lundi 31 janvier 2022

"L'Engrangeoir", de Nathalie Boniface-Mercier

 

Publié par les Éditions de La Chouette imprévue, "L'Engrangeoir", de Nathalie Boniface-Mercier oscille entre vers et prose.
Dans ce livre, ce qui surprend d'abord, c'est en effet cette forme mouvante, dans laquelle le lecteur passe insensiblement d'une nappe de prose à des poèmes avec de longs vers libres.

Chaque partie finit aussi par une page de mots dispersés sur la page, appris de la grand-mère, de la Bibliothèque rose, du grand-père, de la mère et du père.
Car il s'agit ici de souvenirs d'enfance, manière indirecte de dire aussi ce qui n'est plus, aujourd'hui.

La deuxième surprise de ce livre vient de la profusion des détails assemblés en ces pages. On y trouve de très nombreux objets, plus ou moins de l'ancien temps (années 80 y compris !), qui comptent pour une enfance.
Ces objets contribuent à façonner l'unité de ce livre qui finit par ressembler à un grand tableau, entre ombre et lumière, même quand c'est l'hiver.

Alors finalement, qu'est-ce que "L'Engrangeoir" ? Peut-être ce coffre à images dont il est question dans cet extrait :

"Il y a dans le village du père tant d'images
À mettre dans l'engrangeoir
Le clocher en dentelle de pierre
Le château qui se mire dans la rivière
L'usine hydroélectrique avec ses poulies et engrenages muets dans
la poussière
La maison en briques rouges et volets bleus de l'éclusier
L'écluse écumante et son petit pont ouvrant
Des marais sauvages et chès intailles étangs tirés au cordeau
L'eau fardée de nénuphars ou poudrée de brume
Le vol puissant des colverts dédaigneux des huttes assoupies sous les
sarments échevelés de la viorne aux houppettes
Les grappes de renoncules aquatiques sur l'eau brune
La course des dytiques sur l'onde à peine flétrie
Et la maison Cadet Rousselle quasi sans poutres ni chevrons
Compagne docile du jardon de l'arrière-grand-père
Où pousse du raisin trop vert pour être croqué"

(ches intailles : Les entailles en picard, référence à l'extraction de la tourbe).

L'illustration de couverture est d'Héloïse Fabre.

Si vous souhaitez vous procurer "L'Engrangeoir", de Nathalie Boniface-Mercier, qui est vendu au prix de 14 €, rendez-vous sur le site des Éditions : https://www.lachouetteimprevue.com/lengrangeoir

"Invitée surprise", de Christian Bulting

 

Publié par les Éditions Gros Textes, "Invitée surprise", de Christian Bulting est un journal en vers libres dans lequel l'"invitée surprise" est la maladie, celle que l'on nomme le cancer.

Le cancer, s'il n'est pas l'unique personnage de ce recueil (loin de là !), en rythme l'emploi du temps. Christian Bulting raconte les traitements (chimiothérapie) qui sont mis en place, et sans rentrer dans les détails médicaux, énumère les contraintes que ces nombreux rendez-vous occasionnent. Sans artifices et sans cacher la vérité.

Cette nouvelle vie périlleuse est décrite au jour le jour. Et lorsque la maladie recule, les vers des poèmes s'allongent, comme si l'auteur reprenait son souffle en écrivant, qu'il retrouvait la longueur de ses vers en même temps que le goût de vivre.

Extrait de "Invitée surprise", de Christian Bulting :

"Proche proche hôpital" ça te faisait beaucoup rire
Cette expression tu l'avais entendue dans une pub
Que je n'avais vue et tu l'employais
Dès que j'avais ou que tu avais une faiblesse
Un coup de mou un rhume un oubli dès que l'un
Ou l'autre se trompait de route de porte
"Proche proche hôpital" et tu disais cela
Comme on le dit quand on est en bonne santé
Quand on n'y croit pas qu'on peut en plaisanter
L'hôpital c'est pour les vrais malades pas les
Bobos de la vie quotidienne actes manqués
Passages à vide "Proche proche hôpital"
J'y pense aujourd'hui où je vais devoir y aller
Chaque jour pendant des semaines où l'ambulance
M'a conduit tout l'hiver et l'automne ma voiture
L'été où à commencé "Proche proche hôpital"

Les collages de la couverture et des pages intérieures sont de Catherine Drouet.

Si vous souhaitez vous procurer "Invitée surprise", de Christian Bulting, qui est vendu au prix de 11 €, rendez-vous sur le site de l'éditeur : https://grostextes.fr/publication/invitee-surprise/

mercredi 26 janvier 2022

"S'il fallut un jour la guerre", d'Anne Brousseau

 

Publié par les Éditions "La tête à l'envers", "S'il fallut un jour la guerre", d'Anne Brousseau est son premier recueil édité.

Composé d'une cinquantaine de poèmes en vers libres, l'ambiance de "S'il fallut un jour la guerre" est résolument intimiste.
En effet, ces poèmes traduisent au plus juste le ressenti d'un soldat rentré d'une guerre et qui vit en contact direct avec le milieu naturel.

En lisant ce livre, au début, je pensais à un retour de la guerre 14-18, comme s'il s'agissait de la seule guerre ayant eu lieu depuis un siècle ! Grossière erreur : si la guerre ne touche principalement que des engagés dans le monde occidental si bien organisé, sa panoplie s'est plutôt pas mal diversifiée, à tel point que chacun peut rentrer au bercail avec sa guerre à lui.

Mais là n'est pas le sujet principal de "S'il fallut un jour la guerre", qui ne parle que de l'après. 
Il s'agit ici de partir à la recherche des signes de douleur subsistant depuis ce retour à la vie civile, dans cette difficile réadaptation à une vie normale, notamment avec l'autre, la partenaire, la conjointe.
Il s'agit de trouver le "fou", comme dit Anne Brousseau, qui est en soi et d'essayer de le domestiquer.
Le petit jeu du lecteur consiste à détecter ces détails qui troublent la tranquillité de surface d'une vie à la campagne.

Extrait de "s'il fallut un jour la guerre", d'Anne Brousseau :

"Les cristaux de givre éphémères

prendre les chemins
la glace lovée dans les ornières
un corbeau en vol bas
ce n'est pas une saison morte
mais un ralenti une méditation

il est poursuivi par le souffle de l'autre
filet tiède lâché dans les espaces de froidure
son fou au corps transi comme au champ de bataille
en un pas qui martèle le sol       fissure les glaces
les yeux larmoyants de la brise glacée

il voudrait l'arrêter

marcher seul encore sur les chemins
en un souffle tenu tendu
en un souffle qui appelle
à chercher son propre visage"

La préface de "S'il fallut un jour la guerre" est signée Yves Humann, l'illustration de la première de couverture est de Cécile A. Holban.

Si vous souhaitez vous procurer "S'il fallut un jour la guerre", d'Anne Brousseau, qui est vendu au prix de 15 €, rendez-vous sur le site de l'éditeur : https://www.editions-latetalenvers.com/S_il_fallut_un_jour_la_guerre.cF.htm

mercredi 12 janvier 2022

"Nuagerie", de Pascal Lenoir

 

Publié par les Éditions Le Contentieux, "Nuagerie", de Pascal Lenoir est un volume de poèmes, divisé en deux parties : "Nuagerie", suivi de "Nuits oiseuses".

Pour qui n'aime pas les images, ce recueil ne lui sera pas destiné. mais pour les autres, ils se régaleront.

Comme rappelé en début de livre, et d'après le Wiktionnaire, une paréidolie est un "type d'illusion qui fait qu'un stimulus vague ou ambigu est perçu comme clair et distinct par un individu. Autrement dit, tendance instinctive à trouver des formes familières dans des images désordonnée (dans les nuages, les constellations…)."

Eh bien, "Nuagerie" est une suite de poèmes où se lisent nombre de paréidolies, y compris à l'intérieur d'un même poème, qui se présente comme une liste, avec un fil thématique, malgré tout souvent ténu.

"Nuits oiseuses" est, quant à lui, constitué d'une suite de dix sept poèmes dans lesquelles à chaque fois, se joue une nouvelle nuit, avec des ambiances différentes.

Extrait de "Nuagerie", de Pascal Lenoir :

Les nuages
Bousculés sans jamais perdre le Nord
Meurtris et meurtriers par habitude ou par destination
Parodiques dans leurs burlesques dandinements
Affrontant sans dommages l'usure de la répétition
Chiffonnés comme les draps au réveil
Glaçures qui vitrifient les murs de l'amour et de la haine
Bâillonnés pour avoir trop parlé
Solidifiés par le froid flegmatique des pôles
Fâchés de changer chaque jour de paroisse
Constipés de secrets oiseux et de confessions inutiles
Coquillés en tiroirs secrets pour merveilles de gisants
Kamasutra de toutes les variations imaginables
Évacuant les grands embrasements pour en faire des tisons
Housses des cathédrales de novembre
Immenses toiles des espoirs des humbles qui trottinent
Fournisseurs désintéressés du liquide de la vie
Jadis concurrencés par le panache des locomotives
Indisciplinés pour renaître perpétuellement à l'averse
Excusés pour avoir brisé les miroirs bleutés des lacs
Labourés par les machines volantes violentes
Fragments d'un puzzle de latences
Télégraphiques dans leur plus simple appareil
Filiformes comme les flandrins qui fuient l'envahisseur
Insoumis à toute autorité de face comme de profil
Veinés de doutes veinés de déroutes veinés de gouttes

Le dessin de la première de couverture est de l'auteur.

Si vous souhaitez vous procurer "Nuagerie", de Pascal Lenoir, qui est vendu au prix de 10 €, rendez-vous sur le blog des éditions : https://lecontentieux.blogspot.com/

samedi 8 janvier 2022

"Cheese !!!", de Gorguine Valougeorgis

 

Publié par les Éditions Plaine page, dans sa collection "Calepins", "Cheese !!!", de Gorguine Valougeorgis, est un recueil de poèmes...professionnels, qui constitue un condensé de l'expérience de dentiste de son auteur.

Pour une fois que la sale réalité du travail n'est pas escamotée par la poésie, ça se fête !

Bien qu'ils évoquent souvent la dentition des patients, les poèmes de Gorguine Valougeorgis savent sortir de leur bouche, pour devenir des poèmes plus sociaux que médicaux.

En effet, en tant que dentiste salarié, l'auteur est souvent confronté à une clientèle démunie, et il essaye de sauvegarder de vrais rapports humains avec les personnes qu'il reçoit. En cela, il s'oppose au statut des dentistes exerçant en libéral, qui ont tendance à courir après leur chiffre d'affaires sur les dents des gens.

Une histoire de dents, donc, mais pas seulement.

Enfin, sont décris dans ces pages les à-côtés du travail, et surtout cet univers urbain qu'il faut savoir décrypter pour y trouver de la poésie. Mais la poésie, bien sûr, on la trouve quand on veut la trouver hors des sentiers battus !

"Cheese !!!" alterne poèmes en vers soigneusement découpés, et proses sans ponctuation, parfois expérimentales, traduction du langage intérieur en direct.

La préface et les illustrations (dont celle de la première couverture : un beau rouge !) sont d'Anne Raskin.

Extrait de "Cheese !!!", de Gorguine Valougeorgis :

"Un gros chagrin d'amour docteur
en arrêt de travail
depuis deux mois et ça va pas mieux
oui docteur la carie est grosse elle
me fait mal
mais s'il vous plait pas ne me la soignez pas
ne me la soignez pas docteur
elle me permet d'oublier
le temps d'une décharge électrique
ma rage de cœur"

Si vous souhaitez vous procurer "Cheese !!!", de Gorguine Valougeorgis, qui est vendu au prix de 10 €, rendez-vous sur le site des éditions : http://www.plainepage.com/

mardi 4 janvier 2022

"L'ornithorynque à lunettes", de Frédéric Dechaux

 

Publié par les Éditions Tarmac, dans sa collection essai, "L'ornithorynque à lunettes", de Frédéric Dechaux, est un ensemble de chroniques d'abord parues dans la revue "Le Festival permanent des mots".

Ce livre n'est pas un livre de poésie, au sens strict du terme (par exemple, composé de poèmes). C'est plutôt un livre de philosophie, dans lequel sont étudiés les rapports entre la Singularité et la Normalité.

Le thème n'est pas inutile à approfondir, selon moi, dans un monde où - c'est le cas de le dire, surtout en ce moment - Internet nous confine à la schizophrénie entre singularité et normalité. Et bien sûr, la singularité n'a pas l'air de l'emporter, dans 99% des cas au moins.

Mais n'attendez pas pour autant de ce livre une étude stricte avec des concepts bien nets, mais plutôt une succession de perceptions intuitives et justes à la fois.

L'auteur, à la fin du volume, avoue avoir eu 5/20 au bac de philo, ce qui m'arrange plutôt, en tant que lecteur.
La philosophie, si elle existe, peut être qualifié de poétique, grâce à des citations de poètes, des énumérations, exclamations de tendance célinienne, bref grâce au style brillant de l'auteur, qui assurément, vaut plus que 5 sur 20, et m'en apprend davantage qu'un cours de philosophie professé dans les règles de l'art.

Extrait de "Incognito underground", de Frédéric Dechaux :

    Nous chérissons la mémoire de la vie à l'écart de la vie, de la liberté à l'écart de la liberté, du bonheur à l'écart du bonheur, des lieux où jamais personne ne cède à la crainte que rien n'existe plus nulle part, et des rêves dont peut s'inspirer l'avenir, d'obscures aspirations perdues dans le lointain, faute de recouvrer l'envie de naître.
    Quand un être se sent incapable de s'incarner, cela traduit à coup presque sûr qu'il est devenu fictif, à force de renoncer à se battre pour ne pas se laisser réduire à un programme de fiction pour gogo. Il n'y a d'ailleurs pas à penser au-delà, quand on se satisfait d'une pseudo-existence. Chacun reste ainsi conçu manufacturé, le riche, le pauvre, les honnêtes citoyens, les révoltés, les nations éternelles" de l'Européen le peuple, les francs-tireurs, le gentil héros, les méchants.
    On réclame "le droit à l'oubli". Juste avant le privilège de la disparition ? Une disparition préparée avec professionnalisme ? Le vide avec la qualité industrielle ?

L'illustration de couverture est de Sergio Schmidt Iglesias.

Si vous souhaitez vous procurer "L'ornithorynque à lunettes", de Frédéric Dechaux, qui est vendu au prix de 12 € (+ 1,50 € de participation aux frais de port), rendez-vous sur le site de l'éditeur : https://www.tarmaceditions.com/ornithorynque