Autant le dire
d'emblée et pour être franc, "N" n'est pas un texte facile à lire car
son contenu et surtout sa densité sont inhabituels, même dans un domaine comme
celui de la poésie.
Ce qui frappe
d'abord, c'est l'identité visuelle des textes qui composent "N".
Cette identité visuelle repose sur une généralisation de plusieurs contraintes
d'écriture, à partir de la contrainte-racine de l'existence des 26 lettres de
l'alphabet, de A à Z, en passant par N.
Je veux ici me
limiter à une description de ces aspects formels visibles du lecteur
"pressé" : 26 textes pour chacune des 26 lettres de l'alphabet, donc
ici, pour N, quatorzième lettre de l'alphabet : 26 carrés de 14 cm de côté (196
cm1 de superficie) qui contiennent 196 lettres n dont chacune des
apparitions est décalée.
Ainsi, chaque
lettre a ses spécificités. Par exemple, si le "O" engendre des poèmes
en cercle, le "N" donne naissance à des exposants n qui se
multiplient au fur et à mesure de la progression des 26 textes. On voit
également très nettement une variation dans les interlettrages à l'intérieur
d'une phrase.
Vous me direz à
présent : où est la poésie là-dedans ? Toutes ces contraintes paraissent très
lourdes... Ou bien, de tels principes d'écriture, c'est tout simplement
anti-lyrique !
Je vous
répondrai que ce n'est pas si évident que cela. Tout d'abord, les contraintes
de langage ne concernent en priorité que leur auteur. C'est de la cuisine
interne. Libre au lecteur de l'étudier ou pas. De plus, et c'est bien connu,
les contraintes peuvent être étonnamment créatrices pour l'imagination de
l'auteur et... du lecteur !
Ainsi, cette
mise en page sophistiquée de "N" n'aboutit pas ici à une étude sur le
langage, pas plus d'ailleurs que sur une étude du genre humain. Le sujet de
"N", c'est bel et bien la contrainte elle-même. Et plus précisément,
le décompte des chiffres constitutifs du poème, la géométrie de ce dernier. Et
voilà où est la force de ce recueil (je pourrai dire la même
chose des autres lettres non publiées ici) : dans la quasi-infinité de ces
variations sur un thème a priori impossible à traiter.
En fait,
Philippe Jaffeux, quand il écrit, se situe dans l'éternel présent. Il n'y a pas
de continuité logique entre les phrases qui peuvent tout à fait être générées
dans le désordre par une machine programmée à cet effet. L'auteur ne fait que
décrire poétiquement ses contraintes arithmétiques, comme s'il imprimait de
nouveaux objets avec une imprimante en 3D. Ses phrases, en même temps, sonnent
comme des sentences prophétiques. Et c'est là que la poésie intervient, puisque
l'auteur nous fait découvrir de nouveaux mondes imaginaires, qui présentent les
mêmes caractéristiques spatiales que celles du monde visible directement, et
qui sont la traduction d'une activité cérébrale ininterrompue.
Et là, du coup,
la poésie de Philippe Jaffeux s'éclaire et révèle sa véritable originalité par
rapport à ce qui est publié aujourd'hui.
Quelques
exemples de phrases reproduites au hasard sans souci de leur typographie (page
W de N):
"La levée
de trente trois lignes de front défend un bouclier rectangulaire avant de se
réconcilier avec la position inattaquable"
"Un
ordinateur idéal approfondit la pression d'une page qui rejaillit sur la
mystérieuse pratique d'un chiffre fluide"
"L'élan
concentrique de trente deux nerfs ricoche sur vingt-six muscles prêts à plonger
sous l'énième fuite d'un alphabet décentré"
"Je
ponctue mon élévation tragique vers le sourire d'un abécédaire pour esquisser
ma quatorzième chute sur un vide burlesque"
"Un
rectangle vide se heurte à la mesure interlinéaire d'un carré si je protège la
plénitude d'un mouvement géométrique"
"Je
ralentis l'essence d'un quatorzième accident car un bloc de pages explosives
gonfle le vide d'un moteur emballé".
Pour en savoir
plus sur ce livre disponible au prix de 14 €, rendez vous sur le site de
l'auteur, http:///www.philippejaffeux.com/ ou écrire à l'éditeur Passage d'encres éditions
- Moulin de Quilio 56310 GUERN.
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