dimanche 8 juin 2025

"Une odeur de fiction", de Murièle Camac

 

Sixième recueil de Murièle Camac et deuxième publié par les Éditions Exopotamie, "Une odeur de fiction", malgré son titre (qui pourrait le laisser penser), ne fait pas allusion à un quelconque roman ou récit continu.

Ce livre étonne plutôt par ces constants changements de décors (on passe du cinéma américain à l'opéra, et on connaît même un séjour à l'hôpital, déjà moins drôle) et autres voyages, comme si l'autrice ne voulait pas se fixer trop longtemps au même endroit. Marque de pudeur ? Comme un air de ne pas y toucher, tout en y touchant déjà pas mal. Marque d'humour, à retrouver avec ce style si caractéristique, chez Murièle Camac, qui use de poèmes aux vers souvent courts, mais surtout aux arêtes coupantes, rythmés courts également, avec ces raccourcis qui pincent le cœur, et la dérision en supplément.
Un vrai bonheur de lecture, en tout cas. Sans prises de têtes et avec finesse.

Deux extraits de "Une odeur de fiction", de Murièle Camac. Tout d'abord, le deuxième poème de la série "Hollywoode" :

"C'est plus difficile qu'il n'y paraît
d'éliminer complètement John Wayne
son cadavre va puer de loin

Ça perturbe le scénario
et le décor - genre Mauvais Pays
sans acteur principal

On risque de se retrouver avec quoi
une absence de paysage
un rideau sans tissu synthétique

Rien à voir.

Ou alors des bouts de maison
collés à un vieux mur
comme des chewing-gums sous une table
des trucs qu'on n'aurait pas dû voir
des preuves de culpabilité

Il faudra tout réécrire.

- Évidemment que ce n'est pas si facile
sinon il n'y aurait pas de film

Et j'aurais pu être cow-boy moi aussi
mais je n'avais pas de vaches"

Et "Trottoir" :

"Je me tiens sur le bord, comme si j'allais faire signe.
Faire sens.

Mais je n'ai plus d'argent pour un taxi.
J'ai un gros sac un peu sale.

Torpeur, décalage horaire.
Je me tiens dans le brouillard.

Je cherche les transports.
Il faudra déballer tous les paquets, sortir tous les
    souvenirs.
Une station de métro, si possible.
raconter ce qu'on a mangé, où on a marché.
Ne pas se tromper de direction.
Ou un arrêt d'autobus.

L'idée c'est de rentrer chez moi, oui.
Avec des bagages.
En payant pas trop cher."

Si vous souhaitez vous procurer "Une odeur de fiction", de Murièle Camac, qui est vendu au prix de 17 €, rendez-vous sur le site de l'éditeur : https://exopotamie.com/products/une-odeur-de-fiction

"Poèmes dévalés" suivi de "Ivre de cabanes", de Pierre Gondran dit Remoux

 

Publié par PhB éditions, "Poèmes dévalés", suivi de "Ivre de cabanes", de Pierre Gondran dit Remoux, est un livre composé de deux grandes parties, assez dissemblables.

Les "Poèmes dévalés" sont des textes en prose justifiée qui évoquent surtout la ville (hormis la partie centrale, intitulée "Expansion de la louve"), tandis que "Ivre de cabanes", est constitué de poèmes en vers libres qui évoquent la campagne.

Ici, forme et fond sont au service l'un de l'autre. La forme de la prose justifiée des "Poèmes dévalés", les nombreuses répétitions, cassures, communiquent l'impression de mal respirer. Au contraire, dans "Ivre de cabanes", le lecteur retrouve son souffle. Les mots laissent place à des trouées végétales. C'est parce qu'il y a moins d'humains qu'à la ville, ces fauteurs de troubles bien connus !

Derrière cette apparente opposition, existent également des passerelles entre ces deux manières d'écrire : densité, précision. La nature semble peuplée par la ville. Ses frémissements, halètements sont ceux d'un monde que l'on perd l'habitude d'entendre. En même temps, la sauvagerie de la nature semble se communiquer à la ville. Quand les humains redeviennent des animaux, ce n'est pas beau à voir.

Un extrait de "Poèmes dévalés", de Pierre Gondran dit Remoux (ci-dessous, en image, pour ne pas abîmer la disposition justifiée) :


Et un autre, extrait de "Ivre de cabanes", de Pierre Gondran dit Remoux :

"Selon les principes du bonheur maximal,
C'est à l'âge où un enfant s'intéresse aux hannetons
Que tu avais vécu
La "grande armée des hannetons".

Une odeur douceâtre de viande oubliée
Avait envahi la campagne.
Les torchons volaient dans les cuisines.
Des seaux de lait étaient perdus. Les vieux criaient

À la calamité centennale.
Une masse tomenteuse et grouillante s'abattait
Chaque soir sur les vergers où les gamins
Hannetonnaient en silence - nos hourras

Du premier jour l'avaient cédé à l'effarement."


"Jaillir dans la clairière
Se figer, menton à l'épaule,
Disparaître

Être chevreuil, un instant"

Si vous souhaitez vous procurer "Poèmes dévalés", suivi de "Ivre de cabanes", de Pierre Gondran dit Remoux, qui est vendu au prix de 12 €, rendez-vous sur le site de l'éditeur : https://www.phbeditions.fr/Accueil.html

"Les mille et une maisons de Maman", de Didier Trumeau

 

Publié par les Éditions Enitram Treab, "Les mille et une maisons de Maman", de Didier Trumeau est un livre de proses poétiques constituée de deux parties. La première est celle qui donne son titre à l'ensemble. La seconde s'intitule "MgM", qui peut signifier "Maison de grand-mère" ou "Ma grand-mère".

Ces deux ensembles se complétant, comme leurs titres l'indiquent, ne sont pas de même nature.
Dans "MgM", Didier Trumeau évoque avec précision Saint Laurent, un village du Cher, où vivait sa grand-mère, et surtout la maison dans laquelle elle habitait. C'était quelque chose, les maisons, en ces temps-là, ce n'était pas des endroits que l'on quittait facilement, pour un oui ou pour un non ! 
Dans "Les mille et une maison de Maman", Didier Trumeau semble imaginer toutes les demeures pouvant accueillir sa mère. Il y en a beaucoup de bancales, parfois de roulantes - il faut le reconnaître - mais toutes sont empreintes de vie. D'ailleurs, beaucoup de place est nécessaire pour héberger l'auteur et ses frères et sœurs...
Ce qui ressort avant tout de ces habitats, malgré leur imperfection, c'est leur valeur de protection.
Le lecteur, en lisant "Les mille et une maisons de Maman", ne peut s'empêcher de se dire que la maison idéale doit ressembler au ventre de sa mère...

Le point commun de l'ensemble de ces textes est la sincérité touchante qui s'en dégage (une qualité rare en poésie, et plutôt abhorrée : pas assez de formalisme pour les ci-devant), mais également leur précision (par exemple, dans l'évocation de la vie animale et végétale gorgeant la rivière "Le Barangeon") et surtout l'imagination dont fait preuve l'auteur pour décrire ces lieux de vie.
À noter enfin, quelques belles formules, par exemple : "Une maison doit être comme un ventre de mère, chaud, sûr, tranquille, harmonieux, confortable, paisible, spacieux - mais pas trop, attention à la promiscuité, à l'évacuation forcée et parée pour une longue traversée, un long périple pour l'éternité…", ou "Construire sa maison c'est la solution. La maison des autres ne convient jamais".

Extrait de "Les mille et une maisons de Maman", de Didier Trumeau :

"Maman aimait beaucoup changer l'aménagement de la maison. L'argentier qui passait à l'ouest, le buffet au sud, la télé au nord, et le canapé à l'est. Ce n'était pas tant la disposition des meubles qui posait problème que le côté installation. La table les pieds en l'air posé sur les chaises, le frigo allongé, avec l'ensemble hi-fi le haut en bas, que les chaises les unes sur les autres évoquant une pyramide au destin instable, que les photos et les tableaux au plafond. Tout était sens dessus dessous, et la notion d'espace de hauteur et de longueur ne s'associait pas avec la largeur. Nous aurions pu marcher sur la tête…"

Précisions de l'auteur : "La maison de la première de couverture est celle de mes grands-parents après qu'elle ait été transformée en salle municipale."
De plus, quelques pages sont laissées à la fin du livre afin que celles et ceux qui le désirent puissent décrire leur maison de Maman.

Si vous souhaitez vous procurer "Les mille et une maisons de Maman", de Didier Trumeau, qui est vendu au prix de 15 € (+ le port : 4 timbres), contact : enitram.treab@orange.fr

jeudi 5 juin 2025

"La fenêtre est restée ouverte", d'Élise Feltgen

 

Publiée dans la collection Polder de Décharge, "La fenêtre est restée ouverte", d'Élise Feltgen est une suite de poèmes en vers libres, plus rarement proses.

Avec ce recueil, j'ai vraiment l'impression d'être revenu aux fondamentaux de la poésie, à savoir qu'elle décrit des sensations surgissant à brûle pourpoint.

De ce point de vue, le titre - "La fenêtre est restée ouverte" - me paraît très révélateur de ces échappées du quotidien : "La fenêtre est restée ouverte", pour accueillir la poésie, pourrait-on ajouter.

Le corps qui écrit réagit à la vue, à ce qu'il entend ou ressent avec ses membres (le vent, la chaleur…).

Il y a plusieurs temps dans ce texte : à ces sensations plus élémentaires, répondent des poèmes montrant que la révolte n'est pas absente de ces pages. D'ailleurs, cette dernière est davantage suscitée par les provocations des médias que par la réalité des choses.
La fin du recueil est consacrée au processus d'écriture d'un poème, toujours unique.
Oui, à travers ces textes, et grâce à leur lyrisme, ces poèmes se montrent plus vivants que ceux qu'il m'arrive de lire la plupart du temps. Ils dépassent sans peine le stade du discours et des meilleurs vœux en vers !...

Extrait de "La fenêtre est restée ouverte", "Prière pour les ronces", d'Élise Feltgen :

"Nos maisons sont des maisons de brume
nous les habitons si peu
et nos mots errent dans l'espace
les mains que nous rencontrons
    s'évanouissent
les yeux hésitent
c'est à peine si nous pouvons toucher
notre propre corps
les fils électriques puisent autour une
    beauté intense
tandis que grandit l'immense gouffre
de nos mélancolies
la nuit mesure l'inconsistance du monde
et comme les samares de l'érable
    tourbillonnent au vents
nos âmes s'évident et se fractionnent
l'épine du chardon peut-être
enroulera à l'envers
le fuseau de l'enchantement"

La préface, intitulée "medication time", est d'Aldo Qureshi.
La première de couverture est de Denys Moreau.

Si vous souhaitez vous procurer "La fenêtre est restée ouverte", d'Élise Feltgen, qui est vendu au prix de 7 € (+ 2 € de frais de port), rendez-vous sur le site de l'éditeur : https://www.dechargelarevue.com/Polder-205.html

lundi 26 mai 2025

"L'odeur du graillon", de Rémi Letourneur

 

Publié par Cheyne Éditeur, dans sa "Collection Grise", "L'odeur du graillon" est le premier livre de Rémi Letourneur.
Ce recueil de poèmes en vers libres se divise en sept parties, parcours d'une semaine complète.
À part que là, le narrateur ne se repose pas le septième jour. Il repart plutôt à l'aventure, à la recherche de quelque graille.

"L'odeur du graillon", trait d'union de toutes ces journées, ponctue chaque séquence du livre.
Le narrateur, après avoir plaqué ses parents retournés en enfance (point de départ de la révolte en cette première journée), part en errance, à la rencontre de la "vraie vie".
En vérité, il ne bouge pas tant que ça, passe sa journée à traîner dehors. Oui, mais il y rencontre une communauté qui semble solidaire, la communauté de celles et ceux qui se révoltent contre l'ordre et retrouvent la matérialité - devenue sauvage à cause de tant de confort ordinaire - des choses.

"L'odeur du graillon" est pour moi un texte limpide, qui doit se lire vite, au rythme de ses vers souvent coupés courts, comme quand on agit, texte à la fois narratif et rempli d'images nettes, qui donnent du souffle à l'ensemble. 

Bref, un très bon recueil de poèmes, sans que l'on ait à s'occuper qu'il soit le premier ou pas de son auteur, en fin de compte !

La préface de "L'odeur du graillon" de Rémi Letourneur est de Bruno Berchoud.

Extrait (le début de la cinquième partie) :

"limpide j'étais
sans béquille dos bien droit les cheveux sur le nez
avalé plein de bornes
je jure
mes semelles aussi ont besoin de graille
j'ai ratisssé
aux déserts de la ville
les rues qui ne portent pas de façade
cramponné mes doigts sur des rampes de poussière
nagé dans l'air des zones industrielles
où rien ne se touche avec la peau
où tout flotte
dans les marais d'aluminium

avalé tonnes de bornes j'ai fait
remonté en rappel
le fil jaune des routes départementales
piétiné les quartiers
qui se couchent de jour
et tirent leurs stores à la bougie du soir
fait aussi
pénétré la matière et son silence de pschit
tout ça j'ai fait
j'aimais
le mouvement de mes bras contre les rebords effacés
        du monde

limpide j'étais
je tenais ma solitude par la taille

personne pour m'empêcher de chier par terre
de glisser
dans le flux des jouissances qui s'allongent
        comme un blanc d'œuf
personne
pour me cacher les ciels
les bouts de toits
et les paupières du soir cobalt
aguicheur
rien que pour moi
je me racontais des voyages qui n'arriveraient pas
tapais d'énormes branlettes
sur les seins en terre rouge
du terrain vague (...)"

Si vous souhaitez vous procurer "L'odeur du graillon", de Rémi letourneur, qui est vendu au prix de 18 €, rendez-vous sur le site de l'éditeur : https://www.cheyne-editeur.com/livre/productidn/3073395/lodeur-du-graillonrmi-letourneur

mercredi 21 mai 2025

"Murs / Fragments de chantier", de Charlotte Minaud

 

Publié par "Décharge / Gros Textes", dans sa collection Polder, "Murs / Fragments de chantier", de Charlotte Minaud, m'a fait plaisir à découvrir.

Il y a longtemps que je n'avais pas lu de livre consacré totalement au travail manuel. Rien qu'au travail, c'est déjà rare ! Mais au travail manuel, c'est carrément un exploit.

Mes ascendants étaient des travailleurs manuels. Alors, même si aujourd'hui, je bosse au bureau, je n'oublie pas mes origines. Et les chantiers, ça me rappelle beaucoup de souvenirs. Donc, je peux confirmer qu'il y a là du vécu. La dureté du travail, le caractère répétitif de certaines tâches (rendu à travers le geste de "poncer"), son anonymat face à l'indifférence qu'il suscite alentour, tout y est.

Il faut dire que l'ambiance des chantiers semble être moins à la bonne franquette qu'autrefois. Le recours à l'intérim et à la sous-traitance diminue la solidarité entre les travailleurs, qui perdent leurs collègues une fois le chantier fini avant d'en trouver d'autres etc.

Le style de ces proses traduit bien cette ambiance. Le lecteur y trouve des phrases courtes, hachées, avec un recours très fréquent à la forme infinitive et au pronom indéfini "on".

Malgré tout, une fois ce recueil refermé, bien que le côté négatif des chantiers soit surtout montré, je ne parviens pas à trouver l'ensemble déprimant. Sans doute parce qu'il se situe d'emblée dans l'action.

Extrait de "Murs / Fragments de chantier", de Charlotte Minaud :

"Murmurer aux murs sa peine sa douleur. Sans cesse. Ses mots de trop. Retrouvez chacun d'eux, vous saurez. La peine, la douleur. Physique. Mentale. Il en faut du courage pour enfiler les blancs. Sales et informes. Il en faut du courage. On en manque pas. Non. On en manque pas. Et dans tous les murs des peines et des douleurs. Imprimés. Marqués. Tendez. Tendez oreilles. Ouvrez cœur à la peine. Et vous saurez."

La préface de "Murs / Fragments de chantier" est de Virginie Gautier. La couverture est l'œuvre de l'"Atelier des échelles", dont fait partie l'autrice.

Si vous souhaitez vous procurer "Murs / Fragments de chantier", de Charlotte Minaud, qui est vendu au prix de 7 € (+ 2 € de frais de port), rendez-vous sur le site de l'éditeur : https://www.dechargelarevue.com/Polder-206.html

vendredi 16 mai 2025

"Seuls les œufs durs résisteront", de Thibault Marthouret

 

Sixième livre de poésie publié par Thibault Marthouret, cette fois-ci par Backland éditions, "Seuls les œufs durs résisteront" déconcerte de prime abord par son titre, formule sans appel et qui pourrait sonner comme la seule certitude d'une vie, à vrai dire, assez… inattendue !

Puis, à la lecture de "Seuls les œufs durs résisteront", je reste bluffé par la richesse de son contenu, champ lexical étendu, vocabulaire plus ou moins soutenu au cours d'un même poème, bribes de conversation, changements d'angles de vue permanents. Chaque poème de ce livre tient debout avec cet attelage pourtant impressionnant, voire improbable, ce qui inclut les changements de direction rapides, les raccourcis qui visent en plein cœur ("Vivre revient souvent à trouver une solution / pour finir par s'apercevoir qu'elle est inadéquate / ou abominable"), bref l'imprévu et donc la poésie qui en découle.

Alors, qu'en est-il des œufs au milieu de tout cela ? Pour moi, je l'interprète comme une image du plus petit lieu indivisible de vie possible. Plus resserré encore que cette île où l'auteur situe ici le lieu d'une résidence d'écriture.

À l'intérieur de ce monde dont Thibault Marthouret montre l'éclatement extrême, il n'est pas facile de s'y retrouver. Le poète, dans son intimité, s'y sent quelque peu déboussolé. Mais moi, en tant que lecteur, j'aime m'y perdre.

Il y aurait même de la solitude dans l'air que la multiplicité de genres et d'interlocuteurs (ils, elles, toi surtout), questionnés à travers d'incessantes tentatives de dialogues, tendrait à accroître.

Le résultat de ces explorations pourrait être désespérant : à quel sein se vouer donc ? Mais non, à aucun moment, les poèmes de "Seuls les œufs durs résisteront" ne sombrent dans cette déprime. Ils gardent davantage d'objectivité, s'amusant même de ces problèmes de communication dans le couple ou au-delà.

L'impression de ne pas être toujours à sa place n'est pas si déstabilisante. Car elle relève du quotidien dans lequel nous sommes tous embarqués. Seul un poète peut reconnaître la distance qui le sépare d'une réalité trop brute et l'accepter (cet aveu d'impuissance dérangerait des personnes plus terre à terre).

Extrait de "Seuls les œufs durs résisteront", "C'est ton signet" de Thibault Marthouret : 

"Tu me lis.
Je sens tes cils entre mes lignes.

Mes pensées nocturnes étaient les tiennes.
Tes rêves se dissimulaient dans les miens
pour passer la douane de l'aube.

Quand je m'endors, t'endors-tu encore ?
Glisses-tu ton pouls dans mon pouls ?
Ton arme blanche dans l'obscurité de mon sommeil ?

Dors-tu quand je dors ou bien quoi alors ?
Tu gaines mes nerfs et te retires.
Tu dénudes mes fils, avales mes décharges

nous oblitères

dans le silence électrique où tu palpites
pulsatile dans mon palpitant je te sens
tu me lis je te sens

j'efface deux emails deux messages indésirables
ouvre un melon dans ma tête
pâle orange en plein décembre pour t'échapper

melon mental hivernal
tranché - une demi-lune t'éclipse

mais comment m'endormir
quand j'ignore à quoi tu occupes nos nuits ?
Lesquels de tes rêves mauvais vas-tu me léguer en plein jour ?

Tu me lis et je sens ton souffle
sur le grain de ma vie
sur la peau rougie de mon île en hiver.

Tu me lis et me réveilles
referme l'ouvrage d'un coup sec.

Sur mon visage ton épaisseur de plâtre.
Sous mon visage de plâtre ton épaisseur
ta nuit gonflée de vaisseaux sanguins

ton t-shirt militaire sous mon melon d'hiver
kaki sous le pâle orange
ton marque-page dans ma nuit blanche

je sens tes cils entre mes lignes
ton signet - ma colonne
la même lune dans le caniveau de nos veines."

Si vous souhaitez vous procurer "Seuls les œufs durs résisteront", de Thibault Marthouret, qui est vendu au prix de 17 €, rendez-vous sur le site de l'éditeur : https://www.backlandeditions.fr/produit/seuls-les-oeufs-durs-resisteront-de-thibault-marthouret/