dimanche 28 juillet 2019

"Et bien sûr j'ai pas de parapluie", de Salvatore Sanfilippo


Dans "Et bien sûr j'ai pas de parapluie", de Salvatore Sanfilippo, deuxième recueil de l'auteur publié par les Éditions Gros Textes, je reconnais plusieurs poèmes. C'est normal : ils ont été publiés dans "Traction-brabant" auparavant.

Salvatore est un habitué de longue date du poézine.

Et à chaque fois, c'est pareil : le lecteur se laisse emporter facilement par ses poèmes, en apparence, sans prétention, si ce n'est (c'est déjà pas mal) celle de nous faire rire. 

Dans ce recueil, il est question de poésie (bien sûr), d'amour (bien sûr) et même de lancer de marteau, dans la série des poèmes sur le sport (un peu de sport, mais pas trop quand même) publiés en fin de volume.

Alors, du coup, le lecteur est tout surpris de découvrir, au détour des pages, un poème soudain sérieux et qui épuise son sujet (c'est le cas de le dire), comme celui-ci :

"ADIEU PATRON

Adieu patron
À partir de demain
Je viens plus bosser
Je veux plus faire ce boulot
Qui me rend barjot
Je veux plus être exploité
Plus être traité
Comme un pantin
Un moins que rien
Je veux plus t'enrichir
Toi et tes actionnaires
Qui gagnez du fric sur mon dos
Pendant que je me tue au turbin
J'ai accumulé un petit pécule
Avec le peu d'argent
Que tu as consenti à me donner
C'est suffisant
Pour bouffer une salade
Et un plat de pâtes
J'ai envie de profiter du soleil
Et des moineaux
Qui viennent chanter
Sur le bord de ma fenêtre
J'ai envie
De voir grandir mes p'tiots
Adieu patron
Je me lèverai plus
À trois heures du mat
Pour venir bosser
Dans ton usine mal chauffée
Je veux plus bouffer
De la poussière
Et des produits toxiques
Qui me bousillent les poumons
Je veux plus entendre
Le bruit assourdissant des machines
Qui m'ont rendu sourdingue
Je veux du calme et du silence
Pour chasser le bourdon
Qui me trotte dans la caboche
Adieu patron
Je veux plus de ton usine
C'est une vraie prison
Ma vie est précieuse
Autant que la tienne
Une petite voix
Me dit que la vie
C'est autre chose
Que de passer ses journées
À marner comme une brute
De se tuer à la tâche
Et de finir
Usé
Cassé 
Épuisé"

Je souligne également l'existence d'un autre poème qui s'appelle "La femme de ma vie" (trop long pour être reproduit ici), qui m'a intéressé pour sa construction, la richesse de son scénario ...

Les illustrations de Chrisal (dont celle de la couverture) sont nombreuses (une dizaine pour 90 pages au total, pas si courant dans un recueil de poésie).

Si vous souhaitez en savoir plus sur "Et bien sûr j'ai pas de parapluie", de Salvatore Sanfilippo, qui est vendu au prix de 8 €, rendez-vous sur le site de l'éditeur : https://grostextes.fr/

lundi 22 juillet 2019

"Une étoile entre les dents", de Gaël Guillarme


Publié par les Éditions Prem-edit, "Une étoile entre les dents" est un beau deuxième recueil que nous offre là Gaël Guillarme, Et s'il vous plait, parfois écrit en vers rimés !

Ce livre est difficile à résumer. Recueil résolument lyrique, d'inspiration pastorale, à aucun moment, cependant, les poèmes qui le composent ne sombrent dans la mièvrerie.

Et ces poèmes passent légèrement à la lecture, sans que les rimes paraissent appuyées, comme la plupart du temps quand on lit ce genre de textes. La preuve en est : le lecteur a tendance à ne pas remarquer quand il passe des poèmes rimés à ceux en vers libres. Et à l'inverse, les poèmes en vers libres ont l'air d'être des poèmes rimés. C'est une question de rythme musical naturel qui ne quitte pas ces mots.

Cependant, le mot qui revient le plus longtemps et qui se remarque, lui, est "enfance" ou "enfant".
Résumé d'une première partie de la vie intérieure de l'auteur, l'amour aussi est là. Et la nature très douce, toujours présente dans ces textes, peut également devenir très sombre, d'un vers à l'autre.
Le trait d'union qui unit les poèmes de "Une étoile entre les dents" me semble donc être le regret de l'innocence.

Extrait de "Une étoile entre les dents", de Gaël Guillarme :

"Apostille à la mélancolie

Le ciel n'est bleu que par manque d'amour
et la rose n'est rose que dans l'oubli des yeux
L'hiver révèle son nid tissé de sève tarie
C'est toujours à cet endroit que l'on s'est aimé
Les nuages se défont lentement dans nos mains
et nous suivons longtemps notre visage au loin
À la fin du jour debout devant l'horizon
nous restons sans nouvelles de nous-mêmes
La clairière seule immobile est la première
à savoir que le monde glisse vers la nuit
Il fait si froid qu'en parlant l'on pleure
cependant que tout prend le goût uniforme
qu'ont les choses quand on a les yeux crevés"

L'illustration de couverture est de Sophie Jaffro.

Si vous souhaitez en savoir plus sur "Une étoile entre les dents", de Gaël Guillarme, qui est vendu au prix de 13 €, rendez-vous sur le site de l'éditeur, http://www.prem-edit.com/

dimanche 21 juillet 2019

"Une brèche dans la tapisserie des ombres", de Pascal Perrot


Publié par les Éditions du Cygne, dans sa collection "Le chant du cygne", "Une brèche dans la tapisserie des ombres", de Pascal Perrot, est un recueil de proses poétiques, dont les trois parties voient leur titre inclus dans le titre général du livre : "Une brèche (2e partie), dans la tapisserie (3e partie) des ombres (1ère partie)".

Bien que je n'ai pas, jusqu'à présent, si ma mémoire est bonne, lu de poèmes en prose de Pascal Perrot, mais des poèmes en vers libres, j'y retrouve ici ce qui nourrit son écriture, une révolte viscérale contre le monde tel qu'il est - dans les villes du moins, il est vrai, largement déshumanisé.

La caractéristique principale de ces textes est de n'offrir guère de respiration, tant leur souffle est, non seulement puissant, mais souffle en continu. L'avantage de cette écriture est de montrer l'épaisseur du monde dans lequel nous vivons (notamment avec les couches d'Internet), la difficulté de s'y frayer un chemin, pour y trouver une vérité qui nous ressemblerait, qui nous conviendrait, en tant qu'individus libres. 

C'est la difficulté pour un homme de penser dans un univers qui ne laisse guère de temps pour cela.

Pascal Perrot restitue bien la complexité de nos décors de vie qui vont jusqu'à nous engloutir, en ayant parfois recours, à un surréalisme d'images.

Cependant, le ton de ces textes est acquis à la lucidité, plutôt qu'au désespoir. Il y a là-dedans quelque chose de solide, comme un éclat de rire de bon-sens, qui, au besoin, désamorce les fantômes de la modernité que nous ne savons pas par quel bout prendre.

Extrait de "Une brèche dans la tapisserie des ombres", de Pascal Perrot :

"L'essentiel

J'ai répudié la nostalgie qui collait sa chair à la mienne cognait ses os contre mes os avec des façons de ventouse et une haleine de cadavre j'ai refusé la pourriture de ces hosties décomposées que l'on élève au rand de saintes et ne sont que putrescents passés et ces valises remplies de plaies que l'on traîne de gare en gare sans s'interroger plus avant sur l'état de leurs contenus je les ai laissées sur le quai volontairement oublié lequel les prenne qui le désire qui n'a pas son quota d'auto-flagellation

se murer dans l'hier se laisser inonder par ses pluies corrosives est incapacité à repenser la forme à retrouver en géomètre les périphéries du désir paresse d'apprenti-vivant qui renâcle au prix du savoir au poids d'incendies dont il faut parfois payer la connaissance l'âpre et rude leçon de soi l'humiliante étude des charniers des immondices qui vous peuplent j'ai ouvert portes et fenêtres aux imprévisibles futurs dont le vent écorce la peau précipite les destins dans l'avalanche des visages équarris et ramenés à l'essentiel."

Si vous souhaitez en savoir plus sur "Une brèche dans la tapisserie des ombres", de Pascal Perrot, qui est vendu au prix de 12 €, rendez-vous sur le site des éditions du Cygne : http://www.editionsducygne.com

mardi 2 juillet 2019

"Mots", de Philippe Jaffeux


Publié par les Éditions Lanskine, "Mots", de Philippe Jaffeux, est un livre sur les livres de son auteur.

La caractéristique principale de "Mots" est qu'il s'agit à la fois d'un livre théorique et pratique.

Je suis l'un de celles et ceux qui pensent que Philippe Jaffeux a trouvé quelque chose de nouveau en écrivant, au-delà de son propre style, ce qui est assez rare pour être signalé.

Alors, bien sûr, ses textes ne sont pas faciles à lire, mais ils ne sont pas faits pour cela. Ils sont expérimentaux, se veulent une déconstruction de la pensée habituelle, celle qui s'impose, exigeant, par exemple, cause puis conséquence, ordre dans les idées etc...

À ce schéma d'écriture classique, Philippe Jaffeux substitue un temps circulaire, dans lequel la causalité est remplacée par l'aléatoire, l'instantanéité.

Bien que n'ayant pas pénétré toutes les richesses de cette oeuvre, et tout particulièrement celles d'"Alphabet", je me retrouve dans la plupart des mots qui servent d'entrée pour lire ces textes si étranges, que constituent "Alphabet", mais également "Courants" et "Deux".

Ces mots qui me semble résumer l'oeuvre de Philippe Jaffeux sont les suivants : "hasart", "jeu", "spiritualité" (inspiration évidente du taoïsme), "image", "numérique", "musique", "cinéma", "rêve", "nombres", "mouvement", "expérimental".

Et parmi ces mots, je ressens tout particulièrement ceux-ci : "spiritualité", "image", "numérique", "rêve", "mouvement", "expérimental".

En effet, à mes yeux, Philippe Jaffeux est parvenu à créer des images d'une richesse inouïe (vu le nombre de combinaisons possible dans l'aléatoire), par la musique des mots, la vitesse de la pensée, exprimée à l'aide d'un ordinateur (ou d'un dictaphone).

Il a ainsi, créé un monde unique, qui se passe de la gaieté ou de la tristesse, et abolit les oppositions ordinaires, par exemple entre technologie et lyrisme, un lieu commun en poésie, hélas.

Je recommande tout particulièrement "Mots", de Philippe Jaffeux, à qui souhaite ensuite se familiariser avec les autres textes de l'auteur : en enchaînant les propositions théoriques, sans interruption autres que les têtes de chapitres, ce livre est un texte de création, et, en même temps, il donne les éléments clés qui permettent de mieux comprendre cette oeuvre pas ordinaire du tout.

Extrait de "Mots", de Philippe Jaffeux, le tout début du livre :

"Enfance

   L'acte d'écrire accompagne, dans le meilleur des cas, l'état d'un enfant qui s'abandonne et s'ouvre au temps présent. Tout devient possible avec l'enfant qui n'a pas d'histoire ni de mémoire et fait donc fi des traditions ou des conventions. L'enfant ne se soucie ni de l'avenir ni du passé et, s'il est aussi un comédien, il n'est néanmoins pas soumis à la malignité ni au calcul parce qu'il fait tout pour la première fois. (...)"

Si vous souhaitez vous procurer "Mots", de Philippe Jaffeux, qui est vendu au prix de 20 €, rendez-vous sur le site de l'éditeur : https://www.editions-lanskine.fr/

Journal, de Jan Bardeau


Publié par les Éditions Urtica, le "Journal", de Jan Bardeau couvre un temps assez court. En effet, si l'on se fie aux dates, il débute le 4 août 2018 et s'achève le 28 avril 2019. 

C'est un drôle de texte, composite, qui, s'il décrit les états d'âme de son auteur, évolue au fil du temps, et ne s'attache pas toujours ou directement à la vie quotidienne.

Au début, c'est plutôt très philosophique (et donc j'ai du mal à suivre), mais très vite, au fur et à mesure des pages, la description de la lutte des classes prend le dessus, et là, du coup, je comprends tout.

Cette lutte des classes qui s'exprime semble, tout d'abord, tirée de la vie de l'auteur. Puis, comme si Jan Bardeau se rendait compte de l'inanité d'une critique sociale aujourd'hui (à peu près systématiquement étouffée par les médias), il la déplace de plus en plus dans un pays de science-fiction, en avant ou en arrière sur notre présent.

Et finalement, le livre s'achève sur plusieurs évocations printanières.

Quoi qu'il en soit, ce livre porte la marque du style de Jan Bardeau.

Un côté distingué et un autre foutraque, voire barbare, à la fois. Une façon très imagée de décrire la marginalité, avec beaucoup d'humour, mais sans illusions. Parfois, même, les histoires se finissent très bien, comme si tout cela - ces malheurs et déceptions - n'était pas très important, au regard de la totale absurdité de l'existence.

Extrait du Journal de Jan Bardeau :

"19 janvier 2019

Dans les séries télévisées, quand une importante pollution touche les populations civiles, immédiatement, les autorités, composées pour l'essentiel d'hommes et de femmes valeureux et intègres, installent un dispositif considérable afin de sauver le plus grand nombre de vies humaines. Lorsque les cuves de l'usine qui bordent notre commune de Hareng-sur-Atout furent déversées dans la Coulpe, la rivière qui serpentait doucettement au travers de nos champs par suite de la fermeture soudaine de l'entreprise et de la fuite de ses dirigeants, personne ne réagit. Un liquide vert, légèrement fluorescent, qui se révéla, bien après, contenir de très fortes teneurs en rosbiphate de berruyonium, se répandit, se diluant progressivement jusqu'à la Lie, dont la Coulpe formait l'un des affluents. Vitement, nous constatâmes notre intoxication par le produit : nous languissions, nous n'imaginions plus que de flâner, de rallonger et multiplier les libations, les querelles, entre nous Harengeois, dont le souvenir des causes dépassait souventement les possibilités de la mémoire, s'apaisèrent. Nous nous invitions mutuellement, nous bourrions d'accolades en guises de claques, et les poutous baveux remplaçaient dans les bouches les mots fielleux. Lorsque l'administration sanitaire envoya un expert sur place, celui-ci se borna à constater l'ampleur des torts causés et recommanda à la hiérarchie de circonscrire les lieux, empêcher toute divulgation dans les médias de la situation, couvrir le tout d'un couvercle bien étanche et oublier l'histoire, ce qui, apparemment, constitue la procédure habituelle en pareil cas. Rarement autant, l'indifférence des puissances ne nous bénéficie."

La photo de couverture est de Jan Bardeau.

Si vous souhaitez vous procurer "Journal", de Jan Bardeau, qui est vendu au prix de 8 € (hors frais de port), rendez-vous sur le blog de l'éditeur : http://urticalitblog.blogspot.com/