jeudi 23 novembre 2023

"Un corps qu'on dépeuple", de Matthieu Lorin

 



Publié par Exopotamie Éditions, dans sa Collection Échos, "Un corps qu'on dépeuple", de Matthieu Lorin, est un recueil de poèmes en prose, qui filent leur métaphore de bout en bout : celle de l'homme des cavernes en prise avec les éléments et un environnement hostiles.

Derrière la barbarie apparente du propos, je distingue personnellement surtout beaucoup de dérision.
Matthieu écrit ici un recueil de poésie d'apprentissage (de la vie), dans lequel il décrit l'histoire de son évolution, au cours de laquelle rien n'est jamais gagné, ni perdu. D'où l'ironie de la situation.
À chaque période de cette évolution (enfance, adolescence, premiers émois, premier emploi, rencontre de l'être aimé), est adressée une missive très imagée, reproduite en italique, écrite à la fois à quelqu'un en particulier et à tout le monde, comme une revendication de vivre.

Hé oui ! Il faut reconnaître que Matthieu Lorin n'a pas tort. Son histoire, racontée à la première personne du singulier, est souvent aussi la nôtre.
La jungle des villes vaut bien celle de la préhistoire.
Quant au style, il s'adapte au propos de l'auteur : rempli de la puissance des images, pour combattre les intrusions ternes du quotidien.

Extrait de "Ce corps qu'on dépeuple", de Matthieu Lorin :

"Nouvel été. Je laisse les mots suspendus dans le vestiaire, au fond de la ferraille. Reproduire le geste suffit.

La nuit, mes mains acceptent encore le camphre et l'élégance du dialogue. Mais si des lèvres vrillent et que rentabilité en sort - comme un rongeur ou une folie peuvent sortir de bûches entreposées - alors elles se rétractent et cherchent des couvertures pour se terrer.

Les souris agissent ainsi, nous apprenant par là où le piège doit être posé."

L'illustration de couverture est une acrylique sur toile de Sébastien Montag.

Si vous souhaitez vous procurer "Ce corps qu'on dépeuple", de Matthieu Lorin, qui est vendu au prix de 15 €, rendez-vous sur le site de l'éditeur : https://exopotamie.com/

lundi 20 novembre 2023

"Avant-guerre", d'Arnaud Talhouarn

 


Publié dans la collection Polder de la revue Décharge, "Avant-guerre", d'Arnaud Talhouarn, fait preuve de qualités singulières, qui en font toute la valeur.
Je m'explique.
On ne peut pas dire que la vie soit vraiment chantée dans ce recueil, s'agissant plus particulièrement de l'existence du poète. Exit donc, la poésie des bonnes intentions et des valeurs humaines !
L'auteur se concentre sur autre chose. Ce qui fait la valeur de son existence, ce sont les visions des choses qu'il a autour de lui, qui ont à la fois la dureté des statues et l'éphémère des cendres ou de la lumière.

La progression du recueil le montre bien d'ailleurs : La première partie est intitulée "Fragments autobiographiques", puis viennent "Ascèse et autres exercices de rumination", et enfin "Reliefs". Ces titres montrent déjà que le lecteur partira de l'homme pour aller vers les choses, fera connaissance avec cette dépersonnalisation caractéristique du texte.
Espérons juste que le titre de ce Polder : "Avant-guerre" ne soit pas trop prémonitoire !...

Le style de l'écriture d'Arnaud Talhouarn recèle de nombreuses surprises : pratiquant les inversions de mots, volontiers scandé, par grappes de vers constituant des sortes de versets ou mélangeant proses et vers, il sonne comme inactuel, ne cherche pas à imiter le langage parlé - ce qui me paraît rare dans la poésie contemporaine - mais est plutôt axé sur la minutie.

Extrait de "Avant-guerre", d'Arnaud Talhouarn :

"Heures perdues

Accoudé à tes genoux, sous le couvert des mille jeunes feuilles d'une ramure qui surplombe ton crâne. Dans la transparence d'une feuille apparaît le réseau ordonnée des nervures, guillochis régulier et orienté.
L'avant-bras dont l'intérieur est tourné vers le ciel montre, incrustée dans la peau transparente, la cartographie des veines. Le sang circule en pulsations incessantes, parcourant les mêmes canaux, depuis une durée comportant une quantité vertigineuse de cycles, véhiculant une énergie dont l'origine est aussi inexistante que la fin.

Ardent caractère, de monastique nature,
ne te détourne pas de toi-même, pas tant du moins
que la formule de ce détournement ne soit ajustée au mieux à
l'énigmatique figure."

La préface de "Avant-guerre" d'Arnaud Talhouarn est signée Guillaume Decourt et l'illustration de la couverture est de Nolwenn Camenen.

Si vous souhaitez vous procurer "Avant-guerre", d'Arnaud Talhouarn, qui est vendu au prix de 7 €, rendez-vous sur le site de l'éditeur : https://www.dechargelarevue.com/Polder-200.html

dimanche 12 novembre 2023

"Un bouquet de sourires", d'Ayman Lahbabi

 


Sous-titré "Petit traité poétique", "Un bouquet de sourires" est un livre d'Ayman Lahbabi, publié par Z4éditions.

Tout d'abord, je me suis interrogé sur ce terme de "Petit traité poétique", qui me paraît contradictoire . Si c'est un traité, ce n'est pas de la poésie. Si c'est de la poésie, ce n'est pas un traité.

Je plaisante bien sûr, empruntant le mode de pensée rationnelle de la plupart d'entre nous. Sauf qu'avec la poésie, tout est possible. C'est bien pour cela qu'on l'aime !

Ainsi, ce "Petit traité poétique" est une sorte de sagesse. Le lecteur s'en rend compte immédiatement, alternant poèmes en vers libres et chapitres en prose. Le sourire sert de trait d'union entre ces deux ensembles de textes.

Il y a les bons sourires, et puis il y a les mauvais, ou plutôt les sourires faux. C'est surtout dans les proses d'Ayman Lahbabi que la sagesse opère, et la critique aussi ! Et puis, il y a les poèmes, qui saisissent l'instant du sourire.

Ainsi, ces textes témoignent d'un bonheur de vivre, avec beaucoup de naturel. D'où cette chronique d'un recueil rempli de fraîcheur.

Extrait de "Un bouquet de sourires", "Elle m'a souri", d'Ayman Lahbabi :

"En partant
Le pied dans la porte

Je sais pas trop ce que cela voulait dire
Quelque chose comme
Merci d'exister
Quelque chose comme
Continuez à le faire
L'Univers en est grandi
Et moi je vous soutiens de loin
Si avez, un jour, besoin
D'un bouquet de sourires pour garder la foi

Je sais pas trop ce que cela voulait dire
Ou pas dire
Cela voulait juste chanter
Siffloter
Un morceau de joie partagé ensemble
Même si l'on ne se reverra jamais
Le graver au fer rouge sur nos visages
Au moins pour quelque temps

Pris de court, je lui ai souri en retour
Je sais pas trop ce que cela voulait dire
Certainement la même chose
En moins bien
Le sourire de l'autre est toujours plus éloquent
Plus brûlant qu'une étreinte
Au fond, il en suffirait de quelques-uns
Pour vivre courageusement d'un bout à l'autre."

Si vous souhaitez vous procurer "Un bouquet de sourires", d'Ayman Lahbabi, qui est vendu au prix de 12 €, rendez-vous sur le site de l'éditeur : https://z4editions.fr/product/un-bouquet-de-sourires/

mercredi 8 novembre 2023

"Main tenant", de Germain Roesz et Claude Ber

 

Publié par Les Lieux-Dits éditions, dans la collection 2Rives, "Main tenant" de Claude Ber, illustré par Germain Roesz, est un livre qui ne ressemble pas à la plupart des autres livres.

En effet, la première partie de l'ouvrage donne à voir les illustrations non figuratives et fortement colorées (j'aime ce jaune dominant) de Germain Roesz, précédées d'un papier calque sur lequel est inscrit un fragment du texte publié. Ce dernier en sort comme éclairé.

La deuxième partie du livre se présente plus classiquement, avec la publication intégrale du texte précédemment illustré.

"Main tenant" de Claude Ber est un hymne continuel. Son titre le confirme d'ailleurs. "Main tenant" sonne comme un appel à la solidarité. ce que j'ai aimé dans ce poème en vers libres découpé en plusieurs séquences, c'est son côté œcuménique, qui ne cherche pas à distinguer le bon grain de l'ivraie, la vision négative de la positive, pour mieux brasser l'ensemble du monde tel qu'il est : cette approche me semble assez rare pour être signalée, ce qui rend, à mes yeux, le texte plutôt original.

Extrait de "Main tenant", de Claude Ber :

"que le compact des immeubles
se dilue dans le délié gracile de l'air tremblé
leurs blocs d'emprise et la nôtre dissouts
dans l'effervescence de la lumière

que le mixeur des écrans
malaxe pêle-mêle virus guerres migrants
et lamelle de lune dans un pli de nuage
faillites et supernovas likes et attentats
caddies de mangeaille
famine et fonte des glaces
rafales d'étourneaux opérations boursières
et dégueulis d'insultes internautiques
dans l'addition illimitée
d'un total soustrait de lui-même
en bannière de pagaille mondiale

que des fleurs d'hibiscus ondoient
en corolles capricieuses
dans une suspension sereine de l''esprit

qu'une clique de bruits
et son trousseau de clés inutiles
cliquètent à nulle serrure
dans le sans porte
que comprendre se connaît comme un bras
plongé dans le brasier et la boue

qu'un éclat de verre dans l'allée
fait miroiter la pluie
et le feuillage parme du prunus
avec une élégance subtile et laquée

qu'un brin de fins cheveux frissonne
sur tes tempes
avec une légèreté dansée
et émouvante
comme au revers de l'un
son pluriel éparpillé

c'est maintenant
mains nouées à d'autres mains".

Si vous souhaitez vous procurer "Main tenant", de Germain Roesz et Claude Ber, qui est vendu au prix de 20 €, adresse des éditions : Les Lieux-Dits éditions, Zone d'art, 2 rue du Rhin Napoléon, 67000 STRASBOURG.

dimanche 5 novembre 2023

"Poèmes pour enfants seuls", d'Étienne Paulin

 

Deuxième recueil publié par Étienne Paulin aux Éditions Gallimard, dans la collection Blanche, après "Là" en 2019, "Poèmes pour enfants seuls", me semble être différent, je veux dire par là, moins elliptique que "Là".

De format inhabituel (18,5 cm X 23,5 cm), plus grand qu'à l'accoutumée, "Poèmes pour enfants seuls" ouvre de nombreuses fenêtres sur le monde, toujours précises. Comme si le grand format du livre était la traduction d'un regard d'enfant qui, quand il s'ennuie, voit de grandes choses à travers les petites (et il n'a pas tort). ce dont témoigne cet enchaînement de poèmes plus ou moins courts, mais jamais très longs.

Avec son regard d'enfant pour les enfants, Etienne Paulin, qui troque la ville contre la campagne, propose des poèmes d'amour libre, axés autour d'animaux (âne, loriot) ou d'objets familiers, plutôt issus du passé : atelier, cellier…

Tant de natures mortes que je n'ai pas trouvées si mortes que cela, car vivifiées par l'élégance de l'image.

La dernière partie de "Poèmes pour enfants seuls" se détache assez nettement du livre, car spécialement dédiée à l'aimée : "Ariel".

Extrait de "Poèmes pour enfants seuls", "Orage", d'Étienne Paulin :

"nuit par volutes
par éclairs
par les endroits qui tremblent du jardin
entre les gouttes un garnement
passe le portillon
s'enfuit par l'escalier qui n'est pas encore là"

Si vous souhaitez vous procurer "Poèmes pour enfants seuls", d'Étienne Paulin, qui est vendu au prix de 17,50 €, rendez-vous sur le site de l'éditeur : https://www.gallimard.fr/Contributeurs/Etienne-Paulin