dimanche 23 juin 2024

"Le clown d'enterrement", de Fabrice Marzuolo

 

Publié par les Éditions Gros Textes, "Le clown d'enterrement", de Fabrice Marzuolo est son premier recueil publié chez cet éditeur, après la co-édition en 2007 de "La diligence ne passe pas avec les aboiements" (Polder, chez Gros Textes et Décharge).

Je retrouve les poèmes de Fabrice Marzuolo comme une vieille connaissance : nous avons été publiés en même temps en 2007 et nous avons co-écrit "la partie riante des affreux" en 2012 (premier recueil des éditions du Citron Gare). Ce qui commence à faire pas mal d'années.

Cela me fait donc du bien de lire de nouveaux poèmes de Fabrice, au style aisément reconnaissable.

Et ce, pour plusieurs raisons.

Ils ne sont toujours pas nombreux, les poèmes à affirmer leur peu de cas de l'espèce humaine, à cette époque pourtant de moins en moins réjouissante (guerres de plus en plus proches, abus de pouvoir politique, égo des (ha)auteurs surmultipliés par les réseaux sociaux, alors que ce n'est pas ça qu'on leur demande à tous).

Comme si la plupart des auteurs refusaient de voir la vérité en face.

Mais il y a aussi autre chose de moins immédiat qui me plait dans ces poèmes, et qui tient à leur construction. J'ai toujours l'impression que Fabrice Marzuolo jongle avec les mots "façon puzzle" (avec les histoires également), avant d'en ramasser les différents morceaux et de les réunir en fin de parcours. Comme une résolution, au sens musical du terme : transformation d'une dissonance en une consonnance.

Extrait de "Le clown d'enterrement", de Fabrice Marzuolo :

"Le raccourci

Plutôt que dans l'été ou l'hiver disons
le défilé d'incertaines saisons
passer du temps à sacrifier le présent
si peu en vérité
pour qui pour quoi
pour des lendemains
qui chantent si faux
autour d'une jeunesse
vidée de ses vingt ans
comme poulets de leurs entrailles
où tomber parmi d'éternels ados
qui donnent envie d'être sourd
plus vite que leur musique
ou encore atterrir au milieu des vrais vieux
que le très juteux jeunisme
a dégauchis en clowns heureux
ceux-là carrément réhabilitent
la peine de vivre"

L'illustration de couverture est de Jacques Cauda.

Si vous souhaitez vous procurer "Le clown d'enterrement", de Fabrice Marzuolo, qui est vendu au prix de 7 €, rendez-vous sur le site de l'éditeur : https://grostextes.fr/publication/le-clown-denterrement/

jeudi 20 juin 2024

"Poèmes ronds", de Gorguine Valougeorgis

 


Publiés par les Éditions Gros Textes, dans sa collection "La Dipso", ces "Poèmes ronds" de Gorguine Valougeorgis étonnent par leur diversité.

Ici, il n'y a pas de forme préconçue d'écriture. Mais tout de même, c'est la prose qui domine plus que le vers. Le lecteur a l'impression que la prose vient chercher le vers, qu'elle le déguise en versets.

Et quand la prose l'emporte sur plusieurs lignes, ce qui est fréquent, c'est sans un souffle de ponctuation, mais avec la scansion des répétitions, des énumérations.

À cette diversité répond celle des paysages, des couleurs. Gorguine Valougeorgis en profite pour évoquer quelques souvenirs, tout en racontant son quotidien, sa découverte de l'Île de la Réunion.

Mais ni la forme, ni les thèmes ne me semblent ici les plus importants. C'est surtout l'occasion pour l'auteur de lancer un appel à la tolérance, une vertu presque démodée par les temps qui courent.

Cet appel à la tolérance commence par l'attention portée aux autres, et pas même juste à leurs dents (Gorguine est dentiste) !

Ainsi, ces "Poèmes ronds" conviennent bien à un monde dans lequel rien ne tourne jamais vraiment rond.

Le recueil se termine par "Les notes de l'exil", l'exception qui confirme la règle : courte suite de poèmes en vers libres en forme de conte (qui finit mal). Ou quand l'homme détruit l'arbre.

Extrait de "Poèmes ronds", de Gorguine Valougeorgis, ce beau poème (même s'il ne traduit pas forcément l'ambiance de l'ensemble du recueil) :

"trop vivre

pieds nus derviches ne laissent traces que cloques et noir charbon de leurs pas

chacun nourrit de son souffle retient dans une incandescence lancinante les braises

si tu danses avec moi elles prennent feu par fusion quelle mort lumineuse c'est à chaque fois

les neiges noires et tristes de bord de route fondent enfin comme la peur de tomber comme la peur de trop vivre"

L'image de couverture est de Nathalie Lothier.

Si vous souhaitez vous procurer "Poèmes ronds", de Gorguine Valougeorgis, qui est vendu au prix de 7 €, rendez-vous sur le site de l'éditeur : https://grostextes.fr/publication/poemes-ronds/

mercredi 19 juin 2024

"Un temps de fête", de Guillaume Decourt

 

Deuxième livre publié par Guillaume Decourt aux Éditions de La Table Ronde, "Un temps de fête" est un recueil de courts poèmes en prose calibrés pareil, dont la vue fait plaisir au lecteur, synonyme d'ordre apparent.

Je l'affirme d'autant plus que le trait dominant du recueil est l'humour, voire même l'ironie. Donc il ne faut pas trop se fier à trop d'ordre, même si ces proses constituent autant de moralités (ou d'immoralités), viatiques pour des vies heureuses. D'où le titre…

Seulement voilà, parfois, ces textes ne finissent pas toujours très bien. Et en plus, ils ne témoignent pas forcément de tant de sagesse que cela. Enfin, ils semblent généraliser le particulier : noms de lieux, de nourritures, de marques disséminés au fil des pages.

Si le bonheur ne tient qu'à quelques particularismes, le lecteur peut se dire : je ne suis pas prêt d'atteindre le bonheur, si c'est bien cela qu'il me faut, ou bien, au contraire, le bonheur ne tient pas à grand chose, décidemment.

Il s'agit de recettes, en quelque sorte !

D'un point de vue stylistique, et comme leurs formes le suggèrent, les textes se referment parfaitement en quelques lignes, après avoir traversé un espace temporel parfois long. Résumés de vies de peu. Là encore : prenez le au second degré. Et reconnaissez plutôt que si le bonheur repose sur des objets, chacun a la possibilité d'y accéder par ses propres voies.

Extrait de "Un temps de fête", de Guillaume Decourt :

"L'ANNÉE DU LAPIN

Bonne nouvelle, c'est l'année du lapin. L'année de toutes les réussites. L'année du tiercé. L'année du jackpot. Nous sommes sous les agréables auspices de la Française des jeux mais j'ai dû sacquer notre nouveau steward parce qu'il se tripote. Je me sens bien. Notre crack devance tous les autres sur le turf. Nous nous installons à Hawaï. Ici personne ne m'a lu. Les enfants font du surf. Il fait bon vivre à Honolulu."

Si vous souhaitez vous procurer "Un temps de fête", de Guillaume Decourt, qui est vendu au prix de 14 €, rendez-vous sur le site de l'éditeur : https://www.editionslatableronde.fr/Catalogue/(parution)/nouveautes

"Sein du jour", de Christian Bulting

 

Publié par la revue Chiendents, "Sein du jour", de Christian Bulting, est une suite de poèmes aux vers courts et centrés sur la page. Elle déroule le fil de l'histoire d'un amour entre un homme et une femme. 

Une relation écrite au jour le jour, à la première personne du singulier. Côté face, c'est une ambiance à la "Cantique des cantiques" : amour sensuel, voire charnel. Côté pile, c'est la fin de cet amour et son rappel, qui se délitent sur plusieurs pages.

Ici, comme les corps sont (mais à) nu(s), les vers sont dépouillés, rendus à leur plus simple appareil. Rien n'est caché. Tout est à l'os. Pas besoin de compliquer les choses. Même quand elles sont dites simplement, elles paraissent encore compliquées. Comme si un mystère devait absolument se cacher derrière…

Extrait de "Sein du jour", de Christian Bulting :

"Quand elle a posé sa tête
Sur mon épaule
La dernière nuit
Quelque chose avait changé
Et je ne savais pas quoi

Quand elle a posé sa tête
La dernière nuit
Jamais ce geste
N'avait été si tendre
Si détaché

Quand elle a posé sa tête
Sur mon épaule
La dernière nuit
Elle savait que c'était la dernière
Je l'ai su aussi"

Si vous souhaitez vous procurer "Sein du jour", de Christian Bulting, qui est vendu au prix de 8 € (+ 3 € de port), rendez-vous sur le site de l'éditeur : https://lepetitvehicule.com/index-de-nos-auteurs/christian-bulting/

dimanche 16 juin 2024

"Gargouille", d'Hélène Miguet

 

Publié par les Éditions "Sous Le Sceau Du Tabellion", "Gargouille" d'Hélène Miguet est son troisième recueil édité, après, notamment, "Des fourmis au bout des cils", publié à l'enseigne du Citron Gare.

On ne croirait pas, au départ, qu'une gargouille puisse être un objet poétique : eh bien si !

Ce n'est pas tant l'objet lui-même qui est poétique que son regard imaginé sur le monde. Ce regard est privilégié avant tout par la position qu'elle occupe : du haut des églises, qui donne sur les rues plus ou moins commerçantes des centres-villes. 
Du fait de son architecture de rattachement, religieuse, moyenâgeuse, la gargouille pourrait avoir le regard méprisant des puissants, ou réactionnaire des aristocrates.
Ici, pas du tout.
C'est que la gargouille a aussi ses propres problèmes. Elle est seule tout là-haut, elle subit les intempéries, et a le temps d'observer les hommes : fourmis sur le sol. Pas que du beau à voir.
Alors, la gargouille dénonce, elle se révolte surtout contre le destin ordinaire des humains.
Et là, tout est dans le style. Les images visuelles, bien sûr, y sont nombreuses. Mais surtout, le style de la gargouille se place lui aussi en surplomb du langage des médias. Un peu de tenue voyons !

Je lis rarement des poèmes comme ceux-là, qui savent garder cette hauteur de style. Plus sombre, plus "tout feu, tout flamme" que "Des fourmis au bout des cils", "Comme un courant d'air", "Gargouille" creuse le sillon des précédents recueils.
Les poèmes publiés ici explorent toutes les facettes de cette révolte et placent la poésie au milieu de celle-ci. Rien à faire. Elle qui est qualifié d'inutile, comme d'habitude, a là un rôle à jouer. Et sa place est tout près des êtres, c'est-à-dire en bas, sur le pavé.

Extrait de "Gargouille", d'Hélène Miguet :

"Un jour on m'a collé un funambule en ligne de mire



on a mis le grappin à dix centimètres de ma grimace
puis tendu le fil en travers de la place        ça m'a rappelé
les saltimbanques de ma jeunesse

je croyais que le monde en avait fini avec les montreurs
d'ours et les équilibristes    en avait assez de tout ce
cirque    monde civilisé qui cache ses baladins et ses 
bonimenteurs au ministère rue Saint-Honoré patron de 
la Culture et des choux pâtissiers

mais j'ai vu la foule aux yeux ronds briller au plus grand
exercice de style    j'étais réconciliée    l'humanité tient
à un fil

mon funambule avait la classe des acrobates    bras libres
et chevilles nues    je l'aimais sans raison    pour sa
nuque raide et le gouffre à ses côtés    pour l'énergie
du talon aux nuages donnée sans retour comme un baiser

j'ai pensé Genet comme ton amour était plus haut que
chaque forêt du monde


il s'en est allé vers le soleil    point résolument noir sur
l'horizon ouvert

avant d'empoigner son balancier il m'avait chuchoté

qu'il avait une blessure à mettre en lumière

*

Petit pêcheur de vides assoiffé de terre ferme

sur ton fil apatride

sèchent les secrets d'or que tes entrailles renferment"

La préface de "Gargouille" d'Hélène Miguet est de Clément Bollenot. L'illustration des pages intérieures est de Christian Mouyon.

Si vous souhaitez vous procurer "Gargouille", d'Hélène Miguet, qui est vendu au prix de 17 €, rendez-vous sur le site de l'éditeur : https://www.sceaudutabellion.fr/catalogue

vendredi 14 juin 2024

"Cyclitude", de Jean-Claude Touzeil

 

Ils ne sont pas si courants, les recueils de poésie sportive.

Publié par les Éditions Gros Text'es, "Cyclitude", de Jean-Claude Touzeil est un recueil de poèmes en vers libres qui dresse un panorama du cyclisme professionnel ou amateur, au passé comme au présent.

Une façon aussi de rappeler que les compétitions existent aussi dans le sport amateur et que ce n'est pas forcément signe de mauvaise ambiance ! Bien sûr, le cyclisme, c'est également la randonnée ou l'entraînement !

"Cyclitude" montre qu'au-delà des controverses justifiées sur le dopage (dont il n'est pas question ici, ce qui aurait été un contresens), l'image des sportifs exerce une influence positive sur les passionnés de la Petite Reine.

Dans ces poèmes aux vers très courts, la bonne humeur est de mise (loin du spleen des poéteux). La nostalgie aussi.

Extrait de "Cyclitude", de Jean-Claude Touzeil :

Les illustrations sont de Claude Leplingard-Gosselin (dont celle de couverture), avec la participation de jiPeG, pour les "petits vélos".

"Chez les cadets

Odeur de musclor
à flotter dans l'air
massage approximatif
plus de cent Don Quichotte
au départ
trois abricots
dans le maillot
du vent dans la plaine
et l'envie d'en découdre

Chez les cadets
braquet imposé
46 X 14
environ 7 mètres
à chaque coup de pédale
quand même

Pour le sprint
ça frotte fort
dans le paquet
chargé d'étincelles
on frise la gamelle
un bras se lève
du côté de la ligne
et le reste est
classé deuxième
ex aequo !"

Si vous souhaitez vous procurer "Cyclitude", de Jean-Claude Touzeil, qui est vendu au prix de 8 €, rendez-vous sur le site de l'éditeur : https://grostextes.fr/publication/cyclitude/

mercredi 5 juin 2024

"D'ordinaires cascades", de Thierry Roquet

 

Publié par les Éditions "Aux cailloux des chemins", dans sa collection "Nuits indormies", "D'ordinaires cascades", de Thierry Roquet est une suite de poèmes en vers libres avec ou sans titres.

Les textes en italique se mélangent aux textes en caractère "normal". Les textes en italique renvoient très souvent à un état de crise d'une personne hospitalisée pour dépression (figure féminine ? Compagne ?). Les autres textes sont plus paisibles, mais n'écartent pas pour autant les notions d'échec, d'impuissance face à la dureté de la vie quotidienne traversée par la violence, voire la mort : au travail, dans les transports en commun.

Au final, malgré ces aller-retour entre poèmes plus ou moins sombres, dominent en ces pages l'acceptation, plus que la révolte, et la bienveillance, plus que la critique. 
Soit au final, un réalisme dépouillé avec parfois, un vers surprenant qui surgit sans crier gare !...

Extrait de "D'ordinaires cascades", de Thierry Roquet :

"L'autre jour, je lisais un poème de Pessoa.
Un beau poème.
Une phrase m'est restée en tête.
Une phrase sortie du lot.
Jusqu'à me faire oublier le reste du poème.
Un beau poème.
C'est souvent comme ça dans la vie.
J'avais sur moi mes vieux habits.
Ceux qui se portent sur des ancrages obsessionnels.
Une phrase m'est restée en tête.
Je n'y penserai bientôt plus.
Sans doute penserai-je à autre chose.
À quelque chose qui n'a strictement rien à voir.
C'est souvent comme ça dans la vie.
Cette fausse permanence des choses ordinaires.
Les fresques sont labiles."

Si vous souhaitez vous procurer "D'ordinaires cascades", de Thierry Roquet, qui est vendu au prix de 12 €, rendez-vous sur le site de l'éditeur : https://www.aux-cailloux-des-chemins.fr/d-ordinaires-cascades