lundi 24 novembre 2025

"Cher Ulysse", de Nicolas Pineau

 


Publié par les Éditions Aethalidès, dans la collection Le Zeste bleu, "Cher Ulysse", de Nicolas Pineau, est un recueil de lettres adressées par Calypso à son cher "Ulysse".

Pour la mythologie officielle, Calypso est la reine mythique de l'île d'Ogygie, où elle vit entourée d'autres nymphes. Dans le poème L'Odyssée d'Homère, elle recueille Ulysse après son naufrage et tombe amoureuse de lui.

Ainsi, vu leur thème, un parfum d'éternité ne peut que flotter dans ces lettres. 
L'auteur en profite pour glisser une poésie subtile dans cette forme prosaïque qui sert de dialogue aux amoureux. Sauf qu'ici, la communication ne va que dans un seul sens.

Maintenant qu'Ulysse est reparti et qu'il est même mort, Calypso continue de lui écrire. Elle lui pardonne son départ, le fait notamment qu'il n'ait pas voulu être éternel.
Et ce ne sont pas les visites d'Homère, ce poète bavard et maladroit, qui changeront le ton de ces lettres.
Leur détachement donne à ce texte tout son prix.
Nicolas Pineau explore donc les à-côtés moins spectaculaires d'une légende bien connue. Grâce à Calypso, il rend un hommage perpétuel à Ulysse, ce premier humain.

Extrait de "Cher Ulysse", de Nicolas Pineau :


"Cher Ulysse

    Les nymphes font ce qu'elles peuvent pour me distraire. Petit matin, à l'aperçu d'un écureuil, un peu de roux de ta barbe. Et puis chacun des doigts de ta main blanche. Les veines aussi, affleurant.

   Pourquoi n'y-a-t-il pas de catalogue des hommes ? J'y pourrais consigner les traits de ton visage, une cicatrice pour l'aventure peut-être même. On ne serait pas parti pour rien. N'est-ce pas, Ulysse ? Ou bien ?

    Et puis après tout que m'importe. Sache cela. Tu n'es pas homme pour moi; tu es l'humanité."

L'image de couverture est un Cratère noir à figures rouges, du VI-IVe siècles avant Jésus-Christ (du musée archéologique de Paestum, Italie).

Si vous souhaitez vous procurer "Cher Ulysse", de Nicolas Pineau, qui est vendu au prix de 17 €, rendez-vous sur le site de l'éditeur : https://www.aethalides.com/produit/cher-ulysse/

lundi 10 novembre 2025

"À moins que Marseille", d'Anne Barbusse

 



Publié par les éditions Milagro, "À moins que Marseille", d'Anne Barbusse est un livre-puzzle.
En effet, sans privilégier une forme d'écriture (proses comme poèmes en vers libres sont représentés), l'autrice fait le tour des principaux quartiers de Marseille : Belsunce, Belle de mai, Cannebière, Conception, Estaque

Pour mes yeux de lecteur, le chaos des grandes villes n'a rarement été aussi bien représenté, et tout particulièrement le chaos d'une ville comme Marseille, qui ne ressemble à aucune autre, je le sais déjà.

Une des particularités essentielles de "À moins que Marseille" est qu'il décrit en détail l'aménagement urbain, et surtout le bordel en résultant. Malgré tout, semble se dessiner une fascination pour cet emmanchement urbanistique. 

Le lyrisme du style se manifeste par l'ampleur des textes, leur flux, même s'il s'agit d'un lyrisme froid, dans lequel le fourmillement du réel est avant tout recherché. Ainsi, les descriptions qui en résultent se préoccupent constamment de coller à cette réalité.
Pour dire autrement les choses, les images, ici, ne sont pas imaginaires, elles sont inspirées par l'usage de la vue et expriment l'essentiel (qui n'est pas souvent exprimé).

S'intercalent également dans ces pages des passages autobiographiques (accouchement à Marseille, par exemple), des réflexions sur l'apparente sécession totale de Rimbaud à sa mort avec la poésie ou sur le statut de l'artiste.

Le constat d'arrivée est globalement négatif. Difficile de distinguer en effet une preuve de progrès dans ces additions de matières au détriment de l'humain. Sans compter la pauvreté effroyable qu'elle charrie.
Néanmoins, Anne Barbusse semble appeler de ses vœux une manière de s'en sortir. Une tentative de synthèse, à mener par l'artiste, justement ?

"À moins que Marseille" est abondamment illustré par les photographies d'Adèle Nègre (dont l'image de couverture). 

Extrait de "À moins que Marseille", d'Anne Barbusse, ce fragment, tiré de "à la va-vite d'Aubagne à l'Estaque" :

"maisons d'armateurs tels phares déflorés
entre autoroute et hangars industriels de tôle tâchent
de faire bonne figure avec façades sculptées toits pointus
grandes
dames des siècles passés aux friches aux
quatre-voies dressées dans les zones commerciales industrielles
comme tours témoignant de la mer
seul commerce mer du milieu notre mer
maisons d'armateurs regardant vers la mer
puis autoroutes striant les terres ne regardant
que bitume/vitesse
hors sol l'autoroute
demeures ancrées dans la mer obsolète
objets d'art sans le dire massacrés
d'autoroutes conquérantes - qui regardera depuis les toits
voiles blanches ou noires départs arrivées de paquebots salés"

Si vous souhaitez vous procurer "À moins que Marseille", d'Anne Barbusse, qui est vendu au prix de 19 €, rendez-vous sur le site de l'éditeur : https://milagro-editions.com/livres/amoinsquemarseille/

samedi 1 novembre 2025

"Filles bleues", d'Ivar Ch'Vavar (et son équipe)

 

Publié par les Éditions Lurlure, "Filles bleues", d'Ivar Ch'Vavar, n'est pas complètement un livre composé de nouveaux poèmes. Mais c'est autre chose qu'une anthologie.

Sous-titré "recyclage" et ayant pour auteurs Ivar Ch'Vavar et son équipe, demeure l'idée (plusieurs fois répétée par son auteur, et c'est tant mieux) que "la poésie doit être faite par tous, et non par un".

Ici, l'équipe est notamment composée de femmes : Alix Tassememouille, et Adrienne Vérove (pour la présentation du livre et ses notes). On peut y ajouter d'autres totems "féminins" : Sylvia Plath et Évelyne Nourtier, pourquoi pas ?

J'ai pris du plaisir à relire les poèmes d'un auteur dont j'apprécie déjà pleinement l'œuvre. Joie de retrouver ces "Nouveaux vers de la mort" et les différentes versions de "Berck plage", surtout. Et ce n'est pas rien de relire des choses qu'on aime !!!

Plaisir également de renouer avec des contraintes diverses au sein d'un même volume : depuis les poèmes rythmés, des années 80 aux plus amples vers arythmonymes des années 2000 (je pourrais y ajouter les quatrains et justifications, par exemple).

Ici, toutefois, c'est un peu comme avant et pas vraiment : ainsi, "Filles bleues" est nouveau par l'assemblage et plus profondément, par la tonalité dominante qu'il laisse passer.
Il y a d'abord, à mes yeux, la mer et sa plage. Evidemment, au-delà de ce paysage réel, existe l'horizon de l'écriture, à la fois plat et infini.
Il y a aussi les filles et cette mouette, point d'orgue du livre (poème inédit de 2018).
Présence féminine, un peu, sexualité, à coup sûr, pour moi, malgré tout, atténuée. Au contraire, ce qui m'a semblé compter, c'est la géométrie des formes. Les formes que l'on voit, et celles que l'on imagine.
Formes des corps, mais avant tout formes des choses, superposition de plans visuels, comme sont les empilements de vers. Formes abstraites, qui finalement drainent leur intense nostalgie, comme de simples vagues.

Extrait de "Filles bleues", "deux haï-kaï", d'Ivar Ch'Vavar :

"La poésie n'a aucune importance.
La nuit, l'hiver n'ont aucune
espèce d'importance. Le vent,
le froid, la viscosité,
la salinité,
le fait d'être sinistre n'ont aucune
importance.

/
Eh bien, moi je le vois très bien, ce matin
anormalement blanc, alors que toute
la nuagerie pantèle
de noirceur. — C'est un matin blanc,
— avec une mer berckoise blanche aussi —,
Elle reluit, la mer, dans un bref
crissement, c'est le silence
et l'irréalité qui l'emporte et vous
subissez un éblouissement (moi aussi)."

Si vous souhaitez vous procurer "Filles bleues", d'Ivar Ch'Vavar (et son équipe), qui est vendu au prix de 21 €, rendez-vous sur le site de l'éditeur : https://lurlure.net/filles-bleues

"John Forbes Nash, le chant des équations blessées", de Catherine Andrieu


Publié par Z4 éditions, "John Forbes Nash, le chant des équations blessées", de Catherine Andrieu, est un court recueil de poèmes en vers libres, consacré au mathématicien américain John Forbes Nash (1928-2015).

Il s'agit d'un portrait lyrique. Hommage est rendu au scientifique qui, malgré ses problèmes mentaux liés à la schizophrénie, a réussi à persévérer dans une brillante carrière de mathématicien (géométrie et algèbre).

Il ressort des poèmes publiés ici une évidente empathie de l'autrice pour John Forbes Nash, qui partage les mêmes difficultés de vie.

Ce qui m'a plu dans ce recueil, c'est son évidente clarté, paradoxalement mise au service de l'expression du chaos.
Comme si, une fois franchi le seuil de la folie, les choses devenaient de nouveau évidentes, comme si les apparences devenaient vérité.
Ces poèmes ont évoqué pour moi le retour aux évidences de l'enfance, malgré le temps qui passe.

Extrait de "John Forbes Nash, le chant des équations blessées", de Catherine Andrieu :

"XIII

Il lisait peu, désormais.

Non par désintérêt,
mais parce qu'il avait atteint cette zone rare
où les mots
sont en trop.

Il regardait des pages sans les tourner,
comme on regarde la mer :
non pour apprendre,
mais pour entendre.

__

Parfois, il murmurait à Alicia :
"Je crois que tout est déjà écrit,
mais l'ordre change à chaque lecture."

Elle souriait doucement,
Comme on sourit à une étoile
qui se prend pour un feu de camp.

__

Il pensait à ses erreurs
sans les condamner.

Le génie ne supprime pas l'ombre,
il apprend à l'éclairer de biais.

__

Il rêvait encore.
Des rêves simples :
un enfant qui compte les carreaux d'un plafond,
un carnet posé sur une chaise vide,
et un chiffre qui se répète
jusqu'à devenir
un nom."

Si vous souhaitez vous procurer "John Forbes Nash, le chant des équations blessées", de Catherine Andrieu, qui est vendu au prix de 12 €, rendez-vous sur le site de l'éditeur : https://z4editions.fr/product/john-forbes-nash-le-chant-des-equations-blessees/

mardi 30 septembre 2025

"La toile de Pénélope", de Lucie Roger

 

Premier recueil de poèmes publié de Lucie Roger, par les Éditions du Petit Rameur, "La toile de Pénélope", de Lucie Roger, se compose de dix poèmes en vers libres, parfois assonancés.

Chaque texte est une déclinaison du premier de leur série, intitulé "Pénélope", cette femme légendaire qui vit dans la séparation d'avec l'autre, nommé par la deuxième personne du singulier.

Cependant, la déclinaison est moderne car ici, c'est Pénélope qui voyage. Nombreux sont les lieux visités : Arquià, Marrakech, Tunis, Avignon, Douvres, Égine et Sienne. Mais unique est la séparation.

Si les vers sont souvent courts et rythmés, quand ils s'allongent, le lyrisme prend son envol. Cependant, subsiste toujours leur douceur mélancolique.

Extrait de "La toile de Pénélope", "Sienne", de Lucie Roger :

"Pas un spectacle
La vie, parfois, tourne
Comme ces chevaux
Sur la place del Campo
Battant les pavés recouverts
De sable tels des souvenirs,
Ceux qui ne s'effacent pas.

Pas un spectacle
À regarder chaque jour
Les chevaux soufflent
Souffrent des attelages
De la chaleur écrasante
D'août, suffocant
Comme, même enseveli,
Ce que l'on n'oublie pas.

Pas un spectacle, 
Mais ton souvenir
Tournant dans ma tête
Battant, chassant le sable
Comme ces chevaux
Qui piaffent, hennissent, ruent
Pour qu'on ne les oublie pas."

L'illustration de couverture est de Catherine Merle.

Si vous souhaitez vous procurer "La toile de Pénélope", de Lucie Roger, qui est vendu au prix de 5 € (+ 3 € de port pour une commande de 5 à 30 €), rendez-vous sur le site de l'éditeur : http://www.petitrameur.com/editions.html

mercredi 24 septembre 2025

"À la marge", de Catherine Andrieu

 

Publié par les Éditions Unicité, "À la marge", de Catherine Andrieu est un recueil de poèmes en vers libres dont la caractéristique principale est la puissance, cette puissance qui transforme la réalité en quelque chose de meilleur.

En dix-sept poèmes, l'autrice narre des parcours de vie, souvent féminins, empruntés à la légende, à l'histoire, même contemporaine, ou à sa vie.

Dans chacun de ces textes, plus précisément, sont montrées des situations d'oppression plaçant les protagonistes en marge des vivants ordinaires. Il ne leur reste plus que leur fierté, ce qui ne les empêche pas de continuer à résister. Il en résulte une envie farouche de vivre, malgré les obstacles, envers et contre tous.

Extrait de "À la marge", de Catherine Andrieu :

"Je suis un corps propulsé, une traînée d'éclats,
le sol tremble sous mes pas mais je n'ai plus de poids.
J'arrache l'espace, je fracasse l'horizon,
trop vive, trop brûlante, trop affamée pour m'arrêter.

J'ai l'urgence tatouée dans les os,
chaque battement cogne comme une détonation,
et je refuse d'attendre.
Chaque seconde est une brèche,
chaque instant un combat
contre l'engloutissement.

Je traverse le monde comme une comète,
une déchirure dans le ciel.
Je veux boire la lumière
jusqu'à l'éclatement,
mordre la chair des jours
avant qu'ils ne s'effacent sous mes dents.

Aucune promesse, aucun répit,
rien à remettre à demain.
Tout est là, maintenant,
dans cette fièvre qui me consume,
dans ce vertige qui m'arrache à moi-même,
dans cette course effrénée
contre l'inévitable.

Mais qu'elle attende encore,
cette ombre tapie derrière mon souffle.
Moi, je dévore l'instant
jusqu'à l'os,
jusqu'à ce qu'il n'y ait plus rien à aimer,
plus rien à perdre."

Tout un programme, toute une philosophie de vie.

L'avant-dire est de Catherine Andrieu, ainsi que l'illustration de couverture.

Si vous souhaitez vous procurer "À la marge", de Catherine Andrieu, qui est vendu au prix de 12 €, rendez-vous sur le site de l'éditeur : https://www.editions-unicite.fr/auteurs/Catherine-Andrieu/a-la-marge/index.php

mardi 23 septembre 2025

"Les nuits m'ont porté conseil", de Candice Pebay

 

J'ai découvert par hasard ce recueil (en lisant mon quotidien) de Candice Pebay, intitulé "Les nuits m'ont porté conseil", et publié par les Éditions L'Harmattan.
Il s'agit d'un premier livre d'une très jeune femme. Ce livre est d'ailleurs typique d'une adolescence, avec ses nombreux points d'interrogation (demandes d'explication, de compréhension) et nombreux tourments.

Les poèmes sont rédigés en vers libres qui tendent, la plupart du temps, à devenir des phrases. Les poèmes comptent, souvent, plusieurs pages. Plus rarement, ils ressemblent à des chansons.
Ils peuvent raconter une histoire, plutôt douloureuse. Les tourments de l'autrice, qui semblent venir de son histoire familiale, engendrent des tentatives d'autodestruction, d'où cette tonalité sombre. Il semble aussi que Candice Pebay prennent d'autres malheureux sorts à sa charge, comme pour dresser le portrait d'une génération.
Ainsi, le lecteur suit la narratrice sur ce fil tendu de la fragilité.

Au-delà du style de Candice Pebay, qui n'est pas encore stabilisé, et comporte certains clichés, j'ai aimé "Les nuits m'ont porté conseil", par sa sincérité d'expression, une sincérité bien oubliée quand on devient un adulte, et plus encore, quand on devient un adulte écrivain !

Extrait de "Les nuits m'ont porté conseil", "Ils sont défait vos lits", de Candice Pebay :

"Où vos âmes se sont enfuies,
enfuies dans vos rêves, les filles.
Ils sont déjà défait vos lits.
Plus de prison tenant sur un mètre de lit,
ils ont défait vos lits.
Prisonniers de vos rêves et souvenirs,
prisonniers de vos règles qui l'obligent sans cesse à tenir,
ils ont défait vos lits et, avec, vous êtes partis, je l'espère,
retrouver vos vies que vos parents vous ont prises.
Avant même que vous ayez pu dire oui,
ils ont défait vos lits."

L'illustration de couverture est de Lola Sion.

Si vous souhaitez vous procurer "Les nuits m'ont porté conseil", de Candice Pebay, qui est vendu au prix de 13 €, rendez-vous sur le site de l'éditeur : https://www.editions-harmattan.fr/catalogue/livre/les-nuits-mont-porte-conseil/79403?srsltid=AfmBOoqhbYW1-Ku-haRCw-bG6mLRw4_8n4TWiBEIiRiyvr3eoYnhjJJD