samedi 25 octobre 2014

"Pascal Ulrich, le rêveur lucide"



Ça y est. Il est enfin sorti, ce livre : hommage rendu par Robert Roman et ses éditions du contentieux, ainsi que par certaines personnes qui l'ont connu, à Pascal Ulrich (1964-2009).
Quand je dis enfin sorti, c'est surtout par rapport à ma hâte de lecteur de poésie. Car en fait, le projet a germé il y a seulement un an et demi. Et le résultat est un livre magnifique de 360 pages, format A4, qui contient une quantité de poèmes, et aussi et peut-être surtout moult illustrations multicolores, enluminures d'enveloppes, comme Pascal savait si bien les faire. 
Dans "Pascal Ulrich, le rêveur lucide", on trouve également des témoignages, des photos et le récit détaillé de la vie de Pascal Ulrich, tous ces documents qui décrivent et illustrent l'itinéraire pas commun, mais chaotique de ce vrai poète.
Car c'est pas tous les jours que l'on rencontre quelqu'un comme lui et les poèmes et les images qui vont avec.
Le livre est vendu au prix de 35 €, ce qui n'est pas cher au regard de son contenu. Pourquoi pas une idée de cadeau ?
Pour en savoir plus sur cette publication, vous pouvez contacter romanrobert60@gmail.com
(Robert Roman, Editions du contentieux, 7 rue des Gardénias 31000 TOULOUSE).
 
Et un poème de Pascal Ulrich :
 
"Tous les mots sont doubles
enfants de la misère
sortis d'un vagin estampillé
vous le saurez tôt ou tard
avant vous passerez
par les entrailles
du rite social
et du billet de 10 000
vous irez au fond
de chaque abîme
sortirez les chiens
nagerez dans les eaux troubles
de la déraison
enfants de la misère
et du fiel ici-bas
sortez du vagin de vos mères
revolver au poing"

vendredi 17 octobre 2014

"Contours du piège", d'Etienne Paulin



Les poèmes de "Contours du piège", découpés en de nombreuses strophes, comme en de nombreux vers raccourcis, promènent, voire, dispersent leur ennui à travers une succession d'objets plus ou moins improbables ou de sons entendus dans la vaste symphonie du dehors.
D'ailleurs, il est difficile de ne pas dénicher une dose de nihilisme, même tamisé, dans ce livre, comme en témoignent rien que les titres suivants : "Rien vivre", "A tout prendre", "Infirme", "Peu", "ça et là".
Mais moi j'aime beaucoup ça, d'autant plus qu'il n'y a pas un poème où ne fleurit pas une formule pleine de force, sertie dans le silence alentour, par exemple : "Ciel de poussière et géante entourloupe", "les beaux dimanches meurent de faim", "que tu ailles te consumer seul", "le chant crée l'illusion : heureusement qu'on ment", "tout le kitsch en friche".
Bref, de la poésie qui rappelle que la réalité est plus poétique que la poésie. Lorsque l'épure n'est pas censure et que l'auteur a le goût des mots rares...
 
Ci-dessous, le premier poème de la série des "Dimanches" :
 
"engelures
charmille
défunts
lenteur
façons de hameaux gris collant à la mémoire grésillant
 
et nul cabestan
 
c'est un jour simple de timbre-poste et d'arcades
jour de soleil folâtre
de petites momies grises claquemurées dans un musée
 
c'est un jour de maigre soleil
soleil salé de fête foraine
 
jour où des aiguilleurs
jour où des remorqueurs
 
jour d'échantillonnages
jour invisible affleurant le sillage
poussières au grand parement du vent"
 
Si vous souhaitez vous procurer "Contours du piège", livre vendu au prix de 12 €, vous pouvez aller faire un site des éditions Lanskine, http://www.editions-lanskine.fr

"A l'aveugle", d'Albane Gellé & Samuel Buckman




119e recueil de collection Ficelle des éditions Rougier V, et fruit de la collaboration entre un illustrateur et une poète, les poèmes de "A l'aveugle" semblent ne pas toucher terre. Comme s'ils ne voulaient pas trop marquer le papier, pas plus que les traits de crayon sur la page d'en face. 
Car à chaque poème correspond un dessin. Et pourquoi pas plutôt : A chaque dessin correspond un poème ? (les deux options sont valables ici).
Me concentrant donc plus particulièrement sur l'écrit, je dois reconnaître qu'il est rare que je lise des poèmes faisant preuve d'un tel optimisme, contredisant presque le titre du recueil, car dans "A l'aveugle", il y a tout de même aveugle.
Eh bien ici, les protagonistes semblent avoir les yeux grand ouverts sur le monde. 
Et j'ai même l'impression, en lisant ces vers, que l'oubli, l'effacement inhérant à notre condition d'êtres humains, ne sont pas forcément des mauvaises choses. Il y a aussi de l'insouciance dans ces vers.
La vie s'y vit au présent : réflexe crucial et souvent difficile à acquérir...
 
Allez ! Un poème extrait de ce recueil pour la route :
 
"pour aller à :
mes rendez-vous, passe-murailles,
je dispose sur le sol quelques miettes,
et des arbres.
mes enveloppes tombent, fanent
avec gaieté
(poissons s'échappent travers des mailles)."
 
Pour en savoir plus sur "A l'aveugle", recueil vendu au prix de 9 €, et sur les éditions Rougier V, rendez-vous sur le site de l'éditeur : http://www.rougier-atelier.com

"Le mémo d'Amiens", de Jean-Louis Rambour




Le recueil de poèmes en vers presque mesurés de Jean-Louis Rambour, intitulé "Le mémo d'Amiens", est très attachant pour le lecteur que je suis (à noter d'ailleurs le sous-titre : "Poème-photo", sans doute en référence à "Roman-photo"). Car ces poèmes racontent des histoires, voire le moment le plus crucial de la vie des habitants de ce quartier d'Amiens, quelque part dans la barre Berlioz, depuis la fin de la dernière guerre jusqu'à aujourd'hui, et surtout dans les années 60-70.
Ces années sont celles de changements sociaux importants, d'évolutions de classes dans un sens en apparence ascendant, bien qu'il s'agisse aussi de la disparition de petits commerces plutôt sympathiques.
Dans chaque poème, le nom de la personne dont il est question figure en gras. Les acteurs de ces poèmes sont souvent issus de l'immigration, comme on dirait aujourd'hui. Ce sont des personnes dont le métier n'est pas d'être poète, bien sûr ! Pourtant, ces gens ci et non là, comme dirait l'autre, sont remplis de poésie, chacun à leur manière, de cette poésie qui couvrirait presque le passage du temps.
Les poèmes de Jean-Louis Rambour sont plutôt du genre épique, par la formulation d'une foule de noms propres, d'endroits, notamment. Il s'agit indirectement aussi de poèmes engagés (pas au sens grandiloquent et démodé du terme), en ce sens que l'auteur montre que les vies ordinaires peuvent être riches et qu'elles se déroulent ici, et pas ailleurs, pas dans la transcendance, mais dans cette communauté bigarrée qui doit bien parvenir à vivre ensemble.
 
Voici un poème extrait de "Le mémo d'Amiens" : 
 
"Ici Brigitte saigne au genou à la hanche au pubis
Aux lèvres aux ongles aux yeux Elle est une tache
De sans la chanson dit un coquelicot
Brigitte part dans les étoiles la boue du ciel
Les champs de maïs avoine les prés salés
Les tourbières d'autrefois Elle aussi chute
C'est une carriole tirée par deux chevaux
Carriole de novembre pleine de charbon
Elle glisse sur les pavés et les fers des bêtes
Glissent et rendent fragiles les jambes
Des jeunes filles des jeunes filles en beauté
Celles qui fuient les coins sombres les mains
Assassines des hommes des ados excités prêts
A pousser un corps sous des roues criardes".
 
Pour en savoir plus sur "Le mémo d'Amiens" vendu au prix de 8 €, rendez-vous sur le site des éditions Henry : http://www.editionshenry.com

mercredi 15 octobre 2014

"La mer devrait suffire", de Murièle Camac




"La mer devrait suffire" est le deuxième recueil publié par Murièle Camac, après "Vitres ouvertes" en 2012 (collection Polder de la revue Décharge).

Comme dans le premier recueil, et d'après mes souvenirs de lecture, il est souvent ici question de vacances. Mais derrière ce voyage touristique dans l'espace, il y a quelque chose de bien plus profond. 

Car l'auteur ne part pas seule en vacances. Elle emmène avec elle, ou plutôt retrouve là-bas des références culturelles, en particulier celles de la mythologie grecque (figure d'Ulysse), ainsi que des femmes pas tout à fait comme les autres (Sylvia Plath, Hatchenpsout).

Il s'agit donc également d'un voyage dans le temps, qui peut se faire en France, par exemple, au pays des cathédrales ou dans celui de l'enfance.

Parfois aussi, l'auteur reste dans le quotidien de la banlieue. 

A travers ces poèmes, au style apparemment simple et aéré par une bonne dose d'éléments (la mer, le ciel et la terre), Murielle Camac fait preuve de beaucoup de lucidité dans son rapport aux choses et aux êtres. Une lucidité ni triste, ni gaie, mais qui me semble ne pouvoir venir que d'une femme.

Par là, ses textes sont émouvants. 

En voici un, extrait de "La mer devrait suffire" :

"Hatchepsout

je serre les genoux comme on m'a appris je
croise les jambes
je ravale mes crachats je n'étale pas mes glaires
sur le sol
je m'efforce de rendre mon corps moins laid
je m'arrache les poils
je me pousse quand on me touche
je suis maigre je ne prends pas de place
j'ai une voix qui murmure je ne fais pas de bruit
je n'ai pas de nom
ce ne sera pas le mien qu'on lira sur ma tombe
je ne parle que pour m'excuser
car ma vie ne compte pas

parfois pleine d'arrogance je me proclame
pharaon
je fais bâtir des temples des palais des légendes
parfois je crois triompher

mais on finit toujours par venir effacer sur mes
colonnes
mon nom mes titres et mon visage à coups de 
marteau"

Pour en savoir plus sur ce recueil vendu au prix de 8 €, rendez-vous sur le site des éditions Henry, http://www.editionshenry.com

"La figure des choses", de Fabrice Farre




"La figure des choses" de Fabrice Farre est postérieur de quelques mois seulement au recueil du même auteur que j'ai publié au Citron Gare : "Le chasseur immobile".
J'y retrouve les mêmes caractéristiques de style et d'ambiance, et cela peut durer encore longtemps avant que je m'en lasse.
Il y a dans les poèmes de Fabrice Farre cette flânerie tranquille, le long de vers découpés par enjambements, les poèmes, dépourvus de liens apparents entre eux, étant animés d'un même souci de la pointe et du détail.
Quelques autres constantes de fond peuvent être également signalées : attention portée à quelques lieux bien précis, ainsi qu'à l'autre personne, toujours nommée par le tu.
Une écriture impeccable, qui se joue de ses quelques tournures décalées.
 
Voici un poème extrait de "La figure des choses", pour vous mettre l'eau à la bouche :
 
"Via San Salvatore
 
Tu n'as rien dit de la journée
les nuages ont eu le loisir
de passer et de revenir, d'imiter
toute forme possible voire impossible.
Dans le vide du bas
où touchent tes pieds tu n'as pas vu
qu'une fourmi grimpait
le long de ton pantalon. Pour elle
le pli du tissu devait être infranchissable.
Comme inutile
tu n'as pas bougé
le mouvement autour
était lointain. La promesse de se revoir
l'année suivante était-elle probable,
rouge, dans la trame du temps."
 
Pour en savoir plus sur ce livre, vendu au prix de 8 €, rendez-vous sur le site des éditions Henry : http://www.editionshenry.com

"Pistes noires", de Jean-Baptiste Pédini




Avec ce court recueil intitulé "Pistes noires", Jean-Baptiste Pédini retrouve sa forme d'écriture privilégiée, celle du poème en prose.

Ici l'auteur décrit des paysages et une ambiance d'hiver. Ici, les choses, dans leur sobriété mate, font bloc contre les individus, désignés par le "on", et ne leur permettent pas de se singulariser dans cet horizon, les gens semblant congelés par la température et surtout par la pesanteur des choses. 

Il n'y a pas pour autant dans "Pistes noires" de remords ni de regrets, mais le constat objectif d'une difficulté d'exister.

Jean-Baptiste Pédini, comme peu d'auteurs, a, de mon point de vue, le sens de la formule qui emballe le poème.

Voici un poème pour exemple, qui résume bien le contenu du recueil :

"La neige a fini par fondre. Il n'en reste qu'un amas dense. Les chats s'y font les griffes. On les regarde s'acharner sur les monticules noirs qui ont poussé un peu partout. Quelques éclats sautent dans les airs et vont se planter dans la nuit. Aucun de nous ne les retrouvera. Même l'aube a ses limites".

Pour en savoir plus sur "Pistes noires", qui est vendu au prix de 8 €, rendez-vous sur le site des éditions Henry : http://www.editionshenry.com

lundi 13 octobre 2014

"Si je reviens sans cesse", de Thierry Radière




"Si je reviens sans cesse" est un recueil d'introspection écrit à la première personne du singulier avec deux sources d'inspiration principales : l'environnement surtout et parfois le passé, même proche.
Classique me direz-vous, pour de la poésie lyrique. Sauf que Thierry Radière semble être toujours à la recherche de son sujet et qu'il en fait son sujet de poésie.
Cette fuite du sujet transparaît à travers le style si caractéristique de l'auteur, fait d'enjambements presque continus. Ainsi, lire un poème - car c'est bien de poèmes, composés de vers, qu'il s'agit -  de Thierry Radière, c'est comme être emporté dans une ronde qui balaye toutes les images et nous rend impatients de connaître la suite, même s'il y en a pas. Surtout s'il n'y en a pas.
Voici un poème extrait de "Si je reviens sans cesse" :
"en s'arrêtant un peu tout continue
autour des cernes épais
que j'adore fixer ils me rentrent
dedans et se reposent sous mes yeux
si bien que mes valises dégringolent
et avec elles le sable depuis des horizons
entiers des lignes droites aux deux
bouts du paysage dont je cherche la
langue à l'infini jamais tranquille
chantant depuis des lustres des airs
sans instruments perdus des mots
des soirs et des bleus aux balcons
je me rapproche parce qu'il faut bien
un refrain une chanson jour après
jour plus libre et loin des paillettes"
 
Si vous souhaitez en savoir davantage sur ce recueil vendu au prix de 12 €, vous pouvez aller sur le site de l'éditeur : http://www.jacquesflament-editions.com

mardi 7 octobre 2014

"Débarras", d'Hervé Federspiel




Ce gros livre de poésie (281 pages) d'Hervé Federspiel se partage entre un très grand nombre de poèmes, en très courts : de deux à quatre vers, sauf exceptions. Ces poèmes sont eux-mêmes répartis entre 4 chapitres intitulés "Dernier voyage", "-14", "Gisants, "Débarras".
Ainsi, et sans exagération, je peux affirmer que dans les trois quarts des cas (soit durant les trois derniers chapitres), "Débarras" ne parle que de sexe.
"Dernier voyage" évoque, quant à lui, les rencontres (pas toujours intéressantes) effectuées dans les transports parisiens et de banlieue parisienne.
Plus particulièrement, sauf erreur de ma part, "-14" parlerait plutôt de la sexualité des ados, tandis que "Gisants" et "Débarras" montre, à part la sexualité des adultes, si l'on peut dire, les problèmes de couples, avec pas mal de gueules de bois.
Mais toute cette description thématique n'a pas tellement d'importance, car, confirmant ce qu'en dit l'auteur, Hervé Federspiel, "Débarras" peut être lu dans le désordre et au hasard des pages.
Ce livre est très urbain, plutôt sophistiqué dans son approche de la vie, et moi, ça me plait plutôt pas mal, car autant fantasmer sur le milieu dans lequel 75% des personnes en France vivent !
J'aime beaucoup également la concentration des poèmes, leur densité, leur côté très "pilote automatique". Et en même temps le fait qu'ils ne renoncent pas à ampiler des assonances, voire des rimes, comme dans la poésie classique.
Comme une remise à jour de ce domaine poétique - qui a dit que d'écrire des vers rimés était difficile ? Suffit d'avoir l'oreille musicale ! - provocatrice pour certains mais pas pour moi !
 
Au hasard :
 
"j'ai très mal aux omoplates 
des séquelles comme aux blattes
de stationner sur une banquette
dans une posture de blanquette".
 
ou bien :
"il a voulu en croquer
mais a eu le hoquet
les rêves de grandeur
ont la vie brève du glandeur".
 
Ou encore :
"mes yeux sont si petits
on dirait des trous de souris
et mon sourire est parti
avec les dents pourries"
 
Et enfin, une petite dernière pour la route : 
"la Vénus à figue sèche
à l'anus inaccessible
elle est venue d'Ardèche
a pu choisir ses cibles".
 
Bref, un livre brut de décoffrage à découvrir sur le site de l'auteur http://www.hervefederspiel.com/ (prix de vente : 19 €)