vendredi 18 juillet 2025

"Les mères sont très faciles à tuer", d'Anne Barbusse

 


Publié par les éditions "Pourquoi viens-tu si tard ?", "Les mères sont très faciles à tuer", d'Anne Barbusse, est une sorte de journal de poésie.

Derrière son titre qui pourrait passer pour provocateur ("Les mères sont très faciles à tuer"), se cache une vérité éprouvée au fil des pages.

En effet, ce livre raconte, au jour le jour, la séparation d'une mère avec son fils. Il n'y a pas de véritable évolution, mais plutôt un présent permanent. L'autrice détaille les sentiments et signes d'abandon que cette séparation vitale entraîne.

Sont évoqués la nature alentour, l'extérieur, plus encore que l'intérieur de la maison, ce qui donne à ces textes une tonalité solaire, même si trop de soleil parfois, on dirait…

Bien sûr, il y a de la révolte aussi, donc de la vie.

À noter également la référence à de nombreux films, dont certaines séquences sont rappelées.

C'est d'ailleurs la caractéristique principale de ce livre. Ses images visuelles, continuelles, qui se coulent en continu dans un torrent de mots (se lisant beaucoup mieux que des poèmes en comportant pourtant bien moins).

Il y a, dans ces poèmes en vers très libres, une spontanéité qui n'exclut pas la richesse de la vision de détail. 
Ainsi, la poésie irrigue naturellement les veines du lecteur.

Extrait de "Les mères sont très faciles à tuer", d'Anne Barbusse :

"les propriétaires des maisons souffrent plus que les pierres de leurs
maisons
dans la société ils arborent visages normaux
ils cachent leur maladie chez le boulanger au matin ou dans la queue 
de la poste
ils ne laissent rien voir de leurs abandons et des plaies fraîches des
séparations
ils avancent ils marchent ils parlent les mots de tous les jours ouvrés
les maisons n'ont que faire de leurs propriétaires
elles se dressent face aux vents du ciel et aux orages du ciel
elles sont l'avantage des femmes sans affects
elles se comportent comme des hommes taiseux et violents
et vont plus loin que nous dans l'absolution des péchés
- elles ont pourtant, dans la brûlure de l'été, la fraîcheur douce et
maternelle
comme des mères éplorées et attaquées dans l'expression la plus
cachée de leur affection claire, et le murmure des eaux des rivières
qui descendent la pente du monde tout en riant, elles ont pourtant,
parmi les fruits sucrés et les caresses odorantes des plantes, elles ont
pourtant la réserve des piétas ridiculisées de l'intérieur, qui se couchent
sur le lit des veuves et
cessent de s'alimenter dans la nuit, cessent même d'être piétas, et
belles -
les maisons et les mères sortent alors dans les jardins
et les pêches roses et les pêches blanches sont cueillies sans indifférence
et le duvet dévoile la chair sucrée du jour, à l'ombre des corps"

L'illustration de couverture est de Catherine Andrieu.

Si vous souhaitez vous procurer "Les mères sont très faciles à tuer", d'Anne Barbusse, qui est vendu au prix de 14 €, rendez-vous sur le site de l'éditeur : http://www.association-lac.com/editions/catalogue.html#05

jeudi 17 juillet 2025

"La nuit s'ouvre d'un trait", de Luc Marsal

 



Publié par les éditions Encres Vives, dans la collection "Encres Blanches", "La nuit s'ouvre d'un trait", de Luc Marsal, pourrait être un ensemble beaucoup plus noir.

En effet, il évoque, en ses quatre parties, tout particulièrement la perte (de ses parents), et plus généralement le déclin du temps qui passe, le vieillissement (celui de l'auteur).
Cependant, la couleur blanche, même si elle peut être celle du deuil, sied bien à ces poèmes. 

Leur encre noire ressort très nettement sur la page et ce n'est pas, bien entendu, qu'une apparence typographique.

Les vers courts amènent du rythme, et donc de la vie. Et l'emploi fréquent de la première personne du singulier n'a pas non plus pour effet d'enfler le lyrisme. Ce qui ressort plutôt ici, c'est la relativité de la personne, au milieu de tout ce deuil, comme une façon de s'excuser de vivre…

Extrait de "La nuit s'ouvre d'un trait", de Luc Marsal :

"C'est l'hiver
je sors de terre
face au vent    face au froid
fragile comme une plume
- j'appartiens au monde
des mourants

J'entends flotter dans l'air
des parfums oubliés
des flocons d'innocence
des traces de moi-même
Noël approche encore

Je compte les silences
les faux-semblants
les étoiles en carton
les guirlandes qu'on accroche
au cou des enfants sages

Je tire un trait sur hier
le long des cordes raides
des odeurs de sapin
des illusions perdues
l'horizon en miroir

Je rêve de soleil
de silence et de paix
- les jours s'allongent enfin"

Si vous souhaitez vous procurer "La nuit s'ouvre d'un trait", de Luc Marsal, qui est vendu au prix de 6,60 €, contact de l'éditeur : encres.vives@gmail.com

mercredi 16 juillet 2025

"Moi, Président", de Bernard Deglet

 


Publié par les éditions Grox Textes, "Moi, Président", de Bernard Deglet est un recueil atypique. Je ne sais pas si c'est vraiment de la poésie, mais ce n'est pas très grave.

L'intérêt est ailleurs. On trouve dans ces pages un vrai discours fleuve, constitué de paragraphes courts, presque des versets (la politique est une religion).

Et d'ailleurs, il est difficile d'identifier des parties dans ce livre, parties qui sont pourtant listées en fin de volume. Or, j'aime le fait que la construction d'un livre ne soit pas facilement repérable.

"Moi, Président" détaille donc les différentes facettes de son programme. Ce descriptif fouillé est interrompu, à intervalles réguliers, par une idylle vécue par notre Président. Tout rapport avec des faits existant ou ayant existé ne serait bien entendu que fortuite, n'est-ce pas ?

Mais reprenons le travail. C'est encore le programme politique du Président que je préfère. J'aime ce ton de fine cruauté qui transpire de chacune des étapes de son discours.
Ainsi, la vérité se fait jour ici, malgré toutes les bêtises que l'on essaye de nous faire gober dans la "vraie vie".

Extrait de "Moi, Président", de Bernard Deglet :

"Moi, Président, je ne serai ni de gauche

Moi, Président, vous croirez comme les enfants que le monde a des règles et qu'il suffit de les suivre

Moi, Président, tout le monde aura la place qui lui convient le mieux.

De nombreux prolétaires seront diplômés, de nombreux chômeurs seront radiés, de nombreux professeurs vacataires, de nombreux intermittents à la rue, de nombreux intérimaires à l'agence, retraités cancéreux, immigrés sans papier, agriculteurs chez l'huissier

Une bonne part de la cheffaillerie sera outplacée

Vous aurez à être là comme si vous n'y étiez pas mais puisque vous y serez, vous ne devrez en aucun cas agir / réagir comme si vous n'y étiez pas


Moi, Président, il conviendra toutefois de ne pas se laisser distraire"

Le dessin de couverture est de Clara Mathieu.

Si vous souhaitez vous procurer "Moi, Président", de Bernard Deglet, qui est vendu au prix de 7 €, rendez-vous sur le site de l'éditeur : https://grostextes.fr/publication/moi-president/