lundi 24 septembre 2018

"Vertige", de Jos Garnier


Publié par les Éditions Tarmac, "Vertige" est le premier livre édité de Jos Garnier.

Pour moi, cette première édition est pleinement justifiée, même si j'en fais une lecture plutôt distanciée. 

Je m'explique.

Au lieu d'y voir un seul poème, comme l'analyse Jean-Christophe Belleveaux dans sa préface, j'y vois un ensemble de poèmes dont chacun forme un tout.

Et je recommanderais volontiers de lire ce livre en plusieurs fois plutôt que d'une seule traite. Pour le dire avec humour, quand je constate autant de souffrances dans chaque poème, je me dis : ça doit être atroce de se retrouver avec le corps découpé en morceaux (ou presque) à chaque page. Comment la protagoniste de ce livre peut-elle renaître 56 fois (nombre de textes) ?

Il faut reconnaître, d'ailleurs, que souvent, ce corps tombe en syncope, qu'il connait des défaillances, avant de repartir. D'où peut-être ce vertige ressenti.

Ceci dit, et derrière ce constat humoristique du parfait lecteur terre à terre, je suis saisi par l'indéniable force de chacun de ces textes et par le rythme assuré, aussi, qui s'en dégage.

Jos Garnier étant comédienne, ça se sent qu'elle doit mettre ses mots en bouche, et puis qu'elle les triture et les malaxe, qu'ils ne sont pas uniquement posés sur la page, mais qu'ils doivent se forer un passage à travers l'espace.

Non, décidément, ça ne plaisante pas chez Jos Garnier.

Tantôt vers libres, tantôt blocs de proses, j'observe enfin que les textes numérotés en haut de pages ne se suivent pas. Hasard ou pas ? Pour le lecteur, cela ne me semble pas avoir d'importance, en tout cas.

J'ajoute que l'image de couverture est d'Antho Valade.

Extrait de "Vertige", de Jos Garnier :

"retour dans le grand bazar dilaté pupilles extérieur intérieur paupière lourde jus de grenade dégoupille ouste pas le temps de passer à autre chose pour le cœur écume tu reviendras à la sainte trinité stylo équarrisseur objectif on pèle les mots sans retenue au motif monumental et effrayant langue écartée prête à vomir tout vert c'est ouvert prendre le droit pour le faux ajuster sa petite culotte pour démarrer en côte longue pente descente antennes surexposées aux arnaques stop destop je coule en tourbillons jaune caca dégueulis pas beau tout ça nettoyez moi rendez moi peau neuve et blanche comme colombe comme celle que l'on tire à la foire aux astres pratique pour faire place nette compteur à gogo retour case vide petite laine pour bourrasque imprévue et anéantissement d'un bloc c'est du vent"

Pour en savoir plus sur "Vertige", de Jos Garnier, qui est venu au prix de 14 €, rendez-vous sur le site de l'éditeur : http://www.tarmaceditions.com/

"Erratiques", d'Angèle Casanova


Publié par les Éditions "Pourquoi viens-tu si tard ?" (joli nom pour des éditions), "Erratiques", poèmes d'Angèle Casanova, accompagnent et/ou sont accompagnés par des photographies en couleurs de Philippe Martin. Je précise également que ce texte est traduit en langue espagnole par Miguel Angel Real.

"Erratiques" décrit, si je puis dire, "pas à pas", les étapes d'une danse. Et contrairement à ce qui se passe d'habitude dans les livres de poésie, il y a là autant d'images que de poèmes. L'image n'est donc pas le faire-valoir des poèmes. Il y a une stricte égalité entre les trois protagonistes de ce livre.

Et ici, la danse décrite est plus classique que folklorique (au sens de notre bourrée terrienne). Plus folklorique que rock and roll. aussi. On dirait du flamenco, à voir les tenues des danseurs et la traduction (!).

Je ne pense pas à quelque chose d'erratique, quand je lis ce poème et que je regarde les images des danseurs (beaucoup de flous dus à la vitesse). Le texte montre, à mes yeux, les flux et reflux naturels des mouvements du couple de danseurs. Car même les temps d'arrêt font partie de la danse.

Extrait d'"Erratiques", d'Angèle Casanova :

"alors la poitrine respire sous le masque noir
et les bras tendus vers la danse
font face à un ennemi invisible"

"avant de se découpler en une gestuelle saccadée
dessinant des solides vibrants
erratiques aliens
faits de
lumière."

"Erratiques", d'Angèle Casanova, est accompagné d'une préface de Marilyne Bertoncini.

Si vous souhaitez en savoir plus sur ce livre, qui est vendu au prix de 10 €,  rendez-vous sur le site de l'éditeur : http://www.association-lac.com

mercredi 19 septembre 2018

"Ivar Ch'Vavar", par Charles-Mézence Briseul



Publié par les Éditions des Vanneaux, dans sa collection "Présence de la poésie", "Ivar Ch'Vavar" est le livre idéal pour découvrir l'oeuvre de ce poète contemporain important, d'abord auto-édité, et que les Éditions Flammarion (entre autres) ont fini par publier.

Comme quoi, il n'y a pas de recette toute faite pour la reconnaissance, même si je ne perds pas de vue que je parle de poésie, domaine peu médiatisé.

Ce livre est aussi l'histoire d'une aventure collective, continuée durant pas mal d'années, à travers la publication de revues ("L'invention de la Picardie", "Le Journal Ouvrier", dont Ivar Ch'Vavar fut l’initiateur, et qui a publié, par exemple, Lucien Suel, Christophe Tarkos et Christophe Manon).

De ce point de vue et pour mesurer l'influence d'Ivar Ch'Vavar sur de jeunes poètes, la présentation de Charles-Mézence Briseul est éclairante.

Ce livre est enfin le résumé d'expérimentations poétiques, motivées par cette question centrale : comment réinventer le vers, le vrai ? D’où la pratique, en réponse, du vers justifié (comme la mise en forme des paragraphes dans les traitements de textes) ou arithtmonyme (même nombre de mots pour chaque vers d'un même poème).

Outre de très nombreux extraits de ses poèmes (choisis pas Charles-Mézence Briseul), "Ivar Ch'Vavar" comprend une notice bio-bibliographique détaillée, et plusieurs articles critiques (ou fragments de lettres).

Extrait de ce livre  et de "Berck (un poème)" :

"J'ai essayé toutes les pêches
Jeté la corde et le filet.
Je n'ai pas tiré, camarades,
Le dernier poisson de la mer.

Berck est un monde misérale
Mais on n'en touche pas le fond.
La sonde a déroulé son câble
Sans trouver où porter son plomb.

Berck est la manne inépuisable
De notre riche pauvreté.
Elle a coulé comme le sable
Entre mes dix doigts écartés."

Si vous souhaitez en savoir plus sur "Ivar Ch'Vavar", qui est vendu au prix de 16 €, rendez-vous sur le site des Éditions les Vanneaux : http://lesvanneauxedition.wixsite.com/les-vanneaux-ed/accueil

"Journal d'un mégalo", de Jean Jacques Nuel


Publié par les Éditions Cactus Inébralable, dans la collection "Les p'tits cactus", "Journal d'un mégalo", de Jean-Jacques Nuel, est une suite d'aphorismes, divisée en cinq parties, qui couvrent à peu près la vie de celui qui parle, c'est à dire de la naissance à la mort, voire post-mortem.

Car celui qui parle, c'est le mégalo. Il est tellement fort qu'il peut parler de lui-même, même une fois mort.

En effet, rien qu'au titre, on l'aura compris, ce journal est tout entier dédié à la célébration du moi. Et cette célébration est parfaitement réussie, tant du point du style, que de ce qui est écrit.

Malgré tout, si toutes ces phrases peuvent faire rire et font rire, ce n'est pas sans arrière-pensées. D'ailleurs, ce "Journal d'un mégalo" pourrait s'intituler "Journal d'un écrivain". Comme pour le confirmer, dans la vie, le mégalo est aussi un écrivain. Je n'ai pas dit, par contre, que cet écrivain était Jean-Jacques Nuel !

Il n'empêche que ces pensées d'un mégalo se rapprochent de ce que pensent d'eux-mêmes certains écrivains, j'en suis certain. Seulement voilà, en général, cela ne s'écrit pas, tandis que là, oui.

Et le lecteur se sent démuni, car le mégalo a tout prévu pour sa défense. Le plus intrigant, toutefois, de mon point de vue, est de trouver au milieu de ces aphorismes, une phrase qui ne relève pas de la célébration de l’ego, comme par exemple :

"On meurt tous d'être nés trop tôt."

"On naît sans expérience de la vie, on meurt sans expérience de la mort."

"La source amère, c'est la mère."

"Les seules personnes qui pourraient désirer l'anonymat sont les criminels en cavale."

Étaient-elles prévues au programme par le mégalo, ces pensées ? J'hésite à trancher.

En tout cas, voilà ce qu'un mégalo peut écrire :

"Si j'avais eu un frère jumeau, je l'aurais gardé précieusement pour les pièces de rechange."

"Mes précepteurs ont tenté vainement de m'inculquer leur médiocrité."

"Si mes chaussures pouvaient parler, elles me diraient merci quand je leur pisse dessus."

"Mon lit ne peut accueillir toute la misère sexuelle du monde."

"Je veux être enterré avec les miens, pour relever un peu le niveau du caveau."

L'image de couverture est de Jean-Claude Salemi, la mise en page de Styvie Bourgeois.

Si vous souhaitez en savoir plus sur "Journal d'un mégalo", de Jean-Jacques Nuel, qui est vendu au prix de 9 €, rendez-vous sur le site des éditions : http://cactusinebranlableeditions.e-monsite.com/

lundi 3 septembre 2018

"Puis tu googlas le sens du vent pour savoir d'où il venait", d'Emanuel Campo

Quand j'ai commencé à lire "Puis tu googlas le sens du vent pour savoir d'où il venait", deuxième recueil d'Emanuel Campo, publié par les Éditions Gros Textes, je me suis d'abord demandé si je lisais une suite de phrases sans rapport les unes avec les autres, ou bien, un récit en pièces détachées.

Ah ! Toujours cette envie de classification, alors que c'est le texte qui devrait seul compter.

Confirmation faite au fil des pages, et dans la postface de Grégoire Damon, c'est bien de fragments qu'il s'agit ici. Sauf que deux ou trois fois, les fragments s'étirent sur plus d'une page.

Il y a des pépites là-dedans, aucun doute là-dessus. Souvent, des jeux de mots, avec dans une expression déjà connue par ailleurs, un changement de mot qui change la saveur des mots. Par exemple, dans "une personne à mobylette réduite".

De manière générale, j'ai beaucoup aimé ce regard affiné jeté sur notre monde actuel. C'est bien de lui qu'il s'agit, ici. Car pas facile, hein, d'en parler, tellement la vie des villes l'a rendu divers et sans conséquences. Quelque chose de très nul, en tout cas, quelque chose dont on voudrait toujours avoir la clé, alors qu'elle n'existe pas. Ou bien, avec sa clé, on ouvre une seule petite porte, bien insignifiante. Déjà mieux que rien, me direz-vous.

Et puis d'abord, pas la peine d'en mettre des tartines sur un monde qui s'oublie vite.

C'est ce que montre Emanuel Campo, dans "Puis tu googlas le sens du vent pours avoir d'où il venait" (un de ses fragments qui donne le titre au recueil, ça c'est du titre !).

Extraits :

"Au commencement était le vieux."

"Passée une certaine heure, les laveries automatiques deviennent tout le contraire."

"Quand elle m'a dit vouloir faire un break
j'ai d'abord cru
qu'elle se mettait à la danse hip-hop."

"J'ai des troubles du soleil".

L'illustration de couverture est de Mathilde Campo. En voici le lien  http://www.ecampo.phpnet.org/wordpress/wp-content/uploads/2018/07/couvcadre_puistugooglaslesensduvent.jpg

Si vous souhaitez en savoir plus sur "Puis tu googlas le sens du vent pour savoir d'où il venait", d'Emanuel Campo, qui est vendu au prix de 6 €, rendez-vous sur le site de l'éditeur: https://sites.google.com/site/grostextes/