mercredi 24 juillet 2024

"Epistola", de Claude Billon

 


En voilà, un livre de poésie qui ne ressemble pas aux autres !
Nous étions plusieurs à attendre la publication de textes de Claude Billon qui s'est fait désirer durant pas mal d'années.
Cette fois-ci, les pendules sont donc remises à l'heure.
Publié par les Éditions Baz'Art Poétique, dans la collection "Les poètes d'à côté", "Epistola", de Claude Billon est un drôle de volume.
"Epistola" semble désigner des lettres. Mais cela va ici bien plus loin. Le lecteur peut y voir des adresses à la population, pour la réveiller de son apathie. Car, pour moi, ces "Epistola" sont autant d'hymnes à la vie, à la liberté, à la simplicité, à l'univers de… Jules Mougin, le facteur (comme l'auteur) d'ami.

Nostalgie d'une époque révolue, avec toujours l'espoir dans le recommencement du soleil, de la lumière. Ce qui n'empêche pas à la lucidité de s'exprimer, sur nos maux politiques et sociaux. Décidemment, en cette époque où les poètes sont plutôt des élégiaques, quand ils ne nous enterrent pas vivants, Claude Billon refuse cette facilité. Il s'émerveille contre vents et marées. Dès lors, pourquoi ne pas se laisser emporter avec lui ?

Ces "Epistola" semblent se moquer de toute forme littéraire. Successions de proses denses, entre lesquelles s'intercalent quelques poèmes en vers libres. J'aime cette désinvolture apparente vis à vis de ce qui serait trop figé dans la poésie. C'est normal, en fait ! Si la poésie appartient à la vie, on ne sait pas quand elle s'arrête et quand elle finit…

Extrait de "Epistola", de Claude Billon :

"On s'est levés
ce matin avec de la promesse entre la tranche de pain,
jus d'orage et pommettes rieuses. Quoi donc ?
la passion jetée en vrac : ramasse les morceaux !
Soudainmentesque et tout habillé en préfet stupéfait
d'en faire une tonne comme la robe d'un ciel couillue de merlans
frits comme autant de gens futés qui croient savoir comme ils
savent comme on a déjà vu ce qu'on va voir ! À peine on agite
le monde réel et voilà qu'il tombe dans du baratin-baragouinage
c'est du beau coquilleux comme pour construire un mur et ça
vaut pas mieux que les soupers du Roi juste avant de faire
crever le Peuple hop-là ! mais là j'ai quasi rien d'autre à te dire
mon pote, crée ton bonheur : sois donc toi, natif d'autre chose
que ce brouillassier désir de remuer ciel et terre pour n'être 
adopté que par de l'ennui ! le gilet-jaune jamais plus englouti
par nos égouts, alors qu'il méritait le Yellow-show dans les
tanneries de Fès, faire honte à la kalash qui fait merveille contre
la guibole des mêmes, tout est muscle artiste sauf le mépris
de l'Art ! ces fions changés en étron contemporain, cette
mayonnaise Ch'timi servie à la Joconde qatarie, déesse
de la péninsule Renaissance, l'âme du monde
elle s'est reluquée
n'est-ce-pas ?"

On peut tout à fait dire de ce style qu'il est goûteux. Rarement à ce point la jouissance par les mots ne m'aura fait penser au plaisir éprouvé à manger de la bonne nourriture.

La préface est de Vincent Wahl. La photographie en première de couverture de l'auteur, de Dom Corrieras et les illustrations originales, de l'auteur.

Si vous souhaitez vous procurer "Epistola", de Claude Billon, qui est vendu au prix de 15 €, rendez-vous sur le blog des éditions : http://bazarpoetique.blogspot.com/

"Haïkus de la Belle saison", de Marie-Anne Bruch

 

Publié par les Éditions Encres vives, dans sa collection "Lieu", "Haïkus de la Belle saison", de Marie-Anne Bruch dévoile d'emblée, sur la première de couverture, son sujet : Paris / La Baule. Avec une photographie de l'autrice, en prime.

Ces haïkus réguliers par la fore (chacun, composé de 3 vers de 5, 7 et 5 pieds), constituent en effet des "choses vues".
Choses et parfois humains, saisis dans leur environnement.
Chaque scène ordinaire est rendue singulière par le regard de Marie-Anne Bruch qui en révèle l'éclat, en pointe de ver, pourrai-je dire.

Ces poèmes se lisent bien, d'ailleurs. Quoi de plus difficile que la simplicité ?

Plusieurs extraits de "Haïkus de la Belle saison", de Marie-Anne Bruch :

"Au petit matin
pluie tombant dans les flaques
- Les yeux cernés.

*

"Regard de défi
d'une petite trottinette
- Le bus impassible.

*

Rues de banlieue
les chats disent bonjour
- Pas les voisins.

*

"Orage d'été
- Le ciel fissure
ma rétine.

*

Qu'est-ce que l'écume ?
La salive de la mer
quand elle mord le vent."


Si vous souhaitez vous procurer "Haïkus de la Belle saison", de Marie-Anne Bruch, qui est vendu au prix de 6,60 €, contact de l'éditeur : encres.vives34@gmail.com

mardi 9 juillet 2024

"Fond vert", de Frédérick Houdaer

 

Publié par "Le feu sacré Éditions", "Fond vert", de Frédérick Houdaer est, pour moi, un grand classique.

Ayant vécu durant ma jeunesse à la campagne (et ayant effectué le chemin inverse de la campagne à la ville), je me souviens de ces parisiens qui venaient s'installer dans le Morvan.
Avec ma famille, on faisait des paris sur la durée au bout de laquelle ils allaient repartir pour la grande ville. Car la campagne c'est beau l'été, mais ça fatigue à la longue. Surtout qu'en plus, normalement, il y a l'hiver…

Frédérick Houdaer vit en poésie cette expérience de l'installation depuis Lyon dans un village de Saône et Loire. Le moins que l'on puisse dire est qu'il ne cache pas ses embarras, maladresses, perplexité face à ce que tout la campagne l'oblige à faire.
Le bilan ne me semble pourtant pas négatif. D'abord, l'auteur se place en posture d'accueil (c'est mieux pour accepter). Ensuite, la beauté de la nature est parfois décrite. Enfin, dans ces pages, la solidarité entre voisins peut aussi exister.

Bien sûr, l'humour est très présent dans ces textes.
Mais il n'y a pas que cela. En décrivant son environnement par petites touches, Frédérick Houdaer offre un portrait de la campagne plus réaliste que celui dressé par les poètes qui veulent la célébrer, en la décérébrant.

Extrait de "Fond vert", de Frédérick Houdaer :

"agenouillé au milieu de la rhubarbe
je glane les bouts de verre
au-dessus de ma tête
d'autres vitres menacent de tomber
la maison a deux cents ans
et elle fait son âge
un troupeau de panses cornues
l'encercle
avec la lenteur d'une armée de morts-vivants
un tracteur les frôle pour
lâcher une diarrhée d'herbe
sans parvenir à les effrayer

dans la ferme en contrebas
la volaille remplace le chien pour
prévenir du passage d'un véhicule

entre mes murs de pierres et d'humidité
je passe une bibliothèque au xylophène puis
à la même page d'un vieux dictionnaire
je trouve muse et muscle
chaque article est agrémenté d'une riche iconographie
tout cela sent le travail soigné
et le papier moisi"

Si vous souhaitez vous procurer "Fond vert", de Frédérick Houdaer, qui est vendu au prix de 12 €, rendez-vous sur le site de l'éditeur : https://lefeusacre-editions.com/commander/

dimanche 23 juin 2024

"Le clown d'enterrement", de Fabrice Marzuolo

 

Publié par les Éditions Gros Textes, "Le clown d'enterrement", de Fabrice Marzuolo est son premier recueil publié chez cet éditeur, après la co-édition en 2007 de "La diligence ne passe pas avec les aboiements" (Polder, chez Gros Textes et Décharge).

Je retrouve les poèmes de Fabrice Marzuolo comme une vieille connaissance : nous avons été publiés en même temps en 2007 et nous avons co-écrit "la partie riante des affreux" en 2012 (premier recueil des éditions du Citron Gare). Ce qui commence à faire pas mal d'années.

Cela me fait donc du bien de lire de nouveaux poèmes de Fabrice, au style aisément reconnaissable.

Et ce, pour plusieurs raisons.

Ils ne sont toujours pas nombreux, les poèmes à affirmer leur peu de cas de l'espèce humaine, à cette époque pourtant de moins en moins réjouissante (guerres de plus en plus proches, abus de pouvoir politique, égo des (ha)auteurs surmultipliés par les réseaux sociaux, alors que ce n'est pas ça qu'on leur demande à tous).

Comme si la plupart des auteurs refusaient de voir la vérité en face.

Mais il y a aussi autre chose de moins immédiat qui me plait dans ces poèmes, et qui tient à leur construction. J'ai toujours l'impression que Fabrice Marzuolo jongle avec les mots "façon puzzle" (avec les histoires également), avant d'en ramasser les différents morceaux et de les réunir en fin de parcours. Comme une résolution, au sens musical du terme : transformation d'une dissonance en une consonnance.

Extrait de "Le clown d'enterrement", de Fabrice Marzuolo :

"Le raccourci

Plutôt que dans l'été ou l'hiver disons
le défilé d'incertaines saisons
passer du temps à sacrifier le présent
si peu en vérité
pour qui pour quoi
pour des lendemains
qui chantent si faux
autour d'une jeunesse
vidée de ses vingt ans
comme poulets de leurs entrailles
où tomber parmi d'éternels ados
qui donnent envie d'être sourd
plus vite que leur musique
ou encore atterrir au milieu des vrais vieux
que le très juteux jeunisme
a dégauchis en clowns heureux
ceux-là carrément réhabilitent
la peine de vivre"

L'illustration de couverture est de Jacques Cauda.

Si vous souhaitez vous procurer "Le clown d'enterrement", de Fabrice Marzuolo, qui est vendu au prix de 7 €, rendez-vous sur le site de l'éditeur : https://grostextes.fr/publication/le-clown-denterrement/

jeudi 20 juin 2024

"Poèmes ronds", de Gorguine Valougeorgis

 


Publiés par les Éditions Gros Textes, dans sa collection "La Dipso", ces "Poèmes ronds" de Gorguine Valougeorgis étonnent par leur diversité.

Ici, il n'y a pas de forme préconçue d'écriture. Mais tout de même, c'est la prose qui domine plus que le vers. Le lecteur a l'impression que la prose vient chercher le vers, qu'elle le déguise en versets.

Et quand la prose l'emporte sur plusieurs lignes, ce qui est fréquent, c'est sans un souffle de ponctuation, mais avec la scansion des répétitions, des énumérations.

À cette diversité répond celle des paysages, des couleurs. Gorguine Valougeorgis en profite pour évoquer quelques souvenirs, tout en racontant son quotidien, sa découverte de l'Île de la Réunion.

Mais ni la forme, ni les thèmes ne me semblent ici les plus importants. C'est surtout l'occasion pour l'auteur de lancer un appel à la tolérance, une vertu presque démodée par les temps qui courent.

Cet appel à la tolérance commence par l'attention portée aux autres, et pas même juste à leurs dents (Gorguine est dentiste) !

Ainsi, ces "Poèmes ronds" conviennent bien à un monde dans lequel rien ne tourne jamais vraiment rond.

Le recueil se termine par "Les notes de l'exil", l'exception qui confirme la règle : courte suite de poèmes en vers libres en forme de conte (qui finit mal). Ou quand l'homme détruit l'arbre.

Extrait de "Poèmes ronds", de Gorguine Valougeorgis, ce beau poème (même s'il ne traduit pas forcément l'ambiance de l'ensemble du recueil) :

"trop vivre

pieds nus derviches ne laissent traces que cloques et noir charbon de leurs pas

chacun nourrit de son souffle retient dans une incandescence lancinante les braises

si tu danses avec moi elles prennent feu par fusion quelle mort lumineuse c'est à chaque fois

les neiges noires et tristes de bord de route fondent enfin comme la peur de tomber comme la peur de trop vivre"

L'image de couverture est de Nathalie Lothier.

Si vous souhaitez vous procurer "Poèmes ronds", de Gorguine Valougeorgis, qui est vendu au prix de 7 €, rendez-vous sur le site de l'éditeur : https://grostextes.fr/publication/poemes-ronds/

mercredi 19 juin 2024

"Un temps de fête", de Guillaume Decourt

 

Deuxième livre publié par Guillaume Decourt aux Éditions de La Table Ronde, "Un temps de fête" est un recueil de courts poèmes en prose calibrés pareil, dont la vue fait plaisir au lecteur, synonyme d'ordre apparent.

Je l'affirme d'autant plus que le trait dominant du recueil est l'humour, voire même l'ironie. Donc il ne faut pas trop se fier à trop d'ordre, même si ces proses constituent autant de moralités (ou d'immoralités), viatiques pour des vies heureuses. D'où le titre…

Seulement voilà, parfois, ces textes ne finissent pas toujours très bien. Et en plus, ils ne témoignent pas forcément de tant de sagesse que cela. Enfin, ils semblent généraliser le particulier : noms de lieux, de nourritures, de marques disséminés au fil des pages.

Si le bonheur ne tient qu'à quelques particularismes, le lecteur peut se dire : je ne suis pas prêt d'atteindre le bonheur, si c'est bien cela qu'il me faut, ou bien, au contraire, le bonheur ne tient pas à grand chose, décidemment.

Il s'agit de recettes, en quelque sorte !

D'un point de vue stylistique, et comme leurs formes le suggèrent, les textes se referment parfaitement en quelques lignes, après avoir traversé un espace temporel parfois long. Résumés de vies de peu. Là encore : prenez le au second degré. Et reconnaissez plutôt que si le bonheur repose sur des objets, chacun a la possibilité d'y accéder par ses propres voies.

Extrait de "Un temps de fête", de Guillaume Decourt :

"L'ANNÉE DU LAPIN

Bonne nouvelle, c'est l'année du lapin. L'année de toutes les réussites. L'année du tiercé. L'année du jackpot. Nous sommes sous les agréables auspices de la Française des jeux mais j'ai dû sacquer notre nouveau steward parce qu'il se tripote. Je me sens bien. Notre crack devance tous les autres sur le turf. Nous nous installons à Hawaï. Ici personne ne m'a lu. Les enfants font du surf. Il fait bon vivre à Honolulu."

Si vous souhaitez vous procurer "Un temps de fête", de Guillaume Decourt, qui est vendu au prix de 14 €, rendez-vous sur le site de l'éditeur : https://www.editionslatableronde.fr/Catalogue/(parution)/nouveautes

"Sein du jour", de Christian Bulting

 

Publié par la revue Chiendents, "Sein du jour", de Christian Bulting, est une suite de poèmes aux vers courts et centrés sur la page. Elle déroule le fil de l'histoire d'un amour entre un homme et une femme. 

Une relation écrite au jour le jour, à la première personne du singulier. Côté face, c'est une ambiance à la "Cantique des cantiques" : amour sensuel, voire charnel. Côté pile, c'est la fin de cet amour et son rappel, qui se délitent sur plusieurs pages.

Ici, comme les corps sont (mais à) nu(s), les vers sont dépouillés, rendus à leur plus simple appareil. Rien n'est caché. Tout est à l'os. Pas besoin de compliquer les choses. Même quand elles sont dites simplement, elles paraissent encore compliquées. Comme si un mystère devait absolument se cacher derrière…

Extrait de "Sein du jour", de Christian Bulting :

"Quand elle a posé sa tête
Sur mon épaule
La dernière nuit
Quelque chose avait changé
Et je ne savais pas quoi

Quand elle a posé sa tête
La dernière nuit
Jamais ce geste
N'avait été si tendre
Si détaché

Quand elle a posé sa tête
Sur mon épaule
La dernière nuit
Elle savait que c'était la dernière
Je l'ai su aussi"

Si vous souhaitez vous procurer "Sein du jour", de Christian Bulting, qui est vendu au prix de 8 € (+ 3 € de port), rendez-vous sur le site de l'éditeur : https://lepetitvehicule.com/index-de-nos-auteurs/christian-bulting/