semble toujours se tenir dans un fragile équilibre, celui du malaise générateur de poésie.

Extrait de "Poème loin de San Francisco", de Fabrice Marzuolo :

"Sous l'éternité la mort...

La mort elle doit penser
Que je me crois éternel
Alors elle se rappelle à moi
Des douleurs par ci par là
Des pincements inquiétants
Diverses courbatures
Elle s'imagine quoi
Pour se donner tant de mal
Que je vais l'oublier
Sa tête de mort
Je l'ai vue
Avant que mes yeux
La vissent
J'ai poussé autour
De son squelette
Comme la mousse
Sur les vieilles pierres

Vivre c'est s'enrouler 
Autour d'elle"

Si vous souhaitez vous procurer "Poème loin de San Francisco", de Fabrice Marzuolo, qui est vendu au prix de 5 €, contact : fabrice.marzuolo@wanadoo.fr

lundi 22 mai 2023

"Construire", de Clara Regy

 
Publié par les Editions Rhubarbe, avec "Construire", Clara Regy nous donne à lire un texte assez énigmatique.

En effet, si son dessein apparent est défini dès la deuxième page du livre - "qui est ton père " - c'est, semble-t-il, pour mieux perdre le lecteur ensuite, d'autant plus que : "Il n'y a pas de vérité".

Pourtant, la question (ou l'affirmation ?) de "Construire" revient plusieurs fois en écho : "qui est ton père ". Plusieurs fragments de poèmes sont également repris comme autant de refrains. 
Dans certains poèmes, d'ailleurs, des indices nous sont donnés sur qui peut être le père.
Cependant, au fil des deux parties composant le recueil, sans autre lien apparent que leur chiffre, se mêlent à ces évocations du père l'observation d'autres personnes, ainsi que des esquisses d'autoportrait, réel ou décalé, allez savoir car : "je raconte des histoires".

Ainsi, dans ces histoires de filiation mystérieuses, les rôles finissent par se brouiller, on ne sait plus qui est le parent et qui est l'enfant, tant la chaîne se perpétue.
Se pose aussi la question de savoir à quoi le verbe "construire" s'applique-t-il. Personnellement, je pense spontanément à une cabane.
Mais là, non, il s'agit bien de construire "la vie de l'autre".
Paradoxalement, en remontant le temps, l'autrice semblerait donc construire la vie de ceux qui l'ont amenée au monde. Avec ce dessein, la liberté semble plus infinie qu'il n'y paraît.

Extrait de "Construire", de Clara Regy :

"qui est ton père

- il raconte nager dans les eaux souillées d'un étang
où les vaches buvaient
bosphore enlacé sous les branches du saule
- il raconte les repas lentilles cailloux pas de
viande
- les grenouilles éclatées les vipères décapitées
- il raconte la petite guerre des enfants

l'enfant ne parle pas des baisers
des dimanches solitaires au château
des religieuses et leur corps de visage et de mains
l'enfant ne parle pas des baisers"

La couverture est une linogravure de Frédérique Germanaud.

Si vous souhaitez vous procurer "Construire", de Clara Regy, qui est vendu au prix de 10 €, rendez-vous sur le site de l'éditeur : http://www.editions-rhubarbe.com/construire.htm

"Familles sur table", d'Aline Recoura et Virginie Séba

 

Publié par les Editions "L'Ire de l'Ours", "Familles sur table" est un recueil de poèmes en vers, résolument réaliste, écrit en duo par Aline Recoura et Virginie Séba, et joliment illustré par Karine Fellous.

Ah ! Les familles ! Il faut bien qu'elles existent, mais elles sont loin d'être parfaites et la plupart du temps, on les traîne toute sa vie.
Je ne peux m'empêcher de remercier les deux autrices pour leur lucidité sur ce point tabou des familles.
Bien entendu, il n'est pas dit que l'amour est absent de tous les rapports familiaux, mais il est souvent mal placé, mal tourné, et pour pas mal de personnes, aimer signifie aimer quelqu'un à sa ressemblance, petite condition qui ne devrait pas exister.

Ce recueil est axé sur deux thèmes essentiels qui le traversent. Outre les antagonismes liés aux personnalités des familles, à leur histoire aussi, le thème du repas est décliné sous différentes versions. Le fait de manger prend dans le domaine familial une importance  qui peut sembler tourner au ridicule à la longue. C'est une métaphore de l'amour surdosé.
Et au milieu de ce combat de gé[n]ants, les autrices doutent...

Extraits de "Familles sur table" : "J'ai grossi grossi grossi", de Virgine Séba :

"J'ai grossi grossi grossi
Je ne rentre plus dans mes affaires
C'est la faute à l'hiver !

J'ai mangé mangé mangé
Pour me réconforter
Et j'ai engrangé engrangé
Graisses molletonnées
Pour un épais manteau
Me faire au très grand froid !

J'ai mangé mangé mangé
Pour parer à tout effroi
Le froid de l'hiver
Qui vous fait devenir pierre
Le froid de l'hiver
Qui à 17 heures
Coupe la lumière
Le froid de l'hiver
Où chaque minute
Devient grande lutte !

On y avait cru pourtant…
Cru qu'on tiendrait jusqu'au bout
Sans faiblir chaque jour mis bout à bout
Que tout l'hiver on tiendrait le coup
Sans faiblir bien haut les cœurs
On s'était pourtant bien fixé
Le moral au beau fixe garder
De toute ripaille se préserver
Pour paisiblement
Ligne conserver
On s'était pourtant bien fixé
Chaque jour après l'autre
Tenir ferme la barre
Et vers le printemps
Filer dare-dare !"

Puis "C'est déjà plus que la moitié", d'Aline Recoura :

"C'est déjà plus que la moitié
je pensais pas que
ça irait si vite
je pensais pas que
finalement ça irait
je peux pas dire que
les 40 premières années
de ma vie
c'était une partie de plaisir
j'ai eu peur de presque de tout
de réussir à rien
de craquer du jour au lendemain
toujours sur un fil
et finalement
c'est passé
il reste mon fils à grandir encore
mais
il a appris à lire
il a passé le primaire
il a presque passé le collège
j'ai peur pour son stage
quand il part en vélo chaque matin
et d'autres peurs
mais j'ai plus trop peur pour moi
rien qu'en l'écrivant
je me demande si je n'ai pas tort

Je me suis forcée
à être adaptée
à travailler
je pensais pas
que ça passerait
et que même
je tiendrai
aussi longtemps
dans un métier"

Si vous souhaitez vous procurer "Familles sur table", d'Aline Recoura et Virginie Séba, qui est vendu au prix de 12 €, rendez-vous sur le site de l'éditeur : https://www.liredelours.com/

jeudi 18 mai 2023

"Mes nuits au jour le jour", de Werner Lambersy

 


Publié par les Éditions La Chouette Imprévue, "Mes nuits au jour le jour", de Werner Lambersy est un recueil de poèmes publié à titre posthume, puisque son auteur est mort en 2021.

Il s'agit là des derniers poèmes, ou presque, écrits par Werner Lambersy (en 2020).

Ces courts poèmes en vers libres, regroupés ici dans ce fort volume de plus de 150 pages, ne se focalisent pas sur le soir d'une vie, comme on aurait pu le croire, s'agissant d'un "journal de nuit". Ils regardent plus loin, parlent de rien, sinon de tout, c'est à dire de la vieillesse, de la guerre toujours présente dans ce monde, mais aussi et surtout de l'amour, du désir et des saisons, de la permanence de la vie, malgré la mort qui rôde.

La forme des poèmes de Werner Lambersy est à elle seule un mystère.
D'allure à peu près régulière, dans cette alternance de vers plus ou moins courts, ils donnent l'impression de s'être posés sur la page naturellement.
Et plusieurs de ces poèmes m'ont figé dans leur désarmante simplicité, comme si la poésie s'en était enfuie en catimini. Sauf que non, justement : elle est toujours là !

Extrait de "Mes nuits au jour le jour", de Werner Lambersy :

"La lumière voyage seule
Sans bagages
D'ombres ni de solitude

Elle s'appuie
Sur des colonnes debout
Au sommet

Des marches en marbre
Ou de nuages

Et personne ne sait où elle
Se perd

Grâce à elle
Nous avons goûté à la vie
Et savouré
La liberté d'aller plus loin

Ce qu'aucun dieu
Ni aucun homme ne peut
Nous reprendre

Pas plus
Que l'obstacle dérisoire de
La mort"

La préface de "Mes nuits au jour le jour", de Werner Lambersy est de Patricia Castex Menier. La photographie de couverture est de Jean Pol Stercq. Les autres illustrations (des pages intérieures) sont de Brigitte Desserre Bresson.

Si vous souhaitez vous procurer "Mes nuits au jour le jour", de Werner Lambersy, qui est vendu au prix de 14 €, rendez-vous sur le site de l'éditeur : https://www.lachouetteimprevue.com/product-page/mes-nuits-au-jour-le-jour