lundi 24 avril 2017

« Sous la cognée », de Morgan Riet


Nostalgie, quand tu nous tiens !

« Sous la cognée » de Morgan Riet, publié dans la collection « C'est à dire » des éditions Voix Tissées, renvoie sans aucun doute possible aux souvenirs d'enfance de l'auteur.

Étant de la même génération que ce dernier, les poèmes qui composent « Sous la cognée » me parlent d'emblée, car j'y retrouve des choses très « Old school » : ces Dyane jaune, R 12, bonbons mous Kréma, Goldorak, même ce skateboard dont Morgan Riet a raison de rappeler l'existence.

Au-delà de ces éléments bien ciblés, le lecteur croise également des lieux et "jeux" qui renvoient plus largement à toutes les enfances : manèges, chien noir, préau de l'école, cantine, piscine, football, vélo, premier flirt, bagarres, etc. Bref, toutes ces pauvres choses qui, parfois malgré elles, suffisent à exprimer l'inexprimable.

Ainsi, dans ces poèmes soigneusement découpés en plusieurs strophes et vers courts, Morgan Riet appuie avec précision là où ça fait mal, car il évoque bien souvent un monde et des personnes aujourd'hui disparues, avec les regrets qui vont avec.

Cela n'empêche pas l'auteur d'émailler certains de ces poèmes de jeux de mots, comme par exemple, dans « ici et là » :

« Inexplicablement, moi
dans le lit, sur le bord

du trottoir, en bas
de la cage d'escalier

sise en-dessous de ma
chambre où je suis, ici

et là, si bien que
ne sachant plus si je

dors ou pas – nuit, peur,
pleurs contigus, reje-

tés, classés se-
cri d'enfance. »

Avec le temps passé, la méticulosité du souvenir libère toute sa saveur poétique et montre que l'enfance ne nous a pas quittés d'une semelle, et qu'elle se déplace en même temps que nous, comme une ombre.

Extrait de « Sous la cognée » : « Petit cheval »

« Aujourd'hui, des cordes. Tendue,
capricieuse la voix
du ciel sur les graviers
de la rue encore en chantier
me ramène à ces pleurs
retour d'une fête foraine.
J'avais quatre ans
et n'y entendais goutte -
d'autant plus qu'il
ne plut pas, ce jour-là ! -
et montais donc plus haut
sur mon petit cheval
d'émois, à la moindre idée
de borne, de limite.                Rien
n'a tellement changé depuis. »

« Sous la cognée » de Morgan Riet s'achève par une postface de Sanda Voïca, qui nous éclaire sur le sens du titre du recueil, il est vrai, assez inexplicable, en apparence.

L'illustration de couverture est une photo (d'école) de l'auteur prise en 1982 et publiée dans le journal de Bayeux.

Si vous souhaitez en savoir plus sur « Sous la cognée » de Morgan Riet, qui est vendu au prix de 8 €, rendez-vous sur le site de l'éditeur : http://voix-tissees.com/

« D'ombres », de Cathy Garcia


« D'ombres » est un recueil de courts poèmes en vers libres datés des années 1990 à 2013, qui vient d'être autoédité par Cathy Garcia à l'enseigne de « A tire d'ailes ».

Il s'agit ici surtout d'un recueil d'infortunes, portraits de SDF et de morts solitaires. Cependant, se contenter de dire cela serait ne voir dans « D'ombres » que son aspect réaliste.

En effet ces poèmes sont plus que cela, avec leur mise en scène, presque gothique parfois, et renvoient davantage à une « exaltation », certes, ténébreuse, qu'à la répétition d'un même abattement.

J'y ai souvent trouvé aussi le rythme des chansons, avec des vers coupés courts, parfois répétés, mis en apposition.

Ci-après deux poèmes extraits de « D'ombres » :

« le roi des taupes

sur le parvis de sa raison
gît sa cervelle abattue
jusqu’à oublier son nom
craché là au coin d’une rue

le souffle des rames
les croûtes et les rats
sa bonne étoile, qu'il dit
brille au cul des bouteilles

il parle aux corbeaux
que personne ne voit
je suis le roi des taupes,
qu'il dit, et je vous enterre »

«ressac

le chant des choses communes
déborde des fosses et coule
samedi dimanche
quotidien limé
parfaitement vernissé
marquer les jours d'une voix blanche
troupeau vertige
sur falaises de craie
en bas la mer Virginia
sur un pupitre de buis noir
mourir c’est s’ouvrir un peu
montrer le battement rouge
du cœur »

Les illustrations (des encres, dont celle de la couverture) sont également de Cathy Garcia.


Pour vous procurer « D'ombres », qui est vendu au prix de 10 € (+ 2 € de port), contactez l'auteur par mail : mc.gc@orange.fr

vendredi 21 avril 2017

« Terre-à-terre », de Gilles Venier


Publié par Encres Vives dans sa collection « Encres blanches », « Terre-à-terre », écrit par Régis Nivelle et publié sous le pseudonyme de Gilles Venier (anagramme de l'auteur), est un texte-fleuve (c'est le cas de le dire) d'une dizaine de pages qui se présente sous forme justifiée, sans alinéa ou presque.

Après quelques phases, dont la dernière reste longtemps suspendue, débute l'énumération d'espèces végétales animales en voie de disparition : insectes, plantes, fleurs, arbres, animaux, mais aussi écozones : glaciers, prairies, steppe, forêts, vents, îles, courants, etc.

Ainsi, cette liste, dans sa force d'attraction cosmique, va du plus petit au plus grand, progressant vers l'ouvert, comme elle progresse dans l'amour des choses qui nous englobent.

La poésie est dans la beauté de ces noms tous plus exotiques les uns que les autres, qui suggère la beauté des réalités situées derrière.

Le lecteur pourra d'ailleurs s'amuser, s'il y parvient, à retrouver dans ce texte, le nom des espèces imaginaires qui se planquent ici-et-là.

Hélas, la poésie existe aussi dans la déploration de ces choses qui disparaissent, comme plus souvent, dans la tradition populaire, la poésie déplore ses amours perdues. Même si finalement, « TOUT REVIENDRA A LA TERRE »

Ci-après un fragment de l'extrait relatif aux glaciers :

" - Pour que les glaciers de la Colombie Britannique du Montana des Rocheuses Canadiennes du Nunavut de la chaîne volcanique Nord-Américaine dite des Cascades les glaciers des Roches de Chèvre de l’Olympus du Mont Baker des Stratovolcans Mont Rainier Mont Saint Helens Dakobed et Klickitat et ceux des Mont Hood et Jefferson des Montagnes de Wallowa et celles dites Des Trois Sœurs de la Sierra Nevada du Colorado du Montana de l’Utah et du Wyoming le glacier Siachen en Inde avec ceux du Baltoro du Batura et du Biafo au Pakistan du Chimborazo en Equateur du Fedtchenko au Tadjikistan et ceux d’Inylchec et de Carstensz au  Kirghizstan et en Indonésie (...) ne disparaissent... (...)"

Pour en savoir plus sur « Terre-à-terre », de Gilles Venier, qui est vendu au prix de 6,10 €, rendez-vous sur le site de l'éditeur : http://encresvives.wixsite.com/michelcosem

mercredi 12 avril 2017

« Makao et le collier de cauris », de Fred Bonnet


Publié par les éditions comoriennes KomEDIT en version bilingue (traduction en shiKomori par Ali Chami), « Makao et le collier de cauris » est un conte de Fred Bonnet, « inspiré du témoignage véridique d'un corsaire français » (Louis Garneray, « Le négrier de Zanzibar, éd. Phébus).

L'action se passe vers 1800 à Zanzibar. Le jeune Makao, qui aime la jeune esclave Asali et Asali qui aime Makao, vont-ils pouvoir vivre enfin leur amour ? À cause du sultan Yakout, les choses risquent de se passer difficilement, et Makao sera soumis à plusieurs épreuves d'envergure…À vous de découvrir comment tout cela finira en lisant ce livre.

Publié dans un grand format noir et blanc (27,8 cms X 20,8 cms), je suis tombé sous le charme envoûtant et inquiétant des illustrations de Michel Goyon.

Si vous souhaitez en savoir plus sur « Makao et le collier de cauris », de Fred Bonnet, qui est vendu au prix de 18 €, contact : fredbonnet@rocketmail.com

« Là où l'humain se planque », d'Angèle Casanova


Publié par les éditions Tarmac dans la collection « Complément de lieu », « Là où l'humain se planque », d'Angèle Casanova, se présente sous une forme originale. À la fois par le format (10 cms X 20 cms), par le papier (strié) et les caractères utilisés, ces derniers dans le style de ceux de nos vieilles machines à écrire.

« Là où l'humain se planque » regroupe deux nouvelles, dont la première donne le titre au volume, la deuxième nouvelle s’intitulant « A ouvrir dans trente ans ».

Ces deux textes d'Angèle Casanova sont pour moi résolument réalistes, en dépit des obsessions de leurs personnages qui finissent par s’évader du réel.

En effet, les textes se déroulent dans un contexte urbain, social et contemporain, et montrent les plaies de notre époque, du moins, celles qui sont aujourd’hui vécues comme telles (car je pense qu'elles ont toujours existé, mais sous une autre forme).

Je parle ici de la solitude, de l'absence de communication, de la mésentente dans le couple.

L'écriture d'Angèle Casanova contribue aussi à donner à ces textes leur perspective réaliste : les phrases sont courtes, raclées jusqu'à l'os, itératives. Le rythme est haletant, même s'il ne se passe pas forcément grand-chose à l'extérieur.

Pas de doute, ces deux textes sont signés !

Extrait de « A ouvrir dans trente ans » :

« Elle regarde le plafond, compte les fissures, apprend par cœur les dessins hasardeux qu’elles forment, une biche, une chaise, constellations nouvelles sur ce ciel improvisé. Elle regarde le plafond, des heures, des jours, elle ne sait plus. Les persiennes font entrer le soleil et puis non, le temps disparaît. Seule compte l'attente, et encore, au début. Même cela finit par disparaître. Dès lors, elle se contente de fixer le plafond. »

Je précise que l'illustration de couverture est de Jacques Cauda.

Si vous souhaitez vous procurer « Là où l'humain se planque », d'Angèle Casanova, sur lequel ne figure pas de mention de prix (mais qui est vendu 8 € frais de port compris), rendez-vous sur le site des éditions Tarmac : www.tarmaceditions.com/

lundi 10 avril 2017

« Glace Belledonne » et « L'aventure de Norbert Witz'n Bong », de Perrin Langda








Edités par « Gros Textes » et les éditions de la Pointe Sarène, « Glace Belledonne » et « L'aventure de Norbert Witz'n Bong » sont deux recueils poétiques de Perrin Langda, fort différents par l'ambiance et les formes d'écriture.

Avec « Glace Belledonne », vous verrez les choses autour de vous autrement, de manière plus sympathique, pourrait-on dire.

Comme si Perrin Langda avait le don de prêter des formes humaines, pour ne pas dire féminines, à la nature. Pour lui, cette dernière brille de mille feux (de la rampe) !

Extrait de « Glace Belledonne » :

« La nouvelle ode
(collection automne-hiver 2015)


cette année
la campagne porte une robe
léopard jaune et rouge
sous une veste encore légèrement
verdoyante


un fleuve
passe
dans les tons bleus
et rose pastel
d'un foulard brumeux


les cimes ont mis
de drôles de bonnets de premières
laines
au-dessus de leurs gorges échancrées


on aimerait bien rester un peu plus
sous l’œil bleu ciel
à la pupille couchante
de cette grande
créatrice de mode
qu'ils surnomment
Versatile


mais les jambes
maigrichonnes
de la route sont déjà loin
sur le podium de la nuit »

« L'aventure de Norbert Witz'n Bong » est un « roman » parfaitement déconnant, découpé en chapitres ultra courts et ultra rapides, de trois lignes maximum.

Autant dire qu'avec ce livre en format paysage (fait assez rare pour être signalé), vous verrez, cette fois-ci, le roman autrement. Il est à noter que les chapitres ne sont même pas dans l'ordre. C'est peut-être pour cela qu'il ne faut pas chercher une suite dans ce roman. Ce dernier sonnerait plutôt comme un journal-minute, où l'on croit, au moins dans la dernière partie, y déceler davantage les états d'âme, les préoccupations de l'auteur.

Extraits de « L'aventure de Norbert Witz'n Bong » :

« Chapitre 32 :
Saint-Glavieux-lès-Bains

Rock star internationale. Sans quitter ni sa ville natale. Ni les soirées Mario avec ses geeks d'amis d'enfance. Tel était son seul but. Depuis bien trente-cinq ans. »

Et :

« Chapitre 69 :
La porte des rêves

Il sortait très souvent de ses gonds… D'ailleurs un jour il ôta carrément la porte des toilettes… Puisqu'elle restait trop souvent entr'ouverte... »

Dans ces deux petits livres au style alerte, une chose est sûre : vous demeurez dans la surprise de la lecture et il y sera toujours difficile de savoir de quoi sera faite la page suivante.

Les illustrations de couverture sont respectivement de Danielle Berthet (pour « Glace Belledonne ») et d'Eric Demellis (pour « L'aventure de Norbert Blitz'n Bong » ce dernier recueil étant préfacé par Thierry Roquet).

Si vous souhaitez en savoir sur ces deux publications, vendues toutes les deux au prix de 5 €, rendez-vous sur les sites des éditeurs : http://www.patrick-joquel.com/editions/ et https://sites.google.com/site/grostextes/

mercredi 5 avril 2017

« Exil », de Jean-Pierre Petit et Marie Guastalla


Publié par Cardère éditeur, « Exil » est un beau livre image au format paysage inhabituel en poésie, mais qui est justifié par la teneur du projet qui le sous-tend.

En effet, si texte il y a, c'est l'image qui est primordiale dans ce livre, qu'elle ait été antérieure ou postérieure à l'écrit qui vient en bas.

L'image est composée (dans son format original) d'un ruban de 9,12 mètres de long, découpé en douze bandes de papier, dessinées au crayon et peintes à l'aquarelle par Marie Guastalla.

L'exil de ces hommes décrit par Jean-Pierre Petit est celui de notre vie. Il ne s'agit donc pas tant d'un exil spatial que d'un exil temporel, imagé. Il s'agit d'une attente de quelque chose de mieux, qui ne débouche que sur un éternel recommencement, image, plus largement, du sort de notre espèce.

Le texte et l'image sont reproduits page par page, puis d'un seul tenant, en fin de livre. En outre, une version italienne d' »Exil » figure également, dans une traduction de Maria-Rosa Mennona.

Sobriété et efficacité, telle est l'impression laissée par « Exil ». À noter la force de suggestion des images.

Ci-après, extrait du seul texte, afin de vous donner une idée de l'ambiance :

« C'est une troupe immense qui marche depuis des millénaires. En ordre dispersé, à tâtons, ils avancent, ils avancent. La plupart sont aveugles, d'autres ont perdu un œil, le regard des plus valides ne dépasse guère le bout de leurs pieds. Vaille que vaille, ils avancent, ils avancent, ils frôlent des précipices, traversent des fleuves larges comme des bras de mer, quelques-uns tombent et ne se relèvent pas, d'autres se redressent tant bien que mal et rejoignent les rangs ».

Si vous souhaitez en savoir plus sur « Exil » de Jean-Pierre Petit et Marie Guastalla, qui est vendu au prix de 15 €, rendez-vous sur le site de l'éditeur : http://cardere.fr/

"Ptérodactyle en cage", de Florent Toniello


Deuxième recueil publié aux éditions Phi par Florent Toniello, après « Flo[ts] », « Ptérodactyle en cage » se présente comme un journal de bord écrit en vers libres, dont l'ambiance m'a rappelé celle des romans classiques d'anticipation, comme « Un monde meilleur » d'Aldous Huxley ou « 1984 » de George Orwell.

C'est dire si des relents d'inquiétude traversent ce texte.

Dans un univers urbain, hostile, car dépourvu de liberté, j'y vois comme une tentative désespérée de l'auteur de se régénérer en quelque chose d'autre qu'un être humain.

La figure de l'oiseau préhistorique, ce ptérodactyle, constitue donc un symbole fort de cette tentative d’adaptabilité. Sauf que le lecteur sait déjà la fin de l'histoire : l'oiseau vole dans le mur, son futur apparaissant dès lors comme tristement rogné.

Il peut paraître paradoxal que le sujet de ce livre oscille entre réminiscences du passé et préoccupations sur le futur. Mais non, en fait, il s'agit toujours d'imaginaire. Enfin, faisons semblant d'y croire, car cet imaginaire ressemble fort à la réalité.

Le style de Florent Toniello nous aide, en tout cas, à nous projeter dans la fiction. Riche en vocables poétiques saisonniers, mais aussi scientifiques et économiques, il se resserre, la plupart du temps, dans des vers assez courts, image, peut-être, de cette liberté manquante.

Je précise que « Ptérodactyle en cage » n'est pas seulement un livre de format papier, mais que ce dernier s'est incarné au Luxembourg, le 9 mars dernier, en un spectacle poétique et musical, en duo entre l'auteur (Florent Toniello) et un pianiste, Jean Hilger, interprète d'oeuvres de Schönberg, Scriabine, Glass, Janacek, Kurtag ; Satie, Cowell, Prokofiev, Bartok, Poulenc, Ligeti et Bach. Rien que ça !

Extrait de « Ptérodactyle en cage », de Florent Toniello :

« 31 mars : Velléités d'évasion

ode au verrou
Vaste vulve évasée
auquel rêvent
nos visages veules

ode au verrou
vicissitude du vécu
d'ivrognes sans venelles -
sans avenues où vider
le trop-plein de vinasse
dont ils sont in-
volontairement dépourvus

ode au verrou
où vivre ? Vers où ?
Laudes au verre où
voguent les ouvertures
vers un au-delà des verts
vers un entrelacs divers
où vivent partout
d'odieux écrous

ode au verrou
oh ! D'évents roux
les baleiniers vénèrent
les mystères vaudous -
d'ouverte à verrouillée
la vie va volontaire
vers n'importe où
quand les charnières
vocalisent tels des
violons doux la
vivifiante et pour-
tant navrante
ode au verrou ».

Si vous souhaitez en savoir plus sur « Ptérodactyle en cage », de Florent Toniello, qui est vendu au prix de 15 €, rendez-vous sur le site de l'éditeur : http://www.phi.lu