Sixième livre de poésie publié par Thibault Marthouret, cette fois-ci par Backland éditions, "Seuls les œufs durs résisteront" déconcerte de prime abord par son titre, formule sans appel et qui pourrait sonner comme la seule certitude d'une vie, à vrai dire, assez… inattendue !
Puis, à la lecture de "Seuls les œufs durs résisteront", je reste bluffé par la richesse de son contenu, champ lexical étendu, vocabulaire plus ou moins soutenu au cours d'un même poème, bribes de conversation, changements d'angles de vue permanents. Chaque poème de ce livre tient debout avec cet attelage pourtant impressionnant, voire improbable, ce qui inclut les changements de direction rapides, les raccourcis qui visent en plein cœur ("Vivre revient souvent à trouver une solution / pour finir par s'apercevoir qu'elle est inadéquate / ou abominable"), bref l'imprévu et donc la poésie qui en découle.
Alors, qu'en est-il des œufs au milieu de tout cela ? Pour moi, je l'interprète comme une image du plus petit lieu indivisible de vie possible. Plus resserré encore que cette île où l'auteur situe ici le lieu d'une résidence d'écriture.
À l'intérieur de ce monde dont Thibault Marthouret montre l'éclatement extrême, il n'est pas facile de s'y retrouver. Le poète, dans son intimité, s'y sent quelque peu déboussolé. Mais moi, en tant que lecteur, j'aime m'y perdre.
Il y aurait même de la solitude dans l'air que la multiplicité de genres et d'interlocuteurs (ils, elles, toi surtout), questionnés à travers d'incessantes tentatives de dialogues, tendrait à accroître.
Le résultat de ces explorations pourrait être désespérant : à quel sein se vouer donc ? Mais non, à aucun moment, les poèmes de "Seuls les œufs durs résisteront" ne sombrent dans cette déprime. Ils gardent davantage d'objectivité, s'amusant même de ces problèmes de communication dans le couple ou au-delà.
L'impression de ne pas être toujours à sa place n'est pas si déstabilisante. Car elle relève du quotidien dans lequel nous sommes tous embarqués. Seul un poète peut reconnaître la distance qui le sépare d'une réalité trop brute et l'accepter (cet aveu d'impuissance dérangerait des personnes plus terre à terre).
Extrait de "Seuls les œufs durs résisteront", "C'est ton signet" de Thibault Marthouret :
"Tu me lis.
Je sens tes cils entre mes lignes.
Mes pensées nocturnes étaient les tiennes.
Tes rêves se dissimulaient dans les miens
pour passer la douane de l'aube.
Quand je m'endors, t'endors-tu encore ?
Glisses-tu ton pouls dans mon pouls ?
Ton arme blanche dans l'obscurité de mon sommeil ?
Dors-tu quand je dors ou bien quoi alors ?
Tu gaines mes nerfs et te retires.
Tu dénudes mes fils, avales mes décharges
nous oblitères
dans le silence électrique où tu palpites
pulsatile dans mon palpitant je te sens
tu me lis je te sens
j'efface deux emails deux messages indésirables
ouvre un melon dans ma tête
pâle orange en plein décembre pour t'échapper
melon mental hivernal
tranché - une demi-lune t'éclipse
mais comment m'endormir
quand j'ignore à quoi tu occupes nos nuits ?
Lesquels de tes rêves mauvais vas-tu me léguer en plein jour ?
Tu me lis et je sens ton souffle
sur le grain de ma vie
sur la peau rougie de mon île en hiver.
Tu me lis et me réveilles
referme l'ouvrage d'un coup sec.
Sur mon visage ton épaisseur de plâtre.
Sous mon visage de plâtre ton épaisseur
ta nuit gonflée de vaisseaux sanguins
ton t-shirt militaire sous mon melon d'hiver
kaki sous le pâle orange
ton marque-page dans ma nuit blanche
je sens tes cils entre mes lignes
ton signet - ma colonne
la même lune dans le caniveau de nos veines."
Si vous souhaitez vous procurer "Seuls les œufs durs résisteront", de Thibault Marthouret, qui est vendu au prix de 17 €, rendez-vous sur le site de l'éditeur : https://www.backlandeditions.fr/produit/seuls-les-oeufs-durs-resisteront-de-thibault-marthouret/
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