lundi 3 juillet 2017

"Deux", de Philippe Jaffeux



Il est des livres qui sont faciles à lire et je ne les aime pas toujours, les trouvant trop superficiels.
Il est des livres qui sont difficiles à lire et que je n'aime pas lire, car ils sont tout simplement illisibles, expérimentaux pour le plaisir de n'être pas compris et d'en foutre plein la vue aux profanes.
Et enfin, il est des livres qui valent la peine d'être lus, même s'ils sont difficiles à lire.

« Deux », de Philippe Jaffeux, publié par les éditions Tinbad, appartient pour moi à cette dernière catégorie de livres.

Comme toujours chez l'auteur, il s'agit d'une suite de phrases qui peuvent être lues dans le désordre, même si elles sont dites par deux personnages n°1 et n°2 et même si elles sont destinées au théâtre, comme précisé sur la couverture.
Le temps est ici circulaire, c'est celui de l'informatique, de l’immatériel. Il n'y a ni passé, ni futur, le temps se contente de s'enrouler sur lui-même.

À l'infini, presque, les deux personnages parlent de l'absence de ce Il. Très vite, bien entendu, le lecteur comprend que ce Il n'apparaîtra jamais, tel un Dieu, seul point commun avec lui, en l'absence de toute transcendance.

C'est pour cette raison que ce texte m'a parfois fait penser au « génie » d'Arthur Rimbaud, dans son énonciation. Il est celui qui peut tout faire, même si finalement, il ne fait rien, cette certitude amusante se renforçant au fil des pages.

Et finalement, cette absence de « Il », n'est pas un problème, car l'important, c'est que le « Nous » apprend très vite à se situer par rapport à ce « Il ». Malgré ses incapacité (aphasie) et immatérialité (alphabet comme seule image à offrir), le « Nous » acquiert sa dynamique dans ses interlignes, ce qui fait de l'ensemble de ce livre quelque chose de lumineux.

Dans ce dialogue à bâtons rompus qui s'étale sur deux cent trente pages, j'ai juste regretté les quelques phrases bâties sur des répétitions d'assonances, le lecteur ayant l'impression qu'elles ne relèvent que de la virtuosité du jeu de mots.

Il n'en demeure pas moins que se dégage de ce livre une richesse presque invraisemblable. La phrase, en nous entortillant avec elle, exprime à elle seule le tout du monde. Ce livre est une mine de formules, dont aucune ne peut se dégager par rapport aux autres, puisqu’il s'agit du résultat de l'instant : recomposition continue et instantanée d'un monde, malgré l'absence.

Extrait de « deux », de Philippe Jaffeux :

« N°1 : Ses lettres sont des organes qui sentent le point commun entre nos yeux et nos bouches. Nous habitons les voyages d'une parole qui ressemble à une image de notre hôte. Il déconstruit notre représentation parce que nous intégrons nos visions au moment de sa transparence.

N°2 : Le creux de nos existences s'organise autour d'un vide qui caricature son absence. La peau de notre langue recouvre la sensibilité de nos voix avec ses désirs inaudibles. Nos yeux musclent l'écoute d'un aveuglement qui répond à son aphasie éblouissante. »

Si vous souhaitez en savoir plus sur « Deux », de Philippe Jaffeux, qui est vendu au prix de 21 €, rendez-vous sur le site de l'éditeur : http://www.editionstinbad.com/ 

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