samedi 15 juin 2019

"L’écœuré parlant", suivi de "Cahier limite", de Pierre Andreani


Ils ne sont pas si faciles que cela à suivre, les poèmes de Pierre Andreani. Mais au moins, ils dégagent une sacrée énergie. Et ça, c'est précieux. Parce que souvent, on s'endort vraiment, dans la lecture des recueils de poèmes.

Par contre, si vous aimez la sobriété du haïku, je crois bien que ce livre ne sera pas pour vous.

Ce texte-là me semble être un constat d’échec par rapport à la réalité, par rapport à l'apparence qu'elle projette. Et cela me semble être le constat de base, pour qui veut faire de sa poésie quelque chose de vivant, voire de vital. 
Car l'existence est lourde dans son ensemble, et nos habitudes encore plus. 
Alors, si l'on veut découvrir autre chose en écrivant, il faut secouer le verbe, inventer toutes sortes de situations qui se transforment en impasses et s’en dégager aussitôt. Voilà ce que les mots de Pierre Andreani m'inspirent.
Sans cette succession de visions rapides, il n'y aurait pas cette richesse du langage, à tendance surréaliste (dans la vitesse de la pensée surtout, plus que dans la quantité d'images). Et vice-versa, également.
C'est au prix de l'imagination que la poésie se sort de l'ennui. Et dans ces poèmes-là, il y a, pour moi, un vrai dessein poétique.

Extrait de "L’écœuré parlant", de Pierre Andreani :

"Je reconnais mon nid, c'est une cage humide
dans un drôle de bouge, plein d'infanticides.

Hantise qui démarre à nouveau, dégustation sauvage
de tous les monstres hideux, de l'Afrique Occidentale
à l'Europe des vieilles pierres, réduction des passions.

Les sacrifices s'enchaînent sur les enfants bien nés.

On se dit : il ou elle a été puni(e), c'est bien fait !
On pleure quand même, dans les replis des draps.

On regarde sa vie, on s'éprend du malheur...
Que les autres sont riches et que soi, on se meurt,
que la mère et l'enfant sont ruinés, éloignés.

Ça continue vers la programmation simultanée
des foires régionales, les vocables du marché municipal,
tickets de caisse dans la poche, obligations et leurs soucis.

On se hâte dans son manteau, col relevé, furtif.
Chaque rendez-vous est une attaque, un attentat.
Cérémonie du chuchotement; rien ne sert d'écouter
aux portes, c'est un journalisme sans nécessité...

Autant jardiner dans les espaces dédiés, et se laisser rouler vers l'Ouest...

Le peuple se démoralise, oui, c'est bien naturel;
les suicidés montrent du doigt les bien-portants.
Peu importe : ils n’émeuvent plus personne.


Misère infligée ne sera pas impunie, les masses enflées,
on ne voit qu'elles tandis qu'elles puent.

À force de reculer en direction des bassines de vomissure,
vous tomberez dedans, et bien vous en prendra.

Je la vois : la mort habite en face de ce corps
devenu gras, elle s'appuie sur ses nerfs, le soulage.

Les chapeaux s'envolent au passage de l'impétueux
qui crache des vérités célestes, distribue les sentences.

Joie contre ce vieux monde : c'est en effet
la guerre ici-bas."

L’illustration de première page est du regretté Pascal Ulrich.

Si vous souhaitez en savoir plus sur "L’écœuré parlant, suivi de "Cahier limite", de Pierre Andreani,  qui est vendu au prix de 6 €, rendez-vous sur le blog de l'éditeur : https://lecontentieux.blogspot.com/

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