lundi 15 avril 2024

"Ma douleur planétaire", d'Anne Barbusse

 

Publié par les Éditions Tarmac, "Ma douleur planétaire", d'Anne Barbusse est un recueil de textes écrits pendant la période des confinements. Ces suites de poèmes en vers libres, dont le mètre ample s'apparente à celui des versets, sont polarisées sur deux axes essentiels : la vie dans les jardins ou sur les axes de communication et dans les zones commerciales.

Bien entendu, l'opposition entre la nature et ce qui semble rester de la ville est totale.
D'un côté, autosuffisance et écologie. De l'autre, soumission et pollution.

J'ai apprécié de lire ce livre. Car, comme c'est rarement le cas, la nature est décrite par quelqu'un qui essaie de se l'approprier par l'action, à savoir la culture d'un potager. Pas tout à fait pareil pour moi. Fini les p'tites fleurs, ici !

En tout cas, transparaît la volonté positive de constituer un autre monde, même s'il est incomplet. Un propos militant, donc. À la fin du livre, d'ailleurs, l'opposition entre les deux nature et le commerce est de plus en plus brutale : peut-être le signe d'un retour à la normale, c'est à dire, à l'activité consumériste.

Le style de "Ma douleur planétaire"' est riche de mots. C'est du tout feu tout flamme ! Ça change de la plupart du temps !

Un fragment extrait de "Ma douleur planétaire", d'Anne Barbusse :

" les éoliennes sont femmes foudroyantes, arrimées
à la terre évidée, démises

sur le monde éparpillé parmi les fruits non cueillis et
les vergers abandonnés du capitalisme stérile qui
s'arroge la part des rois,

                                demain je craindrai
les leaders instinctifs, , la pluie ouvrira les roses et
l'automne sera un cri,

                                d'une femme vomissant
douleurs et rêves sur le soir, l'envers de la colère
à la couleur éparpillée et bordeline
des oiseaux finissants, sous le ciel la rage est celle
des bêtes intempestives et le réel éclate
sur le dos des oiseaux,

                                   c'est ainsi que les révoltes
ondoient, mûres et fleuries, comme des reines
multiples que les hommes craignent à reculons,

c'est là que crucialement les femmes se lèvent et osent,
après des soumissions excellentes et sournoises
habillées dès le matin avec les mots des
petits pouvoirs et des chefs,

                                        pourtant au jardin
l'humidité d'octobre dessine la branche
des silences et je sème à l'appel de la terre
noire, lourde, grouillante (…)"

L'illustration de couverture est de Jacques Cauda.

Si vous souhaitez vous procurer "Ma douleur planétaire", d'Anne Barbusse, qui est vendu au prix de 20 €, rendez-vous sur le site de l'éditeur : https://www.tarmaceditions.com/ma-douleur-planetaire

dimanche 24 mars 2024

"Supplique pour la fin des nuits sans lune", de Laurence Fritsch

 

Publié par les Pierre Turcotte Éditeur, dans sa collection Magma Poésie, "Supplique pour la fin des nuits sans lune", de Laurence Fritsch, comme l'indique le texte d'ouverture, " se décompose en deux révolutions de 27 poèmes (comme les 27 jours de la révolution sidérale de la lune)".

L'argument de départ de ces courts poèmes en vers libres est donc scientifique et fait appel à tous ces rêveurs de poètes qui ont la tête dans les étoiles et sont pas mal dans la lune.
Mais pas de clichés ici. Il est question de la véritable impression profonde que produit un ciel nocturne sur nous. Sauf que cela va encore un peu plus loin. Le titre du livre "Supplique pour la fin des nuits sans lune" résume sa préoccupation.

En effet, la présence de la lune, même si étrange, rassure aussi. Il s'agit d'un phare, comme d'ailleurs écrit à un endroit, d'une sorte de bouée toute blanche à laquelle se raccrocher dans ce vide au-dessus de nos têtes.

Ici, au contraire, il sera question de la nuit, de cette lune à l'envers, des visions qu'elles nous inspirent. Signes d'angoisses, voire de déséquilibres, de cauchemars, d'hallucinations, de fantasmes…
Le symbole d'une nuit noire est inépuisable pour l'imagination de l'être humain. Un ciel nocturne peut provoquer des troubles dans le cerveau. Car la nuit ne fait que révéler l'incertitude qui nous accompagne, telle une ombre.

Laurence Fritsch, dans ses poèmes, démultiplie ces effets troubles. Elle fait feu de tout bois, ou plutôt de tout mot. L'écriture est intrigante car justement, le lecteur ne sait pas toujours très clairement de quoi il est question. Et c'est justement cette part de confusion qui ressort avant tout. Et le champ lexical, dans sa variété, mais avec sobriété, montre le grand écart des âmes ici chahutées.

Extrait de "Supplique pour la fin des nuits sans lune", de Laurence Fristch :

"clair de lune
à travers les volets entrouverts
projetant sur le parquet
son échelle enchanteresse

illusions de l'enfance

confuse trame
fuseau sans quenouille
dormir pour l'éternité
dans un cercueil de verre
sans tendresse

quelle part d'ombre
dans la nuit ?"

L'illustration de la couverture est une photographie de l'autrice.

Si vous souhaitez vous procurer "Supplique pour la fin des nuits sans lune", de Laurence Fristch, qui est vendu au prix de 14 €, rendez-vous sur le site de l'éditeur : https://www.pierreturcotte.com/product-page/fritsch-supplique-pour-la-fin-des-nuits-sans-lune

"La brèche par le mur", de Marie Alcance

 

Deuxième publication de Marie Alcance après "Devant l'ailleurs", que j'ai eu le plaisir d'éditer en 2021, à l'enseigne du Citron Gare, "La brèche par le mur" est un ensemble de plusieurs poèmes publiés par les Editions du Petit Rameur.

Marie Alcance, pour décrire cette brèche, part du registre de l'intime. 

Dans un sens ordinaire, le terme de brèche aurait plutôt une connotation négative, celle de fissure dans un mur, par exemple. Mauvais signe quand quelque chose s'en échappe, comme quelque chose qui se perdrait.

Mais dans ces poèmes, la brèche me paraît avoir une toute autre signification. La brèche, c'est ce qui permet de s'échapper, de passer à travers une épaisseur. C'est un appel à la légèreté, à la liberté sans doute aussi. Voilà ce qu'exprime Marie Alcance, avec la lutte que cela suppose, à travers une succession d'images naturelles.

Extrait de "La brèche par le mur", de Marie Alcance :

"loin des routes sans cesse
il faut beaucoup de souffle
je m'entraîne
à écarter un monde
qui se resserre

quand bien même
cette dignité d'aller
la chevelure emmêlée à la treille
l'épaule à la brique
la jambe au mortier

en rêvant une danse
sur la brise souple
d'un violon reverdi"

Les illustrations  sont d'Aloïs (pour la couverture) et d'Anicet (pour l'illustration de "Conte", en page intérieure) Fouquet.

Si vous souhaitez vous procurer "la brèche par le mur", de Marie Alcance, qui est vendu au prix de 5 €, rendez-vous sur le site des éditions : http://www.petitrameur.com/la-breche-par-le-mur.html

mardi 19 mars 2024

"On n'en taire pas les fantômes", de Marine Leconte

 

S'il y a bien un texte énigmatique, c'est "On n'en taire pas les fantômes", de Marine Leconte, publié par L'Ire de l'Ours Éditions, dans sa collection "La Lyre de l'Ours". 

Quatrième recueil de l'autrice, ce livre introduit une rupture par rapport aux précédents. Même si l'ambiance rappelle un univers déjà connu, ce texte est plus systématique, chaque poème constituant lui-même une rupture avec le poème d'avant.
Autant dire : ce texte frappe par sa discontinuité. Je pense à des miettes de discours oralisé, à un puzzle qu'il n'est pas utile de reconstituer. D'ailleurs, les illustrations géométriques et abstraites (dessins d'Agathe Lievens, dont celui de couverture) renforcent cette impression  : elles accompagnent véritablement les mots. 

À ce sujet, certains de ces mots reviennent tout au long du livre : "fleur, fantôme, utérus, paraffine, cadavre, soucoupe". Il n'empêche ! Ce quelque chose à dire, si difficile à dire qu'il est souvent déformé dans son expression par des jeux de mots, demeure captivant  : comme si le secret allait enfin tomber dans sa nudité ! On y croit, on y croit !

Extrait de "On n'en taire pas les fantômes", de Marine Leconte :

"Si tu ne peux pas m'entendre
Au moins mâche la marge
Trois m qui s'enchainent articule
Moins mâche marge
Répète
Tu fermes pas l'image
Et ces putains de soucoupes tu les gardes
Grandes
Ouvertes
Répète"

Si vous souhaitez vous procurer "On n'en taire pas les fantômes", de Marine Leconte, qui est vendu au prix de de 10 €, rendez-vous sur le site de l'éditeur : https://www.coollibri.com/bibliotheque-en-ligne/leconte-marine/on-nen-taire-pas-les-fantomes_639760

jeudi 14 mars 2024

"Incarner", anthologie poétique

 

Publié par les Éditions de "La Chouette imprévue", dans sa collection de p(r)oche, "Incarner" est sous-titré "30 poèmes pour dire le corps".

Il s'agit d'une anthologie poétique qui rassemble les textes de poètes souvent connus dans le microcosme de la poésie actuelle en France, respectivement Selima Atallah, Rim Battal, Zoé Besmond de Senneville, Lucien Brelok, Ananda Brizzi, Julien Bucci, Camille Bloomfiled, Emanuel Campo, Cécile Coulon, Christophe Dekerpel, Émilie Gévart, Johan Grzelczyk, Kiyémis, Sébastien Kwiek, Mélanie Leblanc, Perrine Le Querrec, Lisette Lombé, Victor Malzac, Coline Marescaux, Cartographie Messyl, Theo J. Mayer, Murièle Modély, Julia Nobbio, Ramiro Oviedo, Orianne Papin, Charles Pennequin, Florentine Rey, Anna Serra, Jérémie Tholomé, Laurence Vielle.

Je précise que Lisette Lombé est la marraine de cette cinquième édition du Serveur vocal poétique.

Belle occasion de pouvoir lire, dans un volume restreint, un petit panorama de ce qui se publie aujourd'hui, au-delà du thème abordé.

Les poèmes publiés ici, non seulement, sont faits pour être lus, mais également pour être écoutés. En effet, ils figurent sur ce "Serveur vocal poétique", dont j'ai parlé plus haut. Il suffit de composer les numéros de téléphone suivants : 03/74/09/03/00 (depuis la France) ou 02 315 44 44 (depuis la Belgique).

Extrait d'"Incarner", "Triathlon" de Florentine Rey :

"JE COURS
pour dérégler les nerfs et calmer la colère.
Encore combien de tours jusqu'à l'épuisement, jusqu'à ce que la gangue autour du cœur s'arrache et libère l'amour géant ?
Tiens bon et tu seras soutenue.

JE NAGE
je frôle le fond de la piscine, la tête au fond de l'océan, j'ai des vagues dans les cuisses et de l'air sous la peau. Combien de longueurs jusqu'au retournement ?
Combien pour réveiller toutes les forces inactives ?
Tiens bon et tu seras soutenue.

JE PLONGE
Le souffle coupé fait surgir des pensées puis des mots.
Dans ma bouche le muscle libre organise sa propre matière.
Allers-retours il brûle des résidus de chair et me hisse, à ma place, soutenue."

La photographie de couverture est de Benjamin Teissèdre.

Si vous souhaitez vous procurer "Incarner", qui est vendu au prix de 5 € (+ 1,50 € de frais de port), rendez-vous sur le site des éditions : https://www.lachouetteimprevue.com/product-page/incarner

"Climatorride", de Yve Bressande

 

Publié par les Éditions Milagro, "Climatorride", de Yve Bressande, est un recueil de poèmes en vers libres, consacré, comme son titre l'indique, au dérèglement climatique sous toutes ses formes, et plus généralement à toutes les préoccupations écologiques relatives à l'avenir de notre chère planète Terre.

Ce qui frappe à l'évidence le lecteur que je suis, c'est le contraste entre ce qui est dit et la manière dont cela est dit. Résolument, Yve Bressande adopte un ton ludique, qui tire volontiers vers l'ironie, pour décrire ce qui se passe à l'heure actuelle. 
Bien entendu, il en profite pour dénoncer les absurdités humaines : fausses pistes toujours plus libérales, et surtout l'inaction de notre espèce. Le propos est donc grave. À ce petit jeu là d'ailleurs, les jeunes générations ne se sentent pas forcément les moins concernées, mais cela suffira-t-il à sauver l'humain ? Ne pas trop compter sur les autres pour faire bouger les lignes, car c'est l'affaire de tous, et ça devrait être surtout la nôtre, personnelle.

Je note d'ailleurs l'avertissement de l'auteur figurant en quatrième de couverture ainsi qu'à l'intérieur du livre : "Pour votre moral et votre santé mentale, il peut être déconseillé de lire ce recueil du début à la fin d'une seule traite". Oui, mais l'indifférence est très forte…

Le style des textes de Yve Bressande est axé sur l'oralité : simples à lire, les poèmes ici rassemblés sont aussi destinés, à l'évidence, à être dits : nombreuses reprises de vers et répétitions, recours à des termes familiers, à des slogans qui accentuent l'engagement du propos.

Il n'y a pas pour autant de méchanceté dans ce livre. L'espoir d'une prise de conscience domine les pages de "Climatorride" qui semblent être tout sourire.

Extrait de "Climatorride", de Yve Bressande :

"Calottes polaires

Plus blanche que blanche
c'était avant    avant la pollution grise
le miroir du climat se liquéfie    s'évapore
le soleil bientôt ne se mirera plus sur les pôles
sombres perspectives
l'eau des océans se réchauffe
deux fois plus vite que l'équateur
c'est peut-être là qu'il faudra se réfugier
sur l'équateur
où finalement il ne fera pas plus chaud que ça
lointain écho du poème de Paul Fort
"Si tous les gars du monde"
illustré par une farandole humaine
dansant sur l'équateur"

L'illustration de couverture est un dessin de Florian Gadenne.

Si vous souhaitez vous procurer "Climatorride", de Yve Bressande, qui est vendu au prix de 16 €, rendez-vous sur le site de l'éditeur : https://milagro-editions.com/livres/1552-2/

lundi 4 mars 2024

"Tangram", de Jérôme Nalet

 


Publié par Cheyne Éditeur, dans sa collection Grands fonds, "Tangram", de Jérôme Nalet, est un livre de proses poétiques composé de quatre parties.

Voici un texte pas tout à fait banal qui commence par un rêve (le père de l'auteur semble en être le sujet ?) pour s'enfuir vers l'imaginaire (toujours une sorte d'enfermement, mais qui me plait), celui des deuxième, troisième et quatrième parties.

Dans la deuxième, le lecteur rencontrera un personnage qui s'appelle "Costa" et ne va pas très bien. Peut-être disparait-il à la fin du dernier texte, d'ailleurs…

La troisième partie, ensuite, intitulée "Tangram", est effectivement composée de sept séquences, même nombre (totalité ?) que celui composant les sept pièces de ce puzzle chinois qui donne son nom à la partie et au tout.

Pour dire la permanence de ce titre, "Tangram", le rêve liminaire n'est-il pas non plus un puzzle à reconstituer, comme toujours avec les puzzles ?

Et bien que je retrouve dans "Tangram" ce qui m'avait attiré dans l'écriture de Jérôme Nalet - absurde et formules choc - du premier recueil intitulé "Te léguant un œil mort", il y a autre chose ici, plus de sérieux peut-être. C'est qu'il s'agit également d'un poème d'amour, d'une histoire d'âme sœur succédant au rêve du père. Là encore, un puzzle à reconstituer.

La dernière séquence de ce livre, elle non plus, n'échappe pas au constat de l'écriture puzzle. Par exemple, le troisième monologue "attribué à la barbe-bleue" contient de nombreuses citations d'un poème de Georg Trakl. Au delà de cette caractéristique, c'est l'ensemble des trois monologues dont l'écriture est émiettée. mots en désordre. Points au bout des phrases qui arrivent trop tôt ou trop tard. Le lecteur est souvent piégé ! Enfin, ces monologues, dans leur désordre thématique, ressemblent au parcours que ferait un animal de type sanglier fouinant avec son groin un peu partout et se déplaçant par cercles concentriques.

Par dessus tout, j'aime quand l'absurde finit par dire quelque chose de vrai ou glisse vers le grave. Cela se sent tout particulièrement dans les proses courtes de "Costa" et "Tangram". Par exemple :

"Sur ce modèle, une pilule intéressante est en cours d'élaboration. Grâce à elle et pour quelques heures, une année tout au plus, vous deviendrez la chèvre, et la corde, et le pieu. Vous deviendrez le chou. Il apparaîtra que le loup a le visage de votre père, celui de votre mère. Il apparaîtra que le loup est constitué de vos amours manquées, vécues, prochaines. Le loup va vous ingurgiter puis vous régurgiter. Vous en ressortirez lavé de la moindre réminiscence, donc de tout regret."

Si vous souhaitez vous procurer "Tangram", de Jérôme Nalet, qui est vendu au prix de 20 €, rendez-vous sur le site de l'éditeur : https://www.cheyne-editeur.com/livre/productidn/2570057/tangramjrme-nalet