samedi 10 novembre 2018

"Qu'en moi Tokyo s'anonyme", de Thibault Marthouret


Publié par les Éditions Abordo, "Qu'en moi Tokyo s'anonyme" est le deuxième recueil de Thibault Marthouret, après "En perte impure", que j'ai édité en 2013, à l'enseigne du Citron Gare.

Cinq ans se sont donc écoulés entre ces deux livres, que l'auteur a su mettre à profit pour approfondir sa manière et développer un style réellement original, à mi-chemin entre les expériences langagières et les sentiments poussés au lyrisme.

Car, si les sentiments et la recherche d'un langage à part ne sont pas étrangers à cette écriture, ce sont, à première vue, les choses qui préoccupent l'auteur.

Le titre du livre, "Qu'en moi Tokyo s'anonyme", renvoie très certainement à ce goût des choses, au-delà de la connaissance d'un lieu probablement visité : Car Tokyo, c'est le Japon, et à mes yeux de lecteur, le Japon, c'est le sens du détail, du très petit dans l'infiniment grand, cette manière d'occuper lentement l’espace dans le temps.

D'ailleurs, l'espace joue un rôle primordial dans la poésie de Thibault Marthouret.

Entre le très petit (par exemple, les lombrics) à l'infiniment grand (le ciel), dans cet empan énorme, la place est laissée au regard, qui se prolonge en imagination. Et l'être humain se retrouve au milieu, un peu hébété de se savoir seul, assis dans le silence, au milieu de ces choses, qui sont autant de natures mortes qu'il ne comprend pas (comme un very bad trip !), mais au milieu desquelles il se sent plutôt bien, finalement. 

Ce regard est aussi provoqué par un sens aigu de l'observation, non dénué d'ironie, dans certains poèmes.

À cet égard, je trouve que la poésie de Thibault Marthouret est typiquement urbaine, elle se déploie à travers un espace bondé, chargé de choses souvent inutiles qui assurent pourtant l'équilibre.

L'espace est aussi très présent dans l'image même de ces poèmes, dont les vers n'hésitent pas à se promener sur la page. Trop souvent, les poètes écrivent en ligne, comme des moutons. Eh bien, pas là ! Par exemple, la forme centrée est employée. Parfois aussi, les vers se répondent en deux colonnes. 

Par rapport au premier recueil de Thibault Marthouret, "En perte impure", les vers de "Qu'en moi Tokyo s'anonyme" sont plus longs, ils occupent réellement la page, donnant à l'écriture une ampleur nouvelle.

Bref, ce livre est une réussite, tant sur le plan du fond, que de la forme, les deux s'imbriquant étroitement (c'est bon signe). 

Il y a une vraie richesse dans le champ lexical. Idéal aussi pour rompre la monotonie du poème : ces fréquentes locutions en anglais qui donnent du rythme : quand l'espace est gagné par le son !

Le nombre élevé de détails évoqués appelle une relecture de ces poèmes. Cela tombe bien, car que demande t-on à un poème ? Qu'il ne s'épuise pas en une seule lecture...

Extrait de "Qu'en moi Tokyo s'anonyme", de Thibault Marthouret :

/entre quatre murs déboîtés 

Le soleil à ras bord remplit toutes les gouttes -
minutie de lumière sur la vitre aux coins fendillés.

Un voile tissé de traces de doigts et poussières collées se dépose
sur le statu quo dans le lit défait de la chambre au plafond trop haut.

Nous murmurons pour éviter l'écho, l'imbroglio d'espace et de silence
qui disloque les verbes, érige des murs nus entre les syllabes, étire
l'ossature des phrases en dédales où s'égarent l'entente et le toucher.

Nous murmurons dans le lit pour ne pas nous perdre
dans les mots défaits, les hasards des draps blancs, pour rassembler
les corps dans la voix basse, nous condenser

en gouttes de son - minutie de présence -
sous le vide immense, la distance menaçante, frôler le débordement.

"Qu'en moi Tokyo s'anonyme" est préfacé par Patrick Autréaux.

L'illustration de couverture est de Lisa Gervassi.

Si vous souhaitez en savoir plus sur "Qu'en moi Tokyo s'anonyme", de Thibault Marthouret, qui est vendu au prix de 15,5 €, rendez-vous sur le site de l'éditeur : http://www.abordo.fr/

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