mardi 4 mars 2025

"En quittant l'image", d'Hugo Fontaine

 

"En quittant l'image", d'Hugo Fontaine, publié par les Éditions Gros Textes, est un recueil poétique sans formes figées. Tantôt courtes séquences en prose, tantôt courts poèmes en vers libres.
Hugo Fontaine nous emporte dans son écriture, comme dans un chaos intérieur, le sien, apparemment.
Ça parle de déplacements, souvent. "En quittant l'image" pour aller ailleurs, pas forcément très loin, voire même à côté. Sans doute aussi pour mieux retrouver le pouvoir de l'image, pas celle qui fige, mais celle qui surprend. 

Ainsi, ce volume, petit par la taille, fourmille de raccourcis saisissants, à forte teneur poétique.

Extrait de "En quittant l'image", d'Hugo Fontaine :

"Conquérir l'autre côté sans attendre la bénédiction des couleurs.

Il traverse le rouge pour construire de nouvelles températures, quelques lignes pour buter dans le parpaing. La frontière est liquide, bourrée de sulfate et de bulles de gaz.

Le voilà devant les autres bruits de la ville, il dit que la fièvre est une couleur inexistante comme le noir dans la nuit.

Il trace son corps, s'inscrit, grave sur le bitume, le soleil tape à la machine, le soleil tape la route, le soleil frappe le sol, le goudron pleure, la surface du texte est molle, la gravité, riche, la rouille une belle couleur, la chaleur aime voir le mot flasque surgir et creuser une nouvelle voie de circulation pour les gros véhicules.

L'architecture est plate. Quand il marche l'impact sonne comme une faute de frappe dans l'œil de l'autre, une marque noire. Puis le passage d'un camion, trou béant sur l'A13 qu'il a lu dans la gazette. Tout se bouche, même le ciel qu'ils disent aux infos.

Il peint, perce le rythme, le passage des motos une nouvelle perspective. Il persévère, klaxonne pleine bouche, pour dire bonjour à personne. 
Dessine une réalité, quitte les étoiles, imagine parfois faire l'amour à côté la gamelle du chien.

(...)"

Si vous souhaitez vous procurer "En quittant l'image", d'Hugo Fontaine, qui est vendu au prix de 6 €, rendez-vous sur le site des éditions : https://grostextes.fr/publication/en-quittant-limage/

"Plutôt la conscience de la damnation", de Pascal Ulrich et Gérard Lemaire

 


Sous-titré "Correspondance, poésie et art postal 1996-2000", "Plutôt la conscience de la damnation" de Pascal Ulrich (1964-2009) et Gérard Lemaire (1942-2016), vient d'être publié par les Éditions Le Contentieux.

Derrière son titre énigmatique (emprunté à une lettre de Pascal Ulrich), ce volume de 200 pages constitue pour moi des retrouvailles avec l'univers de deux anciens collègues d'écriture que j'ai bien connu, mais qui hélas, semble s'éloigner de nous. Qui s'envoie des lettres par la Poste, aujourd'hui, même pour le luxe du geste ?
Raison de plus pour faire revivre cet univers l'espace d'un livre (j'aimerais que cela nous mène plus loin). C'est la moindre des choses.

Cette correspondance entre Pascal Ulrich et Gérard Lemaire démarre de leur intérêt commun pour la poésie, mais va bien au-delà.
Car la poésie, ça devrait être la vie, et la vie, ça devrait être la liberté. D'où ce "rejet des institutions", qui caractérise ces échanges. Rejet viscéral et dont on s'aperçoit qu'il peut être violent : une ambiance qui pourrait surprendre de plus en plus nos contemporains.
Au fur et à mesure des lettres publiées ici, il est donc question d'engagement pour plus de justice sociale et de liberté. Gérard Lemaire, comme à son habitude, y pousse Pascal Ulrich, qui le tente puis s'en détache. Piquets de grève, occupations de sites se terminent par des récupérations ne changeant rien. Reste alors l'art. Même pauvre, il permet de continuer à vivre, au moins pour un temps.

Les caractères de Gérard Lemaire et de Pascal Ulrich sont dissemblables et bien trempés. Le premier et l'ainé voudrait toujours plus d'ambition dans les projets littéraires de son destinataire. Quant à ce dernier, il suit son bonhomme de chemin, sans trop penser au lendemain, là où personne ne vient le déranger (en théorie).

Robert Roman, l'éditeur de ce livre et par ailleurs exécuteur testamentaire de Pascal Ulrich, a eu l'excellente idée d'accompagner les lettres des poèmes de Gérard Lemaire et du mail art très coloré (ou art postal) ornant chacune des enveloppes de Pascal Ulrich.
Par delà la disparition de ces deux personnes, leurs œuvres résistent dans mes pensées comme quelque chose de toujours très fort.

En témoigne, par exemple, ce poème de Gérard Lemaire, extrait d'une lettre du 7 novembre 1996 :

"Je leur retourne leur regard intransigeant
et froid
de maîtres
Ils officient
Retirés des traces du Jardin d'Éden
Les pieds fondus dans l'acier
À eux-mêmes leur statue ne les ignore pas
Incapables de s'étonner
et de croire qu'il reste sur cette terre
une motte de silence qu'ils ne connaîtraient pas
Un homme ou une rue dans un sillage
une marche de fleurs
des enfants en quête
Ces rois-esclaves creusent des tombes
sous la terre creusent des pyramides
sous la terre
s'en vont
Les nuages de sauterelles laissent-ils derrière eux
un sol plus aride
plus rouge sous les flambeaux"

L'avant-propos est de Didier Trumeau.

L'illustration de couverture est, bien entendu, de Pascal Ulrich.

Si vous souhaitez vous procurer "Plutôt la conscience de la damnation", de Pascal Ulrich et Gérard Lemaire, qui est vendu au prix de 20 €, rendez-vous sur le blog des éditions : https://lecontentieux.blogspot.com/p/prochaine-parution.html