mercredi 28 mai 2014

"Il y a ici le vent", de Jean-Baptiste Pédini


S'il y a un paradoxe dans ce court recueil de Jean-Baptiste Pédini, intitulé "Il y a ici le vent", c'est que son auteur voit son reflet dans une eau saumâtre, stagnante et noire.
Mais en fait, le paradoxe n'est qu'apparent car ce que voit Jean-Baptiste, c'est le reflet de ses pensées qui font du surplace, et aussi la maladresse du corps qui, comme un arbre, ne peut être oublié.
Et les mots sont peut-être les médiateurs du corps et de l'esprit. L'image du paysage les concerne eux aussi, car ils servent à meubler l'espace, comme des cailloux, des cales, pour se protéger de l'extérieur sous le couvert.
Malgré cette impuissance native, qui est bien sûr généralement la nôtre, le paysage avec ses filets et ses reflets de lumière ne parvient pas à rendre notre existence complètement laide.
Et finalement, nous repartons de nous-mêmes, en tant que lecteurs, pour aller vers le paysage, qui est le même au cours de ces 10 poèmes en prose et dont le lecteur ne peut être que pénétré.
Dans "Il y a ici le vent", il y a des formules qui tuent, comme celle-ci par exemple: "on dissimule sous la mousse et rien n'est plus envahissant que l'ordre"
Un ptit texte pour la route :
"Ce n'est que ça le discours de l'eau, une excuse bafouillée quand l'orage s'arrête. Quand le froissement des peaux devient plus essentiel que la respiration. Ensuite on arrive là et on est épuisé, comme à la fin d'un sprint entre la détonation et sa portée. On est un peu tremblant mais cela ne nous atteint plus. Le courant, les lieux mystiques, les voix qui dégringolent de la cime des arbres pour dire quelque chose que l'on ne comprend pas. Non, trop de temps s'est écoulé et c'est en nous qu'est le tonnerre et le cri des yeux est plus fort. On est tremblant mais le ciel ici tient bon, alors on fait avec".
Pour se procurer ce recueil vendu au prix de 3 €, écrire à Yves Perrine, La Porte 215 rue Moïse Bodhuin 02000 LAON. Vous pouvez également aller faire un tour sur le blog de l'auteur : http://prendreapart.wordpress.com/

samedi 3 mai 2014

"Rester debout au milieu du trottoir", de Murièle Modély




A la lecture de "Rester debout au milieu du trottoir", deuxième recueil publié par Murièle Modély, je me dis que s'il y a une poésie réaliste, c'est bien celle-ci.
Dans ce recueil, l'auteur s'intéresse exclusivement aux rapports hommes femmes, dont on devine qu'ils ne nagent pas dans l'opulence matérielle et qu'ils sont bien paumés.
Souvent d'ailleurs, les femmes sont des prostituées et les hommes sont violents et pas très courageux. Bref, un univers plutôt macho. Et une poésie des villes, plutôt que des petites fleurs de la campagne.
Vivre en couple dans ces conditions n'est pas chose rêvée, ce qui n'empêche pas aux rêves d'essayer de se déployer, en vain.
Mais pour autant, ces poèmes ne sont pas des lamentations. Ils sont empreints d'une dureté que je trouve naturelle. Ils ont ça en eux. Et franchement, cette vie dure n'est pas si insupportable qu'elle en a l'air. Est-elle magnifiée ? Pas davantage. Elle est comme ça, tout simplement.
Ce monde là, également rempli de non-dits, trouve dans les poèmes en vers qui composent "Rester debout au milieu du trottoir" une forme adéquate : des vers et des strophes courts également, parfois décalés dans la page pour des dialogues sans guillemets, des passages en italique. C'est une poésie des raccourcis en images.
En résumé, l'écriture de Murièle Modély a une poigne d'enfer.
Et à lire ce recueil, je me dis qu'elle ne devrait pas s'arrêter en si bon chemin.
Ci-dessous, un poème choisi parmi tant d'autres, aussi puissants :
 
"Se souvenir ne mène à rien
 
Avant lui
Avant la montée dans les escaliers
Avant l'appartement dans lequel ils étouffent
Avant les poings rageurs qui tapent à la porte
Avant les hurlements à l'intérieur du crâne
Avant la peau qui plisse, les commissures qui tombent
Avant le ventre vide pour mieux se tordre encore
 
Il y a eu un jour
une fillette rousse qui attrapait des mouches
qui créait des étoiles
en appuyant très fort les doigts sur ses paupières
 
Si elle plisse les yeux en serrant des mâchoires
Elle ne l'aperçoit pas dans le tain du miroir".
 
A signaler enfin les photographies doucement suggestives de Bruno Legeai.
 
Pour vous procurer "Rester debout au milieu du trottoir", vendu au prix de 12 €, écrivez à l'éditeur : contact@editionscontre-ciel.fr, ou "Contre-Ciel", 80 route de l'Europe, 59122 Oost-Cappel.