jeudi 31 juillet 2014

"36 choses à faire avant de mourir" (collection)


C'est une vraie fricassée de textes que vient de publier Hervé Bougel, éditeur grenoblois du Pré # Carré.
37 exactement, enfin, si je sais bien compter. Comme le nombre de choses à faire avant de mourir, selon l'oulipien Georges Pérec, qui a pratiqué en son temps ce jeu d'écriture.
Mais au fait, s'agit-il vraiment d'un jeu d'écritures ? Selon moi, pas vraiment. Car sinon, ce serait trop facile. Avec ses 36 choses (le un de la différence), chaque auteur est bien obligé de dévoiler un peu de sa personnalité, même s'il ne le voudrait pas, et même si elle peut ressembler à celles des autres.
En même temps, il faut reconnaître que le sujet se prête fort bien à l'inspiration, étant plutôt du genre fondamental.
En fin de compte, c'est la diversité qui l'emporte. Difficile cependant de dire quel texte m'a le mieux plu dans cette collection.
En effet, il est plus difficile qu'il y paraît de toujours tenir la dragée haute durant ces 36 choses. Des fois, on est bien obligé de retomber dans la banalité des plaisirs universels et c'est peut-être mieux ainsi.
Mais j'avoue, tout de même, avoir préféré, finalement, les textes dans lesquels transparaît un style ou des souhaits suprenants.
A noter également l'humour noir de l'éditeur qui n'en rate aucune : se présentant comme serial éditeur, parodiant la mise en garde des paquets de cigarettes en première page, et érigeant in fine une stèle in mémoriam à chacun des auteurs publiés. Faudrait quand même pas aller trop vite avec la musique !...
Pour faire connaissance avec Le Pré # Carré, deux lieux de ralliement : http://precarrediteur.hautetfort.com/ et http://precarreditions.hautetfort.com/.

L'ensemble de ces 36 choses est vendu 20 €. Histoire que vous vous les procuriez avant de mourir (à commander chez l'éditeur : Hervé Bougel, 52 quai Perrière 38000 GRENOBLE).
Et je finirai cette chronique en listant le nom de chacun des auteurs publiés, espérant n'en oublier aucun :

Samantha Barendson, Jean-Christophe Belleveaux, Fabienne Bergery, Pierre Boeswillwald, Nathalie Brillant, Clo Brion, Raphaèle Bruyère, Jean-Baptiste Cabaud, Laurent Cachard, Pauline Catherinot, Marie-Claire Chabot, Olivier Cousin, Christian Degoutte, Agathe Delprat, Séverine Delrieu, Pauline Desnuelles, Marie-Frédérique Doineau, Annabelle Felten, Marie-Hélène Gauthier, Michaël Glück, Myrto Gondicas, Laurent Gontier, Marie Gréa, Chloé Griot, Cécile Guivarch, Véronique Lafont, Malika Lagneau, Janette Lallier, Lisbeth Lempérier, Catherine Litique, Jean-Jacques Nuel, Jany Pineau, Lorraine Pellegrini, Clara Regy, Christine Spadaccini, Geneviève Senart-Hauguenois.

dimanche 20 juillet 2014

"A propos de celui qui réussit à rater correctement", de Cédric Bernard



J'ai reçu récemment cette suite de 18 poèmes de Cédric Bernard, pliés en accordéon et illustrés par Sophie Brassart (également illustratrice du "Chasseur immobile" de Fabrice Farre, dernier recueil édité à ce jour par le Citron gare).
Le titre de ces poèmes "A propos de celui qui réussit à rater correctement" donne exactement le ton de l'ambiance de ces poèmes, qui sont faits pour me plaire. Car ils n'ont pas l'air de se prendre trop au sérieux, ces poèmes, puisqu'ils donnent dans l'autodérision évidente, avec un petit air d'humour noir, à la Tristan Corbière.
Et ils possèdent ces jeux de mots laids, de rimes bancales qui vous remettent fissa dans votre condition de mammifères dit supérieurs.
En voici un exemple :

"Transmission

dernièrement les bavures de
l'encreuse
s'imprimaient sur l'écran
plus les pages sortaient
plus le texte s'obscurcissait

chaque page portait ses propres 
tâches
toutes se répétaient se bousculaient
dans les cristaux liquides

bientôt il ne resterait qu'une pensée
maculée
sur la fragilité de quelques feuilles
et une page noire luminescente

il se retint de concasser le
contextuel
histoire de ne pas rajouter
du noir au broyeur
de sa cervelle d'évier".


Pour vous procurer un exemplaire de "A propos de celui qui réussit à rater correctement", vous pouvez écrire directement à l'auteur, lesmotsdesmarees@gmail.com

mercredi 9 juillet 2014

"Plein champ", de Robert Nédélec


Robert Nédélec n'est pas un débutant en poésie. Il a édité de nombreux recueils de poésie, parmi lesquels ce livre récent, intitulé "Plein Champ", édité par les éditions Aspect.

Dans ce recueil, je retrouve (et peux le regretter) les mêmes caractères formels que dans plusieurs recueils précédemment publiés. Mais il faut reconnaître que ça fonctionne toujours très bien.

Ainsi, chacun des textes de "Plein champ" est composé d'une série de versets, entre poème et prose, chaque court paragraphe étant relié au suivant par un signe de ponctuation (virgule), ou tout simplement par le vide.

Et le lecteur devine, à travers ces paragraphes, la respiration de cette poésie, ce souffle, qui peut être qualifié d'ample, ce qui est assez rare dans la poésie d'aujourd'hui. Et c'est cette respiration qui donne sa beauté au poème. Le luxe des images, également, y contribue. Sachant qu'image ne signifie pas obligatoirement métaphore, car l'auteur ne fait que décrire minutieusement ce qu'il voit, ou ce qu'il imagine voir.

Quant au contenu de "Plein champ", et sans rentrer dans les détails, il me rappelle une ambiance déjà lue chez cet auteur. Mais j'aime ça. Ses poèmes donnent toujours l'impression d'explorer un village, une maison désertés de ses habitants. Et j'aime beaucoup l'aspect fantomatique des apparitions humaines dans ces poèmes qui finissent par se situer hors du temps.

Bref, c'est du bien bel ouvrage !

En voilà un exemple (parmi tant d'autres) :

 

"La chambre

 

     Rien n'a changé depuis qu'ils ont disparu, emmenant avec eux le désir et la peur, ceux-là qu'ils s'apostrophaient autrefois d'une haie à l'autre, se cognaient la tête

     Aux branches basses, et saignaient des heures, allongés au bord des matins sans neige. On a convoqué la foudre pourtant, comme pour pallier l'absence,

     Et réduit en cendres tout ce bric-à-brac accumulé dans les placards, parmi les balais et les poudres, dans le fol espoir d'évoquer les morts,

     Et l'on a parfait ces dessins de bouches dont d'autres avaient couvert les miroirs. Depuis qu'ils ont fui, ceux-là qui serraient le cri dans leurs mains,

     Le même homme seul marche sans lumière, se dresse ou se tasse, selon la saison, et rêve, le lâche, quand il se regarde en face et blêmit,

     De changer la vie - le même homme tremble, mais comment savoir qu'il s'agit de soi quand, de dehors, il semble qu'il n'y ait personne dans la chambre".

Pour vous procurer ce livre, vendu au prix de 13 €, vous pouvez aller faire un tour sur le blog des éditions Aspect, http://nancy.aspect.editions.over-blog.com

mardi 8 juillet 2014

"Traverses", de Lou Raoul



"Traverses", c'est à la fois un monologue interrompu et éperdu. Et plus particulièrement, un monologue qui peut être celui de l'auteur. Mais peu importe finalement ce je apparent. Si les phrases sont souvent coupées, ou s'interrompent sur une absence de mots, ce n'est pas systématique. Ces coupures renvoient surtout à une perception des choses instantanée.
Ce que j'aime beaucoup dans ce recueil, c'est que toutes les "visions" sont traitées à un même niveau. Images réellement visuelles, instantanés de vie. C'est bien le but de la poésie, de montrer que tout peut être poésie, non ?
Cet enjeu me semble être tout particulièrement celui de "Traverses", d'où le titre du recueil, d'ailleurs. Il y a là un kaléidoscope d'images et de matières qu'avec un tout peu d'imagination, le lecteur est à même de reconstituer d'emblée.
Derrière ces mots, sinon ce serait trop facile, il y a aussi les blessures de la sensibilité, le dialogue des âmes en danger d'amertume.
Ainsi, par exemple :
"avec la bouche et doucement entre les chênes-lièges comme tu es un homme pressé au volant d'une voiture et je assise place de la petite morte, comme les pierres à l'intérieur sont chaudes et la crème maïzena poudre vanillée dans les bols juste là"
Pour vous procurer ce livre, vendu au prix de 13 €, vous pouvez écrire aux Editions Isabelle Sauvage, Coat Malguen, 29410 PLOUNEOUR-MENEZ.

lundi 7 juillet 2014

"Camarade", de Yannick Torlini



On ne peut pas dire le contraire : parfois fond et forme se correspondent. Quand il s'agit, comme ici, de parler du travail, cette obligation, cruelle pour certains et ennuyeuse pour la plupart, les secousses successives qu'il faut mettre pour y aller et faire sa journée, peuvent être traduites par ces phrases coupées, ces reprises, ces parenthèses et ces incises.
Publié après "Nous avons marché", "Camarade" de Yannick Torlini est un recueil plus accessible à la lecture immédiate, par l'usage formel de courtes proses. A vrai dire, je l'ai lu d'une traite et sans ennui.
Le "Camarade" de Yannick Torlini me rappelle un peu celui de Christophe Manon. Mais il est tout à fait différent de cet autre camarade, en ce sens qu'il n'appelle pas à la révolution qui fait rêver. Et si révolution il y a, c'est sa forme primaire qui subsiste, celle de la révolte individuelle. 
En parlant au travailleur et en parlant en son nom, l'auteur décrit surtout la cruauté du travail salarié, avant, pendant, après. Ses dégoûts, ses dommages et ses séquelles.
Les derniers textes du recueil donnent d'ailleurs dans une fragmentation de plus en plus radicale, les mots ou morceaux de phrases étant séparés par de longs traits de suspension (ça m'a fait penser à l'effort solitaire du skieur de fond, c'est peut-être bête mais c'est comme ça !).
Une écriture au couteau, dans laquelle aucun des mots employés ne paraît être de trop. Et à travers le travail, c'est aussi le lyrisme (autre générateur d'illusions), qui semble être combattu de toutes ses forces par l'auteur.  
"un autre matin il n'y a pas d'heures, un autre matin un autre travail, toujours le même, si le geste changé n'est que toin ressassement, à la glaire de fatigue, au sang qui songe tes restes. reste, camarade, reste travaillé, reste en vie pour-tant".
Pour vous procurer ce recueil, vendu au prix de 14 €, écrire à l'éditeur : éditions Isabelle Sauvage, Coat Malguen, 29410 Plounéour-Ménez.