mardi 25 juillet 2023

"Le vieux qui mâchonnait des religieuses", de Jean Pézennec

 

Publié par "Cactus Inébranlable éditions", dans sa collection des Microcactus, "Le vieux qui mâchonnait des religieuses", de Jean Pézennec, est une suite de textes courts en prose, dotés chacun d'un titre.

Si ces textes empruntent leur forme aux poèmes en prose, leur humour lapidaire vient tout droit des aphorismes.

Jeux de mots, chutes réussies, absurdité des situations : il y a beaucoup à dire et il y a encore plus de quoi rire (jaune), car notre époque perfectionnée n'en a, malgré tout, pas fini avec ses contradictions à débusquer.

Par exemple, grâce à Internet, tout est très simple aujourd'hui ! On peut même choisir les modalités de son enterrement, ce qui est montré ici dans la série des "Happy death".
Plus traditionnel, mais toujours efficace, l'écrivain qui est là comme un cheveu sur la soupe, jamais à la mode. Avec lui, on est sûr de ne jamais se tromper. Et pour dire l'écrivain, il faut justement l'écrire !

Extraits de "Le vieux qui mâchonnait des religieuses", de Jean Pézennec :

"Happy death ! (2)

Obsédé par le problème de l'insécurité, cet homme se fit enterrer avec, déniché sur le site happydeath.com, le système anti-intrusion Quiet eternity. Garanti inviolable, équipé d'une serrure haute résistance avec code d'ouverture connu du seul propriétaire et, last but not least,; alarme reliée au commissariat le plus proche, ce système donnait à son acquéreur un contrôle absolu de l'accès à son petit chez lui, lui permettant de dormir sur ses deux oreilles - ou ce qu'il en restait."

"Un drame de la route.

S'étant aventuré sur un terrain glissant, l'humoriste dérapa sur un jeu de mots et alla se fracasser contre le mur des interdits du politiquement correct. Très vite arrivée sur les lieux, la police de la pensée interpella immédiatement le chauffard, qui se vit illico rentrer son permis de plaisanter."

"Un poète

Il disait "Je vis en Poésie "comme d'autres "Je vis en France". Il ne disait pas "mon épouse", il disait "ma muse". Il ne disait pas "Nantes, la ville où j'ai passé ma jeunesse" mais "Nantes, le lieu qui a vu naître ma vocation poétique". Son apparence aussi, avec sa barbe à la Victor Hugo et ses cheveux flottant au vent, criait sa qualité de poète. Hélas ! Quand on ouvrait un de ses recueils, que ce soit Aubade aubadante ou Égérie égérienne, on se rendait vite à l'évidence : si, selon ses propres termes, il avait le virus de la poésie dans le sang, il était asymptomatique."

Si vous souhaitez vous procurer "Le vieux qui mâchonnait des religieuses", de Jean Pézennec, qui est vendu au prix de 10 €, rendez-vous sur le site de l'éditeur : https://cactusinebranlableeditions.com/produit/le-vieux-qui-machonnait-des-religieuses/

dimanche 16 juillet 2023

"Juste vivre", de Luc Marsal

 
Publié par les Éditions "Donner à Voir", dans la collection Tango, "Juste vivre", de Luc Marsal est, à ma connaissance, le premier recueil (mais sûrement pas le dernier) de cet auteur.

Il s'agit là d'un ensemble de courts poèmes de cinq vers, dont le premier vers est un "Je veux", qui sont disposés deux par deux par page et accompagnés par les encres de Nour Cadour, .

L'objet du propos de "Juste vivre" est résumé dans ce titre. Plutôt que de prendre comme modèles des artistes maudits (Hemingway, Rimbaud, Van Gogh), Luc Marsal ramène la poésie à hauteur d'homme. C'est peut-être moins héroïque, mais les cimetières étant peuplés d'autant de héros que de personnes indispensables, mieux vaut savoir raison garder. 

Et puis, "juste vivre", c'est déjà pas mal comme programme, surtout quand il s'agit de communier avec les éléments du monde entier et avec les êtres chers.

Extraits de "Juste vivre", de Luc Marsal :

"JE NE FINIRAI PAS
comme Hemingway,
la cervelle
sur le plancher.

(...)

Je veux
des vols de nuit
à remonter le temps
et des soleils levants
qui balaient l'horizon.

(...)

Je veux
des cris d'enfants
dévalés de la dune
et plus tard dans les vagues
m'enivrer d'océan."

La quatrième de couverture est de Marylise Leroux. À noter enfin le "design" agréable de ce livre de petit format à la couverture solide qui se déplie en accordéon à partir d'une page collée et dont les rectos comme les versos sont remplis de mots et de signes.

Si vous souhaitez vous procurer "Juste vivre", de Luc Marsal, qui est vendu au prix de 6 €, rendez-vous sur le site de l'éditeur : http://www.donner-a-voir.net/

mercredi 12 juillet 2023

"Traverser" (Anthologie poétique)

 

Cette anthologie de 31 poèmes, intitulée "Traverser" et publiée par les Éditions La Chouette Imprévue, présente plusieurs caractéristiques originales.

Sous-titrée "Anthologie poétique sans frontière", ce petit volume, par la taille, regroupe des poèmes qui sont faits pour être lus, mais également entendus au téléphone, en composant le numéro du Serveur Vocal Poétique (SVP) : 03/74/09/94/24 (depuis la France).

Soit l'autrice ou l'auteur lit son poème, soit c'est une tierce personne.

De plus, ces poèmes comportent tous au moins chacun un vers dans une autre langue que le français. 

Le verbe "Traverser", puisqu'il s'agit du thème de cette anthologie, autorise toutes sortes d'interprétations. Par exemple, c'est aller d'un endroit à l'autre. Cela peut vouloir dire également passer d'un état à un autre, "traverser des épreuves", comme on dit, mais pas uniquement.

Au-delà de la diversité de styles des poètes participants, l'impression générale laissée par ce recueil est celle procurée par un regard introspectif d'apaisement.

Extrait de "Traverser", "Les ancolies", de Laura Dans l'Air (Laura Schlichter) :

"J'ai traversé l'hiver
Cousue de fil blanc
Un manteau bien trop large
Et une bouche minuscule
J'attendais de de la neige
Qu'elle efface
L'amnésie
On croit que c'est l'immense
Qui sait nous renverser
Alors que c'est
L'infime
L'intime
Le cil
Le détail
Du flocon
Ses arêtes
Délicates
Acérées.

The fluff of a dendelion
Softly
Fiercely
Flowing away (1)

Je suis 
À la lisière
De l'hiver que j'enterre
Dans le vase de ma gorge
Un bouquet d'ancolies
Espère revoir le jour.

J'écarte
Un bout de l'horizon
Et laisse le givre
Lécher
Mes papilles endormies
Sur ma
Langue
Trouée."

(1) L'aigrette d'un pissenlit / Doucement / Sans peur / Dans la coulée du vent

La photographie de couverture est de Benjamin Teissèdre.

Si vous souhaitez vous procurer "Traverser", qui est vendu au prix de 4 € (+ 2 € de frais de port), rendez-vous sur le site de l'éditeur : https://www.lachouetteimprevue.com/product-page/traverser

mercredi 14 juin 2023

"Nature morte avec page blanche, ombre et corbeaux", de Christian Viguié

 

Avec "Nature morte avec page blanche, ombre et corbeaux", publié par "L'Ail des ours", dans sa collection "Grand ours", Christian Viguié dit clairement les choses à son lecteur : le monde naturel qu'il décrit naît directement de sa plume.

Comme s'il s'agissait d'une peinture, il compose sa nature morte (pas si morte que ça, d'ailleurs), au fur et à mesure qu'il écrit ses poèmes. Car c'est vrai, surtout en poésie, le poète souvent pense qu'il décrit une réalité, alors que dès le départ, il décrit sa réalité.

Alors, autant le dire d'emblée : cette réalité là démarre du "je" très présent dans ces pages. D'ailleurs, même les corbeaux et les hirondelles écrivent leur poème dans le ciel. Il n'y a plus qu'à l'assembler sur la page.

Dans les différents poèmes qui composent ce même tableau, celui d'une "nature morte avec page blanche, ombre et corbeaux", un style puissant, clair et concret s'exprime.

Extrait de "Nature morte avec page blanche, ombre et corbeaux", de Christian Viguié :

"Il y a quelque chose
qui tourne dans l'écriture
comme un corbeau

Je sais que l'encre
n'est pas le vol du corbeau
mais une couleur provisoire
pareille que la nuit
lorsqu'elle touche la nuit

Je sais que cette couleur
n'a pas d'ailes
pas de cris suffisants
pour fracturer la forme même de la nuit

Pourtant je sais qu'un corbeau écrit
et que son croassement
est le premier quartier d'une lune."

Les illustrations (dont celle de la couverture) sont de Cécile A. Holdban.

Si vous souhaitez vous procurer "Nature morte avec page blanche, ombre et corbeaux", de Christian Viguié, qui est vendu au prix de 8 € (+2,50 € de frais de port), rendez-vous sur le site de l'éditeur : https://www.editions-aildesours.com/nos-livres/

"Fugue", de Marie Rouzin

 

Publié dans la collection Polder de la revue Décharge, "Fugue", de Marie Rouzin est un premier recueil qui coule de source, si je puis dire, et afin de le résumer.

L'autrice fait ici une fugue, ou plus exactement, elle passe d'un endroit à un autre, car elle cherche sa place dans le monde qui l'entoure. Chercher sa place, ce n'est pas uniquement "avoir une situation", à l'instar des gens ordinaires.

Ce qui intéresse le personnage de "Fugue", c'est trouver un endroit où il puisse faire corps avec les choses, réellement : chemin le plus court pour trouver le bonheur.

L'autrice qui tutoie au passage, décline dans chacun des poèmes toutes les étapes de ce parcours : d'abord, l'élément liquide, puis la plage, puis les airs, puis la ville.

Dans la dernière partie du recueil, le "tu" cherche même à se fixer, quelque part, mais plutôt dans la nature. Car en ville, il se heurte aux priorités du pouvoir qui enserre les personnes et ne donne pas la liberté à celles et ceux qui le reçoivent.

Si les poèmes de "Fugue", de Marie Rouzin sont assez longs (plusieurs pages chacun), c'est qu'ils habitent leur souffle. Ce qui m'a surpris le plus, lors de cette lecture, est leur absence d'aspérité, leur naturel, comme si les textes qui composent "Fugue" avaient été écrits sans interruption.

Extrait de "Fugue", de Marie Rouzin (le début de la deuxième partie) :

"Tu te tiens dans un coin.
Tu cherches à te situer
Depuis que l'espace en toi a changé
Depuis que tu as goûté la fugue.
Ton oiseau toujours perché sur ton épaule,
Tu épluches d'autres images, d'autres feuillets,
Des recueils dont tu jettes les peaux sur les talus.
Tu craches les noyaux à tes pieds,
Pour le cas où tu devrais retrouver ton chemin.

Tu es seule,
Il n'y a pas de messager pour t'indiquer la voie,
Pas de signe,
Et rien sur les talons qu'un peu de terre humide.

Tu prends le caillou du doute
Qui voyage dans ta chaussure depuis si longtemps,
Tu le soupèses, il n'a aucune densité,
Tu le gardes dans ta main,
Tu glisses ton pied dans la chaussure,
Tu peux bouger à nouveau, il n'y a plus rien pour briser ta cheville. (...)"

La préface est de François de Cornière et l'illustration de couverture de Samiha Driss.

Si vous souhaitez vous procurer "Fugue", de Marie Rouzin, qui est vendu au prix de 7 €, rendez-vous sur le site de l'éditeur : https://www.dechargelarevue.com/Polder-198.html

mardi 6 juin 2023

"Les enfants masqués", de Thibault Marthouret

 

Publié par les Éditions Abordo, dans sa collection "Quan Garona Monta", "Les enfants masqués" , quatrième recueil édité de Thibault Marthouret, est en partie un retour aux sources d'"En perte impure", que j'ai édité à l'enseigne du Citron Gare en 2013.

Cette similitude tient à la fois à la forme employée - mélange de proses poétiques et de poèmes en vers libres - mais aussi à l'ambiance qui traverse ces nouvelles pages.

Cependant, il y a dans "Les enfants masqués" quelque chose de plus systématique, de plus affirmé. Le passage du temps ? Paradoxalement, dans ce livre, il est beaucoup question d'enfants.

Mais ces enfants, qui, à peu près toujours, font corps ensemble, appartiennent plus - me semble t-il - à l'adolescence qu'aux toutes premières de leurs années les plus tendres. Ils ont cette soif d'absolu qui les relie directement au dehors. Ils sont comme aimantés par le monde extérieur, flirtent avec les aventures qui tournent parfois en faits divers.

À mes yeux, dans chacune des quatre parties qui composent "Les enfants masqués", il n'y a pas de thème aisément identifiable. Au contraire, la même ambiance décrite ci-dessus semble se communiquer à toutes ces parties.

Thibault Marthouret excelle à décrire les choses, mais pas forcément telles qu'elles sont. La poésie s'immisce donc derrière cette apparente objectivité qui découle d'un sens de l'observation aiguisé. Cependant, les rapports entre les choses décrites ne coulent pas toujours de source. Il y a de l'incongru dans cette vision du monde.
Et surtout, la révolte des enfants affleure en permanence. Ils ont bien raison, de vouloir faire mentir les apparences, tout en restant purs. Car finalement, ce sont peut-être des anges.

La photographie de couverture est de Lisa Gervassi.


Extrait de "Les enfants masqués", de Thibault Marthouret :


"Les ailes

Les ailes cassent toujours en premier.

Elles sont notre point faible, même repliées.

Chipé dans la boutique du parc d'attractions médiéval, le pégase mutilé est à moitié cheval.

La poche de l'enfant a froissé son envol, le voilà bête de trait, de boucherie ou de somme.

Sans elles, nous galopons, ignorant où nous sommes. Nous perdons la vue de l'esprit.

Les ailes cassent toujours en premier.

Éprise de bonté et d'amour sans bornes, la vie étreint parfois trop fort ceux qu'elle envie.

Ainsi tombent les anges interdits.

L'air ralentit la chute.

Je soufflerai toujours des mots à ton oreille."

Si vous souhaitez vous procurer "Les enfants masqués", de Thibault Marthouret, qui est vendu au prix de 15 €, rendez-vous sur le site de son éditeur : https://www.abordo.fr/livres/enfants.html

dimanche 4 juin 2023

"Poème loin de San Francisco", de Fabrice Marzuolo

 


Sous-titré "Poèmes même pour ceux qui n'aiment pas la poésie", "Poème loin de San Francisco", de Fabrice Marzuolo, se situe effectivement assez loin de San Francisco.

Au moins le lecteur est prévenu. San Francisco, ici, c'est un fantasme de réussite, le nouveau monde contre l'ancien qui l'emporte toujours, même quand on vit aux États-Unis. Le monde de la mort, de l'ennui, du temps qui passe, mais aussi de l'inégalité (en richesses, notamment) qui existe entre les hommes. Bref, ce monde de l'injustice. La réalité, donc, à la place du rêve.

Autant vous dire : dans ces poèmes, l'auteur ne vous berce pas d'illusions. Certains lecteurs n'aiment pas ce genre-là. Moi si. D'ailleurs, parfois, il y a des successions de négations qui finissent par faire une affirmation. 

Les poèmes de Fabrice Marzuolo sont aisément reconnaissables au fait que dans les premiers vers, ils donnent quelque chose qu'ils retirent dans les vers suivants. Toujours cette addition suivie de soustraction faisant qu'à l'arrivée on arrive à un résultat nul. De ce fait, le poème semble toujours se tenir dans un fragile équilibre, celui du malaise générateur de poésie.

Extrait de "Poème loin de San Francisco", de Fabrice Marzuolo :

"Sous l'éternité la mort...

La mort elle doit penser
Que je me crois éternel
Alors elle se rappelle à moi
Des douleurs par ci par là
Des pincements inquiétants
Diverses courbatures
Elle s'imagine quoi
Pour se donner tant de mal
Que je vais l'oublier
Sa tête de mort
Je l'ai vue
Avant que mes yeux
La vissent
J'ai poussé autour
De son squelette
Comme la mousse
Sur les vieilles pierres

Vivre c'est s'enrouler 
Autour d'elle"

Si vous souhaitez vous procurer "Poème loin de San Francisco", de Fabrice Marzuolo, qui est vendu au prix de 5 €, contact : fabrice.marzuolo@wanadoo.fr